
Just for Ambitious
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Calpurnie à Lépide
César est vengé, Lépide; le dernier de ses bourreaux a perdu la vie; et tous les Romains ont un maître. Ils donnent eux-mêmes à Auguste, la Souveraine puissance, qu’ils eussent refusée au Grand César, ‘il eût été capable de la demander: et pour punition de leur crime, ils forgent de leurs propres mains, des chaînes que non seulement ils doivent porter; mais qui par droit de succession, passeront jusqu’à leurs neveux. Oui, Lapide, les Romains pour avoir injustement accusé César, de vouloir être leur Tyran, éprouveront si je ne me trompe, tout ce que la plus cruelle Tyrannie peut faire éprouver. Nous voyons déjà qu’Auguste n’a point d’Enfants, et que Tibère a des inclinaisons, à commencer bientôt ce que je dis. Et puis, la connaissance que j’ai de l’innocence du premier des Césars, me fait presque voir avec certitude, les malheurs qui doivent accabler Rome. Les Dieux sont trop justes, pour ne châtier pas avec rigueur, ceux qui ont massacré le Père de la Patrie, et le Protecteur de la liberté. Oui, Lépide, le Grand César méritait véritablement ces deux glorieux titres: et ne méritait point du tout, le traitement qu’il a reçu. Certes je m’étonne que les Romains aient si mal expliqué ses intentions, puisque toute sa vie a fait voir, qu’il aimait la liberté: et que même les plus grands crimes dont on l’accuse, sont un effet de la forte passion, qu’il avait dd la conserver. Vous savez, Lepide, que dès ses plus tendres années, il témoigna être ennemi de Silla, et par conséquent de la Tyrannie. Il fut regardé en ce temps-là, comme un Citoyen trop passionné pour la liberté; et il fut contraint de se cacher, et même de se retirer de Rome, pour éviter les embûches, que l’on dressait à sa vie. Depuis cela, il accusa Dolabella, et le poursuivit avec ardeur, pour avoir trop souverainement agi, au Gouvernement de la Province; et par cette action fit assez connaître, qu’il n’approuverait pas en lui, ce qu’il condamnait aux autres. En effet, tant qu’il fut Préteur, il n’arriva nul désordre en la chose Publique: quoi que ce fut le temps, où il devait plutôt faire paraître, ses mauvaises intentions: puisque cette charge était la plus importante, qu’il eût encore possédée. Cependant il n’en abusa point: il fit toutes les choses avec prudence, et avec modération. Et ses ennemis même, n’ont pu lui rien reprocher en cette rencontre. Aussi, à parler raisonnablement des choses, César n’a jamais rien fait, qu’agrandir la puissance Romaine, n lui faisant tous les jours de nouvelles conquêtes; que hasarder sa vie en mille occasions différentes; et que s’opposer généreusement, à tous les Tyrans qui ont voulu usurper la domination. Il n’a point regardé s’ils étaient ses parents ou ses alliés: et dès qu’il s’est agit du bien public, il n’a plus considéré ses intérêts particuliers. En vérité, Lepide, toutes les fois que je me souviens, de ce que César a fait pour les romains, et de ce grand nombre de victoires qu’il a remportées, ou contre leurs ennemis, ou contre leurs Tyrans; je cois d’abord, que ma mémoire me trompe: et qu’elle me présente tout à la fois toutes les belles choses qui se sont faites, depuis le commencement des siècles. E ne puis, dis-je, penser qu’une même personne, ait tant entrepris de choses, ait tant achevé de glorieux dessins, ait tant fait de conquêtes, ait tant donné de Batailles, ait tant hasarde sa vie, ait tant échappé de périls; et qu’elle n’ait pas vécu plus longtemps que les autres. Cependant vous savez, Lepide, que César a fait plus que je ne dis, quoi qu’il n’ait vécu que cinquante-six ans: et pour repasser seulement une partie de ses victoires, et des belles choses q’il a faites, avant que d’entreprendre de le justifier; souvenez-vous de ce qu’il fit en Espagne. Il subjugua les Callaeciens, et les Lusitaniens jusqu’à l’Océan, où les Romains n’avaient jamais été. La conquête des Gaules comme vous le savez, a immortalisé sa gloire: car en moins de dix ans, il a pris ou pas composition ou par assaut, plus de huit cent villes; surmonta trois cent Nations différentes; et ayant vu devant lui en bataille rangée, plus de trois millions d’hommes armés en plusieurs rencontres; il en tua plus d’un million, et en prit bien autant de prisonniers. (Ô César, ô illustre vainqueur, faut-il que le poignard d’un traître, et d’un ingrat, vous ait fait perdre la vie!) mais je ne suis pas encore, à la dernière de ses victoires: cette fameuse bataille qu’il donna sur les bords du Rhin à Ariovistus, et où il mourut plus de quatre-vingt mille hommes, fait assez voir, que les vainqueurs ne sont jamais las. Du reste, César n’a pas toujours vaincu avec facilité: il a vu quelque fois la victoire voler sur le champ de es ennemis, et la Renommée être toute prête, de publier sa défaite: mais sa seule valeur els a toujours forcés de