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Livie à Mécène

SEIZIÈME HARANGUE -

ARGUMENT -

C’est à la gloire des belles lettres que cette Harangue est consacrée. Mais quoi que ce soit son principal objet, on peut dire qu’elle ne m’éloigne pas du dessein général de mon livre, puisque la poésie faisait une des plus agréables occupations des dames et un des leurs plus chers divertissements, c’est justifier leurs plaisirs, que d’en faire voir le mérite. Voilà donc ce que je me suis proposé en ce discours qui, si je ne me trompe, est plus raisonnable qu’intéressé. Du moins sais-je bien que, si je défends cette cause, c’est parce que je la crois bonne et qu’ainsi je ne contreviens point au serment des orateurs qui les oblige à en défendre aucune qu’ils trouvent mauvaise. Jugez-en lecteur et oyez parler Livie sur ce sujet à Mécène, cet illustre protecteur des Muses. Mais ne vous étonnez pas de l’entendre parler à fond de cette matière: Auguste aimait trop les vers et en faisait trop souvent pour n’avoir pas inspiré cette même inclination à celle qui possédait son cœur; et elle était trop adroite pour n’être pas complaisante. Ainsi donc si je l’ai choisie j’ai eu raison de le faire et l’on en aurait pas de me blâmer.

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Vous, de qui la naissance, illustre et souveraine,
Fait trembler l’univers;
Apprenez de Livie, apprenez de Mécène,
Ce que peuvent nos vers:
C’est eux qui dispensent la gloire;
C’est eux qui font mourir ou vivre la mémoire;
Enfin vous commandez au reste des humains;
Mais votre sort est en nos mains.
Livie à Mécène

Je sais, illustre Mécène, qu’Auguste doit l’empire à vos conseils; que les Romains vous doivent la félicité dont ils jouissent, sous un règne si éloigné de la tyrannie et que je vous dois aussi, le rang qu je tiens aujourd’hui. Oui, Mécène, ce fut vous qui surmontâtes les puissantes raisons d’Agrippa, en ce jour où Auguste, devenu ennemi de sa propre gloire et du repos des Romains, disputait en lui-même s’il conserverait la suprême puissance, ou s’ils la remettrait en la disposition du peuple. Ce grand empereur voulait s’ôter de sa propre main la couronne qu’il avait su la tête; abandonner les rênes de l’Empire; descendre du trône où il était monté par des si longs travaux; et, par une retraite plus honteuse que n’avait été la fuite d’Antoine, à la bataille d’Actium, perdre entièrement le fruit de tant de victoires qu’il avait remportées. On pouvait dire en ce temps-là que l’amour avait été la cause de la fuite d’Antoine; mais en cette rencontre on ne pouvait accuser Auguste que de faiblesse. L’on eût dit que sa main n’était point assez forte pour porter le sceptre qu’elle tenait et qu’il n’abandonnait que ce qu’il ne pouvait conserver. Cependant, Mécène, vous n’eûtes pas de faibles ennemis à combattre en cette occasion: Auguste et Agrippa, et c'est-à-dire les deux premiers hommes du monde, étaient ceux qui s’opposaient à vous. Leur opinion semblait être la plus juste, comme paraissant la plus généreuse: Et l’on eût dit, qu’il y avait plus de gloire à détruire l’Empire qu’à l’affermir et plus d’avantage à obéir qu’à commander. Néanmoins vous fûtes le vainqueur en cet illustre combat et, par un sort tout extraordinaire, le vaincu demeura pourtant couronné et vous vous contentâtes d’obéir à celui a qui cous conserviez l’autorité. Cette obligation que l’empereur vous a, est sans doute bien grande, mais, selon mon sens, il vous est encore plus redevable du soin que vous apportez à lui concilier la bienveillance des Muses que de toutes les choses que vous avez faites pour lui. C’est véritablement par ce moyen que vous pouvez lui donner l’immortalité et vous la donner à vous-même; c’est par là que le siècle d’Auguste se peut dire heureux et je tiens qu’il est plus glorieux à l’empereur, d’être aimé de Virgile, d’Horace, de Tite Live et de l’illustre Mécène, qui est le protecteur de ces favoris d’Apollon, que s’il était craint de toute la terre. La crainte en le rendant redoutable à toutes les nations, le ferait sans doute obéir tant qu’il serait vivant; mais les louanges de Virgile et d’Horace le rendront vénérable à tous les siècles qui suivront le