revenir de son parti. L’aventure des Nerviens, fait assez voir ce que je dis: tous les Romains étaient défaits; et peu s’en fallait que les autres ne fussent Maîtres du champ de bataille, lorsque César se jeta seul, au milieu des ennemis, l’épée à la main, et un bouclier au bras gauche: et par cette action digne de César, il mérita de vaincre ceux qui avaient presque déjà vaincu les siens. Depuis cela, il passa le premier le Rhin; il fut le premier qui navigua sur l’Océan Occidental avec une armée; il conquit l’Angleterre, que l’on n'avait pas même, qui fut en l’être des choses: et porta les armes et la gloire de Rome, en des lieux où le nom des Romains n’avait jamais été. La fameuse prise d’Alexia, n’est pas une des moindres actions de César: il se vit [vid] en tête une Armée de trois cent mille hommes, pour lui faire lever le frege: mais comme il avait autant de prudence que de cœur, il partagea son Armée et agit avec autant d’adresse que ceux qui demeurèrent devant Alexia, ne surent point qu’il venait un puissant secours à cette ville. Ils ne surent point, dis-je, qu’ils étaient fermée entre de puissants ennemis, jusqu’à tant que César les eut défaits: et que Vercingentorix qui était dans cette place, se fut rendu à cet Illustre vainqueur. [Ha] certes après cela je ne doute point que l’Histoire ne dise [die] un jour, qu’il a surmontés les Héros: Oui, Lepide, qui lui voudra comparer, les grandes qualités des plus illustres, trouvera qu’il les a surpassées. Les Fabiens, les Scipions, les Metelles, et ceux même de son temps, comme Silla, Marius, les deux Luculles, et Pompée, sont ses inférieurs en toutes choses. Il surmonte l’un par la difficulté des pays qu’il a conquis; le second par l’étendue des Nations qu’il a mises sous la domination Romaine; le troisième par a multitude des ennemis qu’il a défaits; l’autre par la fierté des peuples auxquels il eut affaire et qu’il lui fallut vaincre, et enseigner tout ensemble; l’autre, en douceur, en clémence, et en humanité envers ceux qu’il avait vaincus; le dernier en magnificence, et en libéralité envers ceux qui combattaient sous lui; et tous ensemble, en nombre de batailles qu’il a gagnées; en nombre d’ennemis qu’il a défaits, et en nombre de vertus qu’il a pratiquées. Voilà Lepide, les victoires que les Romains ne peuvent disputer à César. Ils lui doivent tout le sang qu’il a répandu, e tant de rencontres où il s’est trouvé. C’est pour eu qu’il a combattu; c’est pour eux qu’il a hasarde sa vie; c’est pour eux qu’il a vaincu; c’est pour eux qu’il a conquis tant de pays; et il ne se trouve personne, qui jusqu’au passage de ce fameux ruisseau, que César traversa pour venir à Rome, ou pour mieux dire, pour venir contre le Tyran de Rome; il ne se trouve, dis-je, personne qui ne tombe d’accord, que la République devait beaucoup à César. Or Lepide, je prétends vous montrer aujourd’hui, que les autres victoires que César a remportées sont celles dont les Romains sont les plus obligés. Je prétend vous faire voir, que César n’a jamais plus fortement témoigné la passion qu’il avait pour la liberté et la haine qu’il avait pour la Tyrannie: que lorsqu’il a combattu, et qu’il a vaincu Pompée. Mais pour reprendre les choses en leur source, il faut accuser Pompée pour justifier César: et faire voir que comme l’un a toujours témoigné être le protecteur de la liberté, l’autre a toujours fait paraître qu’il aspirait à la Tyrannie. Tout le monde a su que Pompée fit tant de choses pour usurper la domination, que pour empêcher qu’il n’entreprit davantage, on fut contraint de le déclarer seul Consul: et les Romains aimèrent mieux en cette occasion satisfaire sa vanité en quelque sorte, que de s’y opposer directement. Pour César, ils n’en usèrent pas ainsi: car bien loin de lui accorder de nouveaux honneurs, ils lui refusèrent avec outrage, les choses justes q’il demandait. Lentullus Partisan de Pompée, chassa honteusement Antoine et Curion, qui furent contraints de se déguiser en esclaves, pour retourner en sûreté vers [devers] César: et tout cela, Lepide, parce que César avait demandé par eux, la continuation du Gouvernement des Gaules qu’il avait conquis. L’injuste refus qu’on lui en fit, ne port pourtant point à d’injustes desseins: il connut en cette occasion que Pompée ne demandait son retour à Rome que pour le perdre; que Pompée le regardait comme son ennemi; et comme le seul obstacle qui pouvait l’empêcher d’arriver à la souveraine puissance, où il prétendait depuis i longtemps. César voulut donc songer tout à a fois, à la conservation particulière, et au bien public: il voulut désarmer son ennemi et l’ennemi de Rome, et se désarmer lui-même. Il fit donc dire au Sénat, pour faire voir la pureté de ses intentions, qu’il était tout prêt de quitter le gouvernement des Gaules, qui lui avait tant de fois fat exposer sa vie; qu’il était tout prêt de mettre les armes bas; qu’il était tout prêt de venir rendre compte de ses actions; qu’il était tout prêt de renoncer absolument à toutes formes d’autorité; pourvu que Pompée mit les armes bas aussi bien que lui; et qu’il vécussent tous deux en personnes privées. Il me semble que ces propositions n’étaient pas Tyranniques: les Tyrans ne s’exposent jamais à de semblables choses: et la procédure de Pompée a bien fait voir ce que je dis. Si César lui eut proposé de partager la souveraine puissance avec lui, il l’aurait peut-être écouté plus favorablement mais, parce qu’il voulait le mettre en état de ne pouvoir plus aspirer à la Tyrannie, il ne put souffrir une proposition si juste: il fit des Brigues pour empêcher que le Sénat ne se portât à la raison et pour lasser entièrement la patience de César, il fit comme je vous l’ai déjà dit et comme vous le savez, que l’on chassa ceux qu’il avait envoyé avec ignominie. On le traita d’ennemi du bien public: et Pompée qui ne cherchait qu’à brouiller les choses pour perdre César, et profiter des malheurs d’autrui, aima mieux ruiner sa Patrie que changer ses mauvais desseins. Tous les Sénateurs trouvèrent les propositions de César équitables; car il leur faisait remontrer que s’ils voulaient qu’il quittât les armes et que PomPée ne les quittât point: c’était lui donner moyen d’arriver à la Monarchie: mais que demandant qu’il fût ordonné qu’ils les quittent tous les deux, c’était demander une chose également utile à tout le Monde, et qui ne devait point fâcher Pompée, s’il était vrai qu’il n’eût point de mauvaises intentions. Scipion son beau-père et Marcellus son Ami, n’avaient garde d’y consentir, aussi furent-ils presque les seuls, qui empêchèrent que César n’obtint ce qu’il demandait: et ils parlèrent si hautement pour l’intérêt de Pompée, que le Sénat, n’ayant rien pu résoudre, l’on ordonna un deuil public, pour cette dissension particulière, César ne se laissa pourtant point: il écrivit encore deux fois; il fit deux fois des propositions équitables; et toutes les deux fois la Brigue de Pompée fut la plus forte. Au reste, je ne sais pas comme l’on pourrait accuser César, de songer ò usurper la souveraine Puissance: puisque quelque temps auparavant les dernières injures qu’on lui avait faites, Pompée lui ayant envoyé redemander quelques troupes qu’il lui avait baillées; César les lui renvoya sans s’en faire presser: témoignant assez par cette action, qu’il ne craignait pas d’affaiblir ses forces, ni d’augmenter celles de ses ennemis: et faisant voir par conséquent, qu’il n’avait point de desseins cachés. Et puis, où sont les grands préparatifs de guerre que César aurait faits, pour une si grande entreprise? où sont les intelligences qu’il aurait pratiquées dans Rome, où dans les autres villes? où sont ces grandes Armées, où ce grand nombre de machines, pour les batailles qu’il devait donner, où pour les sièges qu’il devait faire? non Lepide, César n’avait rien de toutes ces choses: et lorsque Curion et Antoine arrivèrent auprès de lui déguisés en esclaves: qu’ils lui apprirent l’indigne traitement qu’ils avaient reçu en leur personne, et les mauvais desseins que Pompée avait, et contre la sienne, et contre la République: il n’avait auprès de lui, que cinq mille hommes d’Infanterie et trois cent Chevaux. Vous semble-t-il Lepide que ces troupes fussent propres pour un dessein de cette importance? si César eût eu cette intention, il aurait sans doute levé une plus puissante Armée, il aurait trouvé des prétextes pour cela; il était trop prudent, pour avoir entrepris une semblable chose, sans avoir cherché dès longtemps auparavant, les moyens de la faire réussir. Ce ne fut donc point un dessin prémédité, qui lui fit passer e ruisseau, qu’il a rendu si fameux par son passage: ce fut tout ensemble un sentiment de colère, de honte, et de dépit: avec un désir ardent de se venger de son ennemi, et de détruire un homme, qui non seulement voulait le détruire, mais détruire encore la République. Il partit donc sans préméditation aucune: et l’équité du Ciel conduisant tous ses desseins, il se rendit Maître de l’Italie en soixante jours, sans avoir répandu le sang de ses Citoyens. Quant à Pompée, il parut bien dans sa conduite que le remords de la conscience, lui fit entendre le bon sens: ce ne fut plus ce Grand Pompée qui lorsqu’il n’avait eu que de légitimes desseins, et qu’il avait servi la République, avait témoigné tant de prudence et tant de cœur. Il perdit l’un et l’autre en cette rencontre: car quoi qu’il eut beaucoup plus de gens de Guerre que César, et qu’il eut l’avantage d’être dans Rome; il ne suit pourtant pas plutôt, qu’il avait passé le Rubicon, qu’il s’enfuit en tumulte: sans donner même le loisir d faire les sacrifices aux Dieux, pour apaiser cet Orage. Mais la connaissance qu’il avait de ses mauvais desseins, faisait qu’il croyait sans doute qu’il ne lui seraient