nôtre. Certainement, Mécène, si tous les rois étaient véritablement épris du désir de la gloire, ils devraient songer avec soin à s’acquérir l’affection de ceux que les Dieux ont choisis pour en être les distributeurs. C’est par l’histoire et par la poésie qu’ils peuvent arriver à immortaliser leurs noms et qu’ils peuvent prétendre de vaincre après leur mort et le temps et la fortune. Mais, entre ces deux illustres moyens qui conduisent à l’éternité, la poésie semble avoir un privilège particulier, de défier les hommes: elle est toute céleste et toute divine; le feu qui l’anime éclaire et purifie tous ceux dont elle fait les éloges et, sans abandonner la vérité, elle excuse les défauts et fait voir les bonnes qualités avec tout l’avantage qu’elles ont. L’Histoire nous montre la vertu toute nue et la Poésie la pare de ses plus beaux ornements. L’Histoire est si scrupuleuse qu’elle n’ose déterminer de rien: elle narre simplement les choses et n’en juge point; mais la Poésie juge souverainement de tout. Elle loue, elle blâme, elle punit, elle récompense, elle donne des couronnes et des châtiments, elle illustre ou noircit la vie de ceux dont elle parle et, pour dire tout en peu de paroles, elle a tout ensemble les avantages de l’Histoire et de l’Eloquence et elle dispose absolument de cette gloire immortelle qui est la plus noble récompense de tous les travaux des héros. Au reste, l’historien regarde tant de choses qu’il est presque impossible que le prince dont il écrit le règne ne soit comme enveloppé, parmi le nombre de ses sujets. Il doit sa plume à tous les criminels de ce temps-là aussi bien qu’à tous les illustres; il n’a point la liberté de choisir sa matière; il faut qu’il la prenne comme le temps et la fortune la lui donnent et le Prince et ses sujets sont si fort mêlés ensemble qu’on ne le peut presque jamais voir que dans les armées, dans les places publiques et dans la multitude populaire. Le poète, au contraire, sépare le prince d’avec le peuple; il choisit son objet et sa matière; il suit son héros jusqu’au tombeau; il ne parle que de ce qui lui plaît et parle néanmoins de tout quand il trouve qu’il est à propos. Enfin l’objet de l’historien, est simplement la vérité: et celui du poète; est la gloire et l’immortalité de son héros. Vous voyez que je ne suis pas éloignée de vos sentiments et que la conversation d’Auguste et de Mécène m’a donné assez de connaissance en toutes les choses qui regardent la poésie, pour en parler raisonnablement. Cela étant ainsi, je pense pouvoir dire, que les Rois devraient employer tous leurs soins, à se faire aimer des poètes et qu’Auguste vous est plus obligé de l’amitié d’Horace et de Virgile, que de l’Empire qu’il possède. Alexandre avait sans doute raison de porter envie au destin d’Achille, de ce qu’il avait eu l’avantage d’avoir Homère à chanter sa gloire; mais Auguste n’en aurait pas de se plaindre de son siècle, puisque les dieux lui ont donné pour amis, des Virgiles, des Horaces et des Mécènes. Il est pourtant certain que je tiens qu’il a quelque sujet d’accuser le destin de l’avoir contraint de bannir Ovide: vous savez toutefois, pour excuser l’empereur, le regret qu’il en a témoigné et combien il a eu de peine à vous refuser sa grâce. Je vous avoue, Mécène, que je crains que l’exil d’un si bel esprit ne soit un jour plus reproché à Auguste que toutes les proscriptions du Triumvirat. Ces hommes, qui peuvent noircir ou illustrer toute la vie d’un grand prince, doivent, ce me semble, être beaucoup craints ou beaucoup aimée et, soit par générosité ou par intérêt, ils devraient être en vénération à tous les rois de l’univers. Les vainqueurs ont beau faite élever des trophées, faire bâtir des arcs de triomphe, faire mettre leurs states dans les places publiques, faire graver de superbes inscriptions à leurs tombeaux, pour immortaliser leur gloire; toutes ces choses tombent successivement en ruine, se détruisent d’elles-mêmes, s’ensevelissent sous la terre et dans l’oubli et leur mémoire périt, avec les marbres qu’ils ont élevés. Mais, lorsqu’un poète véritablement digne de ce nom a entrepris la protection d’un héros, il est en état de défier l’envie, le temps, et la fortune. Rien ne