pas favorables: aussi se trouva-t-il plusieurs personnes, qui dans un trouble si grand, perdirent le respect qu’on lui aurait toujours porté. On se souvint en cette occasion, qu’autrefois on lui avait entendu dire, qu’en frappant du pied contre la terre, il en ferait sortir des Soldats. Cette façon de parler, qui sentait la Tyrannie, lui fut reprochée: et un des Principaux de Rome, voyant son étonnement, lui dit avec beaucoup de hardiesse, frappe maintenant la terre, pour accroître ton Armée, et pour t’opposer à César. On lui reprocha aussi son ambition et son injustice: et les choses que l’on dit contre lui en cette rencontre, font assez voir que Pompée était le Tyran et que César était le Protecteur. En effet, il ne fut pas plutôt à Rome, qu’il traita humainement tous les Sénateurs: il les pria avec douceur, de vouloir pacifier les choses: et leur proposa encore une fois des articles de Paix, très justes et très raisonnables, afin de les faire agréer à Pompée. Mais comme ils savaient sans doute, que Pompée voulait être tout ou rien; ils ne le firent point, et s’en excusèrent envers César. Or, Lepide, quand cet Illustre Héros fut crée Dictateur, donna-t-il quelques marques, qu’il avait dessein d’aspirer à la Tyrannie? nullement; il rappela les bannis; remit en honneur les enfants de ceux qui avaient été proscrits du temps de Silla qui était Tyran; et onze jours après, se démit volontairement de la Dictature, se contentant du Consulat, avec Seruilius Isauricus. Après cela, Lepide, dira-t-on que César était un Tyran, et que Pompée était le Défenseur de la liberté? Mais achevons de repasser son Illustre vie en peu de paroles, pour avoir plus de loisir de plaindre sa mort. Vous vous souvenez sans doute, de tous les artifices dont Pompée se servit pour éviter de combattre César, et tirer les choses en longueur: et certes ils furent si visibles, et son ambition fut si connue, que les soldats même disaient hautement, qu’il ne faisait durer la Guerre, que pour faire durer son autorité. En effet, il savait que vainqueur ou vaincu, il faudrait quitter la puissance Souveraine, ou lever tout à fait le masque, qui le cachait à une partie des Romains. Pour César, qui se confiait en l’équité de sa cause, et en celle des Dieux, il cherchait son ennemi; il ne craignait point de l’attaquer et de le combattre; il n’aurait rien en son cœur qui lui reprochait de crime; il savait qu’il [vageoit] voyait Rome en se Vengeant; et qu’en se délivrant de son adversaire, il délivrerait Rome d’un Tyran. L’espérance qu’il avait au Ciel ne fut pas trompée: il gagna la bataille, et Pompée la perdit. Cet homme qui avait tant été favorisé de la Fortune, tant qu’il avait été innocent, en fut abandonné dès qu’il fut criminel. Il ne sut plus ni combattre ni vaincre: et ne sut pas même être vaincu en homme de cœur. Aussitôt que les siens eurent du pire en la bataille de Pharsale, au lieu de les animer pas son exemple, il s’en alla dans sa Tente, sans savoir presque ce qu’il disait: et comme il sut que les choses allaient toujours plus mal pour lui; que ses retranchements étaient forcés; et que César s’approchait, quoi (dit-il tout effrayé) jusque dans notre Camp! et après avoir parlé de cette sorte, il s’enfuit une seconde fois, et abandonna tous ceux qu restaient de son parti. Il lui eut pourtant ce me semble été plus glorieux, de mourir par les Armes de César, que de l’Epée du Traître Septimius, qui avait autrefois commandé sous lui: mais comme ce grand homme avait dans le cœur la haine, le remords, le repentir, la honte d’être vaincu, et l’ambition; il ne faut pas s’étonner, si perdant l’espérance de Régner, il perdit enfin la raison. Mais après avoir vu que César savait l’Art de vaincre, voyons je vous prie, Lepide, s’il faisait bien user de la victoire; s’il fut inhumain ou clément; s’il fut juste ou rigoureux; s’il fut Tyran, ou s’il fut Citoyen Romain. Aussitôt que le Champ de Bataille lui fut demeuré, et que l’ardeur qu’il avait eue à combattre se fut alentie; comme il vit à l’entour de lui, ce grand nombre de soldats morts qui l’environnaient, il versa autant de larmes, qu’il leur avait fait verser de sang. Ô Dieux (s’écria-t-il en pleurant,) vous savez qu’ils l’ont ainsi voulu, et qu’ils m‘ont contraint d’être leur vainqueur! car César après avoir remporté tant d’Illustres victoires, eut sans doute été blâmé, sil eut abandonné son Armée. Tout autre vainqueur que César, eut versé des larmes de joie, après avoir gagné la bataille: mais pour lui il ne pouvait se réjouir de la victoire, parce qu’elle avait coûté le vie, à quelques uns de ses Citoyens. Croyez-moi, Lepide, les Tyrans ne pleurent point leurs ennemis: et la clémence et la pitié, sont des sentiments qu’ils ne connaissent guère. Cependant vous savez, que César pardonna presque à tous les siens [si?s]: il eut même u soin particulier, de faire chercher ce perfide