saurait plus ternir sa réputation; son protecteur dément tous ses ennemis et, de siècle en siècle, il lui donne une nouvelle vie et lui acquiert un nouvel éclat. Les écrits de Virgile et d’Horace ne seront pas seulement glorieux à Auguste, par les endroits qui parlent de lui, mais par tout ce que l’on admirera en ces illustres auteurs. Ceux qui liront avec étonnement et admiration la divine Eneide de Virgile, trouveront le fort de ce prince, digne d’être envié, par tous les monarques du monde; d’avoir pu mériter la louange et l’amitié, du plus excellent homme, que tous les siècles aient jamais produit. Ceux qui liront les œuvres d’Horace trouveront qu’il est bien avantageux à Auguste d’avoir mérité la bienveillance d’un homme qui sait conduire l’esprit si agréablement à la vertu par la répréhension du vice et d’avoir eu néanmoins plus de part à ses odes qu’à ses satires. Toutes les fois qu je considère les avantages et les charmes de la Poésie j’en deviens plus passionnée et, si la bienséance de mon sexe me le permettrait, je dirais que la chasteté de Didon me plaît moins dans l’histoire, que sa faiblesse et son désespoir dans l’Eneide. Jugez donc, Mécène, si ceux qui savent rendre le vice si agréable ne peuvent pas faire paraître la vertu avec tous ses ornements? Et si ceux qui savent imposer des mensonges ne peuvent pas persuader la vérité? Vous savez, Mécène, que quelques uns sont assez hardis, pour assurer que le Scamandre n’est qu’un petit ruisseau et que Troie est au nombre des choses qui n’ont jamais été. Cependant Homère a trouvé de la foi chez toutes les nations: tous les héros qu’il introduit dans son Iliade ou dans son Odyssée ont leurs amis et leurs partisans et l’histoire la plus véritable n’intéresse point tant les lecteurs que l’un et l’autre de ces merveilleux ouvrages. Que les Princes apprennent donc de là, que ceux qui peuvent même immortaliser leurs fantaisies et leurs imaginations peuvent, à plus forte raison, les faire vivre éternellement quand ils s’en rendent dignes et par leur mérite et par leurs bienfaits. C’est sans doute à eux à chanter les victoires de leurs princes, mais c’est à leurs princes aussi à les faire jouir du fruit de leurs victoires. Ceux qui disent que les Muses ne veulent point l’abondance et que la solitude et la pauvreté ne sont pas inutiles à la production de leurs ouvrages perdront peut-être cette opinion quand ils sauront que les libéralités d’Auguste et de Mécène n’ont pas empêché que Virgile n’ait fait des chef-d’œuvres; qu’Horace n’ait acquis l’estime universelle; et que Tite Live n’ait mérité une gloire qui ne mourra point. En effet, il est aisé de comprendre, que ceux qui font de belles choses, lorsqu’ils ne travaillent que par nécessité feraient des miracles, s’ils ne travaillaient que pour la gloire seulement. Un si noble objet leur élèverait l’esprit jusqu’aux cieux, au lieu que la tristesse leur abat le cœur et les fait ramper sur la terre. Toutes les veilles qu’ils emploient à se plaindre de la fortune; à accuser l’injustice de leurs siècles; à blâmer l’ignorance des temps où ils vivent et à publier l’avarice de leurs princes seraient sans doute employées à de plus illustres sujets. Je sais bien que la solitude, les fontaines, les rivières, les prés, et les bois, ont toujours été regardés comme des lieux propres à la composition de beaux ouvrages; mais quand toutes ces choses seront à celui qui les fait je ne vois pas que ce soit un obstacle à sa gloire et, si je ne me trompe, il décrira mieux la beauté de sa prairie, que celle d’un autre; l’ombre de ses bois le défendra mieux de l’ardeur du Soleil que ceux de ses voisins; le bruit de ses fontaines lui donnera de plus agréables rêveries que celles du public ne lui en donneraient. Une rivière où il aura quelque droit, lui semblera plus propre à faire une belle description que s’il la regardait avec un œil indifférent et la solitude enfin, qui ne sera point par contrainte, lui donnera certainement de plus agréable idées que celles où il serait forcé. Il est vrai que les cabanes des berger, rendent un paysage plus agréable, mais comme les peintres quand ils sont adroits les placent toujours en éloignement; de même pour faire