qui depuis lui a fait perdre la vie: et le Traître Brutus s’étant venu rendre à lui, il le traita comme s’il eut été son fils. Hélas il me semble que je vois on cher César, aller de sang en sang demandant aux siens des novelles de Brutus; regarder parmi les morts, s’il n’y était point en état d’être encore secouru; et faire toutes choses possibles pour sauver celui, qui par une ingratitude effroyables, lui a mis un poignard dans le sein. Ô Dieux, est-il possible, que César ait pu si mal choisir! qu’entre tus les Romains, il ait plus aimé son meurtrier qu’aucun autre! et quels Dieux qui ont témoigné avoir un soin si particulier de sa vie, ne l’aient pas averti, que celui qu’on aimait plus que tous les hommes, ferait envers lui, le plus cruel de tous les hommes! mais il n’est pas encore temps, de parler de l’ingratitude de Brutus: la clémence et la bonté de César me fournissent une trop belle matière, pour l’abandonnés si tôt: et pour faire voir le crime de ses assassins aussi grand qu’il est, il faut faire paraître ses vertus, avec tout l’éclat qu’elles avaient. Les Tyrans ont quelque fois mis la tête se leur ennemis à prix; ils ont promis une abolition de toutes sortes de crimes, à ceux qui les leur apporteraient et quand on les a quelquefois satisfaits, ils ont regardé ce funeste présage avec joie. Mais pour César, il n’en va pas ainsi: il ne voulut point voir celle de Pompée; il pleura avec amertume; il traita ignominieusement celui qui la lui présenta; et le mit en nécessité, d’avoir recours à la fuite pour sauver sa vie. Pour moi, je trouve cette action plus glorieuse pour César, que d’avoir vaincu Pompée: car il n’était pas seul à combattre, mais il était seul à pleurer son ennemi. Au reste, il témoigna bien, qu’il n’avait pas tant regardé Pompée, comme le sien particulierment que comme celui de la République: car non seulement il pardonna à tous ceux de son parti qui se voulurent rendre; mais il prit un soin particulier, de tous les amis de Pompée: et fit voir par là, qu’il ne haïssait pas sa personne, mais qu’il avait seulement voulu détruire, ses injustes et pernicieux desseins. Un autre que César après avoir vaincu, aurait songé à sa sûreté: en aurait banni quelques-uns; en aurait fait mourir d’autres; et se serait défié de tout le reste: mais pour lu, il ne songea qu’à cueillir les débris, du naufrage de Pompée. L’on eut dit que c’eut été son Armée qui avait été défaite; et qu’il demeurait en ce lieu-là pour rallier les Troupes; tant il témoignait de douceur et de bonté, à ceux qui venaient se mettre sous ses Enseignes. Aussi écrivit-il à Rome, que le plus doux fruit qu’il recevait de la victoire, était qu’il sauvait tous les jours la vie, à quelques-uns de ses Citoyens. Ô Lepide, les Tyrans ne parlent point ainsi! Au reste, pour montrer la droiture de ses intentions, et faire voir que sa victoire n’avait pas été un caprice de la Fortune, mais un effet de la volonté des Dieux; il ne cessa pas d’être heureux, dans les autres choses qu’il entreprit. La Guerre d’Egypte, et celle d’Arménie, d’où il écrivit à Rome, qu’il était venu, qu’il avait vu, et qu’il avait vaincu; fait assez voir ce que je dis. Depuis cela, en une seule journée, il se rendit Maître de trois Camps; tua cinquante mille hommes; et ne perdit que cinquante soldats. A votre avis, Lepide, était-ce le bras de César qui combattait ainsi, ou plutôt ce n’était pas celui des Dieux? cette Illustre victoire, ne le rendit point plis inexorable que les autres: car comme on lui eut dit, que Caton s’était tué de sa propre main, ô Caton! s’écria-t-il; que je porte ennui à ta mort, puisque tu m’as ennuyé, la gloire de te sauver la vie! on dira peut-être, que si Caton eut vécu, César n’eut pas fait ce qu’il disait: mai il est aisé de s’imaginer, que celui qui avait pardonné à Brutus et à Cicéron qui avaient porté les armes contre lui; aurait aussi pardonné à Caton. Mais Lepide, je ne veux point que l’on juge de César, par la connaissance que j’en aurais; je ne veux point que l’on juge de César par ce qu’en disent ses amis: mais je veux seulement que l’on en juge, par les honneurs que lui ont rendu tous les Romains, et durant sa vie, et après sa mort. Et certes ce ne fut pas sans raison, que l’on bâtit un Temple de la clémence, pour reconnaître la sienne: puisqu’il ne fut jamais un vainqueur, qui sut si parfaitement pratiquer cette vertu. Mais dites-moi de grâce, Lepide, comment il est possible, que ces mêmes Romains, qui depuis la fin de la guerre, ne peuvent reprocher à César, nul acte de Souverain; comment est-il dis-je possible, que ces mêmes hommes, qui bâtirent ce Temple de la clémence, par la connaissance qu’ils avaient de la bonté; aient pu l’appeler Tyran? On pourrait trouver dans l’Histoire qu’autrefois on a élevé des Arcs de Triomphe à des Tyrans; que par leurs ordres, et par leur violence, on a mis leurs statues jusque