les choses selon la raison, il faudrait que les poètes ne vissent jamais de toit de chaume que dans leurs voyages, ou par les fenêtres de leurs palais. Car le moyen de s’imaginer qu’un homme qui passe toute sa vie dans l’incommodité, dans le chagrin et dans la solitude, puisse parler de l’abondance qu’il n’a pas, de la magnificence qu’il ne voit point, de la cour qu’il n’a jamais fréquentée, des rois qu’il ne connaît que par leurs noms seulement, de la guerre qu’il n’a vue que dans les livres, et de tant d’autres choses qui lui seront toutes étrangères, et toutes nouvelles s’il est vrai qu’il soit pauvre et solitaire? Croyez moi, Mécène, les poètes en cette rencontre sont comme les peintres, qui ne représentent parfaitement que ce qu’ils voient. Il faut donc que les Grands Princes, les aient toujours pour témoins de leurs actions, s’ils veulent qu’ils en laissent des tableaux à la postérité. Car le moyen de penser que ceux à qui on donne de justes sujets de plainte puissent louer de bonne grâce ceux qu’ils accusent secrètement dans leurs cœur? Le moyen - dis-je - de penser que ceux qui louent pour acquérir, louent avec autant d’ardeur que ceux qui louent pour remercier? non, Mécène, il est impossible que cela puisse être ainsi. Au reste, comme les songes sont pour l’ordinaire formés des pensées du jour, ces agréables rêveries, que la Poésie donne à ceux qui s’en mêlent quand ils sont heureux, perdent tout ce qu’elles ont de lumineux par le chagrin de leur auteur quand il ne l’est pas, et se ressentent toujours de sa mauvaise fortune. Il a beau faire effort pour se détacher de lui-même, il se trouve partout; il porte son chagrin jusque dans les cœur des héros dont il écrit la vie et n’écrit pas un vers que son cœur ne désavoue en secret. Enfin, Mécène, je suis persuadée qu’un poète riche et logé dans un beau palais fera plus aisément une peinture de la pauvreté et de la solitude qu’un pauvre logé dans une cabane n’en fera une de la magnificence de la cour, des vertus des rois, de la politique, et de toutes ces autres choses, qui ne s’apprennent parfaitement que dans la société des hommes et dans l’abondance. Il y a cette différence entre les riches et les pauvres, que les uns sont solitaires quand il leur plaît, qu’ils ont des rochers et des cabanes quand ils veulent; et que les autres ne peuvent avoir de palais, et que leur solitude est forcée. Et puis, qui peut comprendre, que la poésie que est le plus nobles effort de l’imagination n’aie pas en quelque façon besoin de beaux objets ou pour l’exciter, ou pour la divertir, ou pour la délasser? Ceux qui ont assigné aux muses, les bois et les rochers ont sans doute été de cette opinion sans que leur avis détruise toutefois le mien. Ils ont parlé de forêts et de rivières, parce que ces beautés universelles, sont au pouvoir de tout le monde; mais cela n’empêche pas que ces mêmes muses qui cherchent les bois ne puissent se promener dans un jardin cultivé. L’Art ne gâte point la nature, il la perfectionne et des arbres plantés régulièrement n’empêchent pas, si je ne me trompe, que les poètes ne travailles sous leur ombrage avec plaisir et avec gloire. Il est vrai, Mécène, que ces neuf belles-sœurs dont nos muses tirent leur origine n’habitent, à ce qu’on dit, que des bois et des montagnes, et ne se divertissent qu’auprès des fontaines; mais ces bois, ces montagnes et ces fontaines sont à elles: le Parnasse est de leur domaine; les eaux de Permesse en sont aussi et Apollon ni les Muses n’empruntent rien des autres divinités. Après tout, Mécène, il est de la grandeur des princes, non seulement de savoir vaincre leurs ennemis à la guerre; non seulement de savoir régner durant la paix; non seulement de se faire craindre à leurs voisins; non seulement de se faire aimer à leurs sujets; mais de faire encore qu’ils surmontent tout le reste des hommes en libéralité. Il faut qu’ils donnent en maîtres de l’univers; il faut que lors qu’ils font des présents, ils se regardent plutôt qu’ils ne regardent les autres et qu’ils proportionnent leurs dons à leur; grandeur seulement. Ceux qui reçoivent ont part à l’utilité mais, pour l’ordinaire, il n’en ont point à la gloire. Elle est toute à celui qui donne et, à parler raisonnablement, les plus glorieuses conquêtes que puissent faire les rois sont celles qu’ils font par la libéralité. A la guerre le succès est toujours douteux: il n’est point de combat si avantageux en son commencement dont la fin ne puisse être funeste. Mais ici l’on est toujours assuré de vaincre. Un prince libéral se fait des esclaves, des sujets et des amis tout ensemble de tous ceux à qui il donne et c’est seulement par cette voie qu’il peut mériter le rang des dieux. Mais entre tous les hommes les princes doivent choisir, pour le principal objet de leur libéralité, ces illustres dispensateurs de la gloire avec cette différence néanmoins que ce qui est une pure libéralité aux autres rencontres est reconnaissance en celle-ci; car que ne doit-on point à ceux qui donnent l’immortalité? Il y a eu autrefois des princes stupides, ignorants et avares, qui eussent pu laisser languir les muses dans la pauvreté, sans donner un juste sujet d‘étonnement. Mais si Auguste, ayant les lumières qu’il a en toutes les belles connaissances; aimant les beaux ouvrages au point qu’il les aime; faisant son divertissement de la poésie; étant amoureux de la gloire, comme il l’a toujours fait paraître; et faisant lui-même des choses, qui le peuvent mettre au rang des plus illustres auteurs; si Auguste, dis-je, ayant tous ces avantages ne donnait que médiocrement à ceux qui font profession des belles lettres; il serait déshonoré: et il lui serait presque moins honteux , d’être stupide, ignorant et avare tout ensemble, que d’être connaissant et n’être pas libéral. Mais, grâces aux Dieux, son inclination, et vos conseils, ont bien empêché que cette tache me noircisse un des beaux endroits de sa vie. Et pour savoir si Auguste a su le prix de toutes les belles sciences on n’aura qu’à considérer les récompenses qu’il aura faites à ceux qui les pratiquaient. Or, entre tous ceux qui se mêlent de ce merveilleux art, que les Dieux ont appris aux hommes, il faut avouer que ceux qui ont le cœur assez haut pour être capables d’entreprendre un poème héroïque, méritent le premier rang auprès des rois. Et c’est sans doute de ceux-là principalement qu’ils doivent faire une estime particulière. Car, de toutes les diverses espèces de poésie que nous admirons, cet ouvrage est le plus grand, le plus illustre, le plus difficile, le plus glorieux et pour celui qui le fait, et pour le héros qu’il choisit. A parler raisonnablement, le poème épique contient en lui seul, toutes les beautés des autres et quelque chose de plus. Ceux qui font des élégies éternisent plutôt leurs maîtresses, leurs passions, et leurs langueurs, que le mérite de leurs Princes. Le Odes ne font voir que des tableaux raccourcis où la plupart des choses ne se distinguent point: une seule action est quelque fois une trop ample matière pour cet ouvrage et ses bornes enfin sont trop resserrées pour se vanter de vaincre le temps et la fortune. Les églogues ne peuvent au plus que faire imaginer à la postérité que le règne était heureux, durant lequel les muses pouvaient s’employer, à faire parler des bergers, et non pas à se plaindre de la violence de leurs rois. Les satires, ces peintures hardies, où tout le monde trouve son portrait, ne peuvent être glorieuses aux princes que lorsque leurs images ne s’y trouvent point et, pour parler plis clairement, leur silence est la plus grande gloire qu’elles puissent donner. Les épigrammes pour la plupart ne font que des étincelles de diamants, dont la lumière quoique éclatante ne saurait éclairer la vie d’un grand prince: elles sont un simple jeu de l’esprit et de l’imagination qui, tout au plus, ne peut conserver la gloire que de celui qui s’est acquitté heureusement de cette sorte de travail. La Tragédie, qui certainement est un des plus nobles travaux des muses, quoi qu’elle se vante d’enseigner en divertissant, et qu’elle passe même parmi les plus doctes pour le chef-d’œuvre de cet art, ne doit pourtant pas être si considérable à un prince que le poème héroïque. Celui qui fait des tragédies travaille plus pour lui que pour son roi: il fait des tableaux, il est vrai, mais son maître me peut prétendre autre gloire en son travail que celle d’en