sur les autels: mais que par une volontaire reconnaissance, l’on aie bâti des Temples à leur gloire, et des Temples de la clémence; c’est ce que l’on ne trouvera point en tous ces siècles, et ce que l’on ne trouve point en César: ça enfin il n’était point Tyran, et il méritait sans doute, plus qu’on ne lui a rendu. Ne vous souvient-il point, Lepide, de ce jour, où il fit redresser les Statues de Pompée, et où Cicéron dit qu’en les relevant, il avait assuré les siennes? cette action fut alors trouvée, aussi belle qu’elle l’était: tous les Romains ne parlaient d’autre choses: et tombaient tous d’accord, que César était le plus grand, et le plus illustre de tous les Héros. Et certes, en cette occasion, César paraissait aussi équitable que généreux: car comme ces Statues, avaient été élevées à Pompée, dans le temps qu’il servait la République; il ne voulut pas qu’on lui ôtât une marque d’honneur, qu’il avait effectivement méritée. Au reste, les Tyrans ne sont jamais en assurance: ils craignent toutes choses, et ne se fient à personne: ils se jugent eux-mêmes, dignes d’une mort violente: et par les soins qu’ils apportent à l’éviter, ils font connaître, qu’ils savent qu’ils la méritent. Mais pour César, comme il se fiait en son innocence, il se fiait aussi à tout le monde: car il mit Brutus et Cassie en autorité en les faisant Prêteurs, et ne voulut apporter nul soin à sa sûreté. Hé plut au Ciel, qu’il eut suivi le conseil de ses amis en cette occasion! mais il était trop généreux, pour être capable de cette sorte de prudence, qui ressemble si fort à la craint, qu’elle produit bien souvent les mêmes effets. Et puis, il croyait qu'en faisant connaître aux Romains, la sincérité de ses intentions, il n’aurait point besoin d’autre prévoyance pour sa sûreté. Il ne perdit donc pas une seule occasion de leur témoigner, qu’il préférait la qualité de Citoyen Romain à toute autre: car comme vous savez, un jour qu’il revenait d’Albe, quelques uns en le saluant, l’appelèrent Roi; mais il leur répondit, qu’il s’appelait César et non pas Roi. Oui César, vous aviez raison de préférer ce nom à celui de Roi: vous l’aurez rendu si Illustre, que vous ne le pouviez quitter sans perdre au change: il fallait après avoir vécu en César, mourir en César. Vous vous souvenez encore, Lepide, que quand le Sénat lu décerna de nouveaux honneurs, il dit avec une modération extrême, que ces honneurs avaient plutôt besoin d’être retranchés qu’augmentés: et vous n’ignorez pas non plus, que lorsqu’Antoine par un zèle inconsidéré, fut lui présenter le bandeau Royal, il le refusa par deux fois: et qu’il commanda qu’on le portât à la Statue de Jupiter: Comme voulant dire, que les Romains en devaient être commandés, que par les Dieux seulement. Que pouvait-il faire davantage en cette occasion, pour témoigner aux Romains, qu’il n’aspirait point à la Tyrannie, que de refuser publiquement, la marque de la Royauté? voulait-on qu’il fit mourir Antoine pour ce crime? non, il n’eut pas été juste: et celui qui avait pardonné cent crimes à ses ennemis, devait aussi pardonner, ce zèle inconsidéré à l’un de ses amis. Je sais bien que les Partisans de Pompée ont dit, que César avait contribué à quelques honneurs excessifs qu’on lui avait rendus, afin d’effrayer la volonté du peuple: mais sachez, Lepide, que s’il y eut contribué, c’eut été avec dessein de se refuser, pour justifier ses intentions. Ha Lepide, à parler véritablement des choses, les amis, les flatteurs, et les ennemis de César, sont ceux qui tous ensemble, l’ont accablé ace les Couronnes de fleurs, qu’ils ont jetées sur lui. Les premiers,par un excès d’affection; les autres, par le désir de plaire et de s’agrandir; et les autres, par le dessein de donner un prétexte au peuple, de murmurer contre César; et quelque couleur, à la méchanceté qu’ils tramaient contre lui. Mais dites-moi, Lepide, que pouvait faire César autre chose, que refuser les honneurs qu’on lui offrait? Au reste, si César eut voulu être Roi, il ne lui eut pas été impossible: le même bras qui lui avait fait Conquérir tant de Pays, et remporter tant de victoires, lui aurait assuré l’Empire. Il était trop bien instruit des choses du monde, pour croire que par la douceur, et par le suffrage de tous les Romains, il put arriver au Trône: il savait sans doute, qu’on arrache les Couronnes, et qu’on ne les donne point; et s’il eut eu intention de se faire Roi, il aurait employé la force et non pas la douceur. La Gaule lui eut fourni une assez puissante Armée pour cela: et puisqu’avec cinq mille hommes de pied et trois cent Chevaux, il avait fait fuir Pompée, et s’était rendu Maître de toute l’Italie; il ne lui eut pas été plu difficile, après la bataille de Pharsale, d’usurper la Souveraine autorité. Les Gaulois l’auraient suivi avec joie, et seraient venus dans Rome, reprendre le Butin, que les légions Romaines, avaient autrefois pris sur eux. Enfin, Lepide, il aurait agi en Tyran et en usurpateur, et non pas en Citoyen. J’avoue bien que César voulait Régner, mais c’était dans le cœur des Romains, et non pas dans Rome: il leur faisait tous les jours de nouvelles grâces; il ne songeait qu’à leur repos, à leur félicité, et à leur gloire: et dans le même temps qu’ils méditaient sa mort, il employait tous ses soins, à les faire vivre heureux. Fut-il jamais, Lepide, un Héros plus Illustre que César? repassez toute sa vie avec soin, vous n’y trouverez pas une seule tache, et vous y trouverez toutes les vertus avec éclat. Les victoires qu’il a remportées, n’ont pas été de celles que la Fortune donne aveuglement, à ceux qui se confient absolument en elle: il les a gagnées, et par valeur, et par raison: et lorsqu’il a donné quelque chose au hasard, c’était que la raison le voulait ainsi. Cette fermeté d’Ame, qu’il a toujours témoignée, en tous les périls où il s’est exposé pour le République, est une chose incompréhensible: il a toujours vu d’un même visage, la bonne et la mauvaise Fortune: l’amour, la colère, la haine, la vengeance, et l’ambition, ne l’ont jamais porté à aucune faiblesse: il a toujours été Maître des ses passions, et ne s’est jamais laissé surmonter que par la clémence. Cependant, il s’est trouvé des hommes; il s’est trouvé des Romains; qui ont été assez méchants pour regarder César comme un Tyran. Mais non, Lepide, la chose n’a pas été entièrement ainsi: la haine particulière, que Cassie portait à César, à cause qu’il avait préféré Brutus à lui, en le désignant Consul à son préjudice, fut ce qui fit la conjuration. Ce ne fut point pour avoir violé les lois Romaines: ce ne fut point pour avoir mal traité les Sénateurs: ce ne fut point pour avoir fait mourir des Citoyens: ce fut seulement pour venger Cassie. Mais si César devait mourir, pour avoir préféré Brutus à Cassie, ce ne devait point être Brutus, qui devait poignarder César pour venger Cassie, que César n’avait outragé, que pour obliger Brutus. Non, Lepide, quand César aurait été ce qu’il n’était pas, je veux dire le plus cruel Tyran qui fut jamais: ‘épée de Brutus, ne devait point être teinte de son sang: et ce devait être le dernier de tous les Romains à l’abandonner, après ce qu’il avait fait pour lui. Hé qu’on ne me dise point, que plus il parait ingrat envers César, plus il parait reconnaissant envers la Patrie: non, Lepide, la Générosité ne saurait compatir avec l’ingratitude: le vice et la vertu ne sauraient être ensemble: et l’on ne peut être tout à la fois ingrat et reconnaissant. Quiconque se laisse obliger, s’engage à la personne qui l’oblige: C’est pour cela, que ceux qui ont l’âme haute, ne reçoivent jamais de bienfaits que de leurs amis: et dans le choix des deux, ils aiment mieux obliger leurs adversaires, que non pas d’en être obligés. Si Brutus ne pouvait vivre heureux, tant que César serait vivant, il fallait paraître toujours, sous les enseignes de ses ennemis; il fallait ne se venir pas rendre à lui; et plutôt que de recevoir la vie que César lui donna, il fallait qu’il se tuât de sa propre main, comme le généreux Caton. Mais après avoir reçu la vie de César; après avoir accepté les premières charges de la République; après que par un sentiment de tendresse, César l’a préféré à Cassie; qu’il se laisse persuader par Cassie de poignarder César; c’est ce que je ne puis comprendre; c’est ce qui ne peut être approuvé d’aucune personne raisonnable; et c’est ce qui n’eut pu être glorieux à Brutus, quand même César eut été Tyran. Cependant, Lepide, ce fut cet ingrat, ce fut ce traître, qui fut le chef de la conspiration, et qui lui donna le coup de la mort. Quoi Brutus! quoi cruel! vous putes frapper celui qui vous avait sauvé la vie! quoi Barbare, l’épée ne vous tomba point des mains, lorsque l’Illustre et grand César, vous voyant venir à lui comme les autres, cessa de se défendre; et vous dit même avec plus de tendresse que de colère, Et toi aussi mon fils! Quoi Tigre ces paroles ne touchèrent point votre âme, et vous putes frapper César! ha non Brutus, si vous eussiez eu quelque raison, il fallait changer un si mauvais dessin; il fallait combattre pour César; lui rendre la vie qu’il vous avait donnée; ou si vous ne le pouviez pas, il fallait effaces votre ingratitude par votre sang, et vous tuer sur les corps de César. Mais que fais-je, Lepide! je m’emporte dans ma douleur: cette funeste image de la mort de César, irrite mon déplaisir et ma colère, toutes les fois qu’elle se présente à mon esprit: Et sans en avoir le dessein, je change de discours et de sujet. Revenons donc à ma première intention: et disons que quand l’innocence de César, pourrait être mise en doute, par les choses qu’il a faites durant sa vie, elle serait pleinement justifiée, par celles qui sont arrivées à sa mort, et après sa mort. Le soin extraordinaire que les