avoir connu toute la beauté en conservant ces rares peintures avec soin et en les achetant magnifiquement. Il n’en est pas ainsi du poème épique: c’est véritablement lui qui défie les princes pour lesquels on le compose; toutes leurs vertus y paraissent avec éclat; leurs conquêtes y sont dépeintes en leur plus beau lustre; leurs défauts, s’ils en ont, y sont amoindris avec adresse; la fortune, la victoire, et la renommée, sont toujours de leur parti; ils n’ont point d’ennemis qu’ils ne surmontent; ils sont heureux, et en guerre et en amour; leur splendeur contre la coutume, retourne d’eux à l’origine de leur race; et, au lieu que les enfants ont accoutumé de tirer leur gloire de celle de leur prédécesseurs, ici les prédécesseurs au contraire, tirent leurs plus grands avantages de la vertu de leurs enfants. La bonté d’Auguste est cause que Virgile a éternisé la piété d’Enée: les conquêtes qu’il a faites feront vivre éternellement, celles de son devancier. C’est pour l’amour de lui que ce grand Poète a conduit cet illustre troyen, jusque sur le trône et, à parler véritablement, c’est lui qui l’a sauvé de l’embrasement de Troie, avec son père et ses dieux domestiques, puisque sans lui il serait sans doute demeuré enseveli sous ces superbes ruines; du moins la postérité n’aurait-elle non plus entendu parler de sa valeur que s’il n’eût jamais été. C’est donc aux princes à chercher avec soin dans leurs états ceux qui sont capables d’un si noble travail, afin que, les ayant trouvés, ils les obligent par leurs bienfaits à entreprendre un si grand ouvrage. Ceux qui font parler Hector, Achille, ou Agamennon dans une tragédie avec le même esprit qu’Homère leur a donné, seraient sans doute capables d’achever une si longue entreprise avec gloire si on les y obligeait de bonne grâce. Mais ce n’est pas à eux à s’engager dans une si longue course, s’ils en sont assurés de trouver un prix au bout de la carrière. Ceux qui couraient aux jeux Olympiques trouvaient des couronnes au bout de la lice; pourquoi donc voudrait-on qu’un homme employât ses soins, ses veilles, sa jeunesse et toute sa vie à un poème, sans y prétendre autre avantage que sa seule gloire de l’avoir fait? non, Mécène, il ne serait pas juste, et je dis encore une fois que c’est à un prince à choisir, celui qui doit chanter ses victoires; que c’est à lui à le rendre heureux s’il veut qu’il le rende immortel et c’est enfin à lui à faire ce qu’Auguste et Mécène; ont fait pour l’incomparable Virgile. voyez - comme je pense vous l’avoir déjà dit - que je ne m’éloigne pas de vous sentiments et que la conversation d’Auguste et la vôtre m’ont rendue assez savante en poésie pour avoir osé vous en parler. Que si toutefois vous en êtes surpris vous en trouverez aisément la raison, quand vous considérerez qu’il s’agit de la gloire de l’empereur. C’est pour elle que j’ai examiné toutes ces choses et c’est pour elle que je vous conjure de continuer à l’entretenir dans une si belle inclination. Poursuivez donc, Mécène, un si noble dessein: enrichissez toutes nos muses des trésors d’Auguste; à l’imitation des dieux, donnez leur de l’or pour de l’encens; et sachez que quand vous leur feriez donner des royaumes, ils vous donneraient encore davantage. Oui, Mécène, vous régnerez sur tous les illustres de tous les siècles et, si les conjectures ne me trompent, votre nom sera si vénérable à la postérité, principalement parmi les savants que tous ceux qui se rendront leurs protecteurs, tiendront à honneur de le porter. On les nommera les Mécènes de ces temps-là et, de siècle en siècle, cette gloire se renouvellant toujours, votre nom sera en la mémoire et en la bouche de tous les hommes aussi longtemps que le soleil éclairera l’univers.

EFFET DE CETTE HARANGUE

Je ne sais quel effet aura cette Harangue parmi les Grands de notre siècle, mais je sais bien qu’elle l’aura très avantageux, si leur magnificence approche, de celle d’Auguste et de Mécène. L’un ni l’autre de ces grands hommes n’avait besoin que l’on excita sa libéralité: aussi n’a-t-on parlé d’eux, qu’afin de parler à d’autres et le sens littéral, n’est que le prétexte de l’allégorique.

 

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