Dieux prirent de l’avertir du malheur qui lui devait arriver, fait assez voir la pureté de son âme: tous ces signes qui apparurent au Ciel; ces victimes défectueuses; ces fanges qui m’effrayent; la main de ce soldat qui parut en feu; celui qui lui marqua que les Ides de Mars lui seraient funestes; et toutes ces autres choses, qui pensèrent empêcher l’effet de la conspiration: font assez connaître que César n’était pas un homme ordinaire. Si la mort de César eut été un bien pour la République, les Dieux n’en auraient point donné tant de présages. Ils avertissent des malheurs, afin que les hommes les esquivent [esuitent]: mais pour la félicité qui leur envoient, rarement en donnent-ils tant de marques. On me dira peut-être, que Brutus fut aussi averti de la mort: Mais cet effroyable Fantôme qui lui apparut par deux fois, lui fut plutôt envoyé pour son châtiment, que pour lui donner moyen d’échapper du malheur qui lui était préparé. Au reste, qui [vid] jamais avoir de la vénération pour les Tyrans morts? Quand ils sont vivants on les craint, mais quand ils sont morts, on traîne leurs corps par les places publiques; on les déchire par morceaux; on change es lois qu’ils ont faites; on abat leurs Statues; leur mémoire est en exécration; et ceux qui les ont tués, vivent en fierté et avec honneur. Mais pour César, tout mort qu’il était, l’un avait du respect pour lui; les endroits marqués par son sang étaient révérés par les Romains, et semblaient êtres sacres. Sa Robe sanglante et toute perchée des coups qu’il avait reçus, excita de la douleur, en l’âme de tous les Citoyens: son Testament qui les enrichissait tous, fut écouté comme celui du Père de la Patrie: Le Peuple lui fit un Bûcher, plus glorieux pour sa mémoire, que si on lui eut fait les plus superbes funérailles, dont les Rois soient honorés: puisque ce fut un effet de son affection; et que du même feu qui avait consumé mon cher César, il voulut embraser les maisons de ses meurtriers. Le Sénat ne changea rien à toutes les ordonnances qu’il avait faites; on lui fit de nouveaux honneurs; tous ses Assassins prirent la fuite; et du consentement universel, il fut mis au rang des Dieux. Qui [vid] jamais un Tyran Déifié après sa mort? Alexandre même, le plus grand Prince de toute l’Antiquité, ne passa pour fils de Jupiter, que durant sa vie: Et César a cet avantage par-dessus cet Illustre Héros, que ce que les amis d’Alexandre firent pendant qu’il vécut, les témoins du mérite de César, l’ont fait après qu’il a cessé de vivre. Les Dieux mêmes après avoir donné de sinistres présages de sa mort, ont voulu encore témoigner, qu’elle les avait infiniment irrités: cette effroyable Comète, qui parut sept jours [eptiours] durant après sa perte, était déjà un signe, de la vengeance qu’ils en prendraient: Le Soleil même, qui fut une année entière, sans avoir sa chaleur et sa splendeur accoutumée, a fait connaître à toute la Terre, qu’en perdant César, la République avait perdu son plus grand ornement et son plus beau lustre: et pour témoigner encore mieux son innocence, la vengeance du Ciel, a poursuivi opiniâtrement jusqu’à la mort, tous ceux qui par leurs Conseils seulement, avaient contribué quelque chose, à cette injuste Conspiration. Ils sont tous morts de mort violente, sans qu’il en soit échappé aucun; ils n’ont point trouvé d’Elément, où ils pussent vivre en repos; La Mer leur a été funeste aussi bien que la Terre; ceux qui ont échappé de la fureur de leurs ennemis, se sont tués de leur propre main; Cassie s’est percé le cœur de la même épée dont il avait frappé l’Illustre César; et de cette façon, il s’est puni des mêmes armes, dont il avait commis le crime. Brutus, comme vous le savez, a fini ses jours de la même sorte: et j’ai su enfin qu’il ne reste plus au monde, aucun des meurtriers de César. Jugez après cela, Lepide, s’il n’est pas pleinement justifié? Si sa mort ne lui est pas aussi glorieuse que sa vie, puisqu’elle a fait voir que toute la Nature était intéressée? Et si à raisonnablement parler, César n’était pas plutôt le Protecteur, et le Père de la Patrie, que le Tyran des Romains?
EFFET DE CETTE HARANGUE
Ce n’est point à moi de vous dire, l’effet de cette Harangue, c’est à vous à me l’apprendre. Elle a eu pour objet , le dessein de vous persuader, c’est donc à vous à me dire si elle est arrivée à sa fin. Pour moi je vous assure que si je séduis votre raison, ce n’est qu’après que la mienne est séduite: et que je ne tache de vous faire croire, que ce que je crois moi-même. J’ai tant de vénération pour César, que je ne puis penser mal de ses intentions: et nous devons ce me semble, ce respect à tous les grands hommes, de ne les condamner pas légèrement sur des conjectures. Elles sont trompeuses; les desseins des Grands sont cachés; respectons-les donc, et n’entreprenons pas de les juger.
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