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Amalasonte à Théodat

DIXIÈME HARANGUE -

ARGUMENT -

Amalasonte, fille du grand Théodoric, après la mort d'Eutharic son mari, régna huit ans en Italie pendant la minorité d'Athalaric son fils, avec une splendeur merveilleuse. Mais ce jeune Prince étant mort, soit qu'elle voulut se décharger d'une partie des affaires de l'Etat, soit qu'elle crût que les Goths voulussent un roi, elle mit sur le trône Théodat, fils d'Amalafrede, sœur de Théodoric son père, avec intention toutefois de partager toujours avec lui l'autorité souveraine. Mais cet ingrat n'eut pas sitôt le sceptre à la main, qu'il exila cette grande princesse qui, sur le point de son départ, lui dit à peu près ces paroles.

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Ô grande Amalasonte! en vain à cette fois,
Tu voudrais d'un tyran toucher l'âme trop dure,
Car comment ce barbare entendrait-il ta voix,
Lui qui n'écoute plus celle de la nature?
Et dont l'ingratitude, horrible au souvenir,
Règne par toi, qu'il va bannir?
Amalasonte à Théodat

Avez-vous oublié, Théodat, par quel chemin vous avez été conduit au trône? Avez-vous oublié de quelle façon vous avez reçu la couronne que vous portez? Avez-vous oublié de qui vous tenez le sceptre que je vois entre vos mains? Et cette puissance absolue que j'éprouve aujourd'hui cruellement, vous a-t-elle été donnée pour votre valeur ou par les lois de ce royaume, ou par le suffrage de tous les Goths? Avez-vous conquis cette grande étendue de terre qui reconnaît votre autorité? Etes-vous conquérant, usurpateur ou roi légitime? Répondez, Théodat, à toutes ces choses ou du moins laissez-moi y répondre pour vous, car si je ne me trompe vous ne le pourriez pas faire à votre avantage, et je suis encore assez indulgente, pour ne pas vous obliger à dire une chose qui vous serait fâcheuse. Ceux qui ne veulent point reconnaître un bienfait ne sauraient avoir de plus grand supplice que d'être forcés de le publier. C'est pourquoi je ne veux pas vous contraindre d'avouer, de votre propre bouche, que ni par le droit de votre naissance, ni par celui des conquérants, ni par celui de nos lois, vous ne pouviez avoir nulles prétentions sur le royaume des Goths, tant que je serai vivante; puisque j'en étais en possession, comme fille, femme et mère des rois qui l'ont possédé et qui me l'ont laissé après eux comme la légitime héritière. Vous n'ignorez donc pas que vous êtes né mon sujet et que vous l'auriez toujours été si, par une bonté toute extraordinaire, je n'étais descendue du trône pour vous y conduire. Cependant, après m'être ôté la couronne de dessus la tête pour vous la donner, après vous avoir remis mon sceptre entre les mains et m'être résolue de faire un roi en votre personne, et il se trouve que la première chose que vous avez entreprise après qu'avec beaucoup de peine, j'ai eu fait résoudre les Goths de vous obéir, il se trouve que – dis-je - la première chose que vous avez faite a été de rappeler à la Cour tous ceux que j'avais exilés pour leurs crimes; et après avoir choisi, pour vos principaux ministres, les plus grands de mes ennemis, Théodat, ce même Théodat, qu'Amalasonte, fille du grand Théodoric, a fait roi, qu’elle a couronné de sa propre main et à qui elle a remis l'autorité souveraine, pour donner preuve manifeste de sa puissance, bannit injustement celle qui lui a donné le pouvoir de la bannir. Ô Ciel! Est-il possible qu'il existe une pareille ingratitude parmi les hommes? Et est-il possible, encore, qu'Amalasonte ait si mal choisi? Non, Théodat, je ne suis pas comme vous, je ne veux point vous condamner sans vous entendre, il faut sans doute que vous ayez quelque raison de me haïr et de m'exiler. Qu'ai-je fait contre vous lorsque vous étiez mon sujet? Ou qu'ai-je fait contre vous, depuis que je vous ai fait roi? Je me souviens bien que, du temps que vous étiez sous mon obéissance et que j'étais en droit de vous punir ou de vous récompenser, je me souviens bien qu'un grand nombre de Toscans s’étant venus plaindre à moi des violences que votre avarice vous avait porté à leur faire; je me souviens bien -dis-je- qu'étant fâchée de voir, en vous, une passion indigne du neveu de Théodoric, je fis tous mes efforts pour vous faire comprendre que ce sentiment-là était et bas et injuste. Il est vrai que je vous obligeai à rendre ce qui ne vous appartenait point, mais il est vrai aussi que je ne fis rien que ce que la raison et l'équité voulaient que je fisse. Je sais que je vous ai dit en ce temps là, que l'avarice était la marque infaillible d'une âme basse; que les avares étaient presque tous des lâches, que tous ceux qui aimaient, si passionnément, à amasser des trésors ne se souciaient que médiocrement d'acquérir de la gloire; et qu'enfin l'avarice était presque toujours compagne de l'ingratitude. Voilà, Théodat, ce que j'ai fait contre vous, j'ai tâché de corriger une mauvaise inclination avec laquelle vous êtes né. Mais savez vous, Théodat, quelle était lors mon intention? Je songeais déjà à vous mettre la couronne sur la tête; je songeais à faire que mes sujets n'eussent rien à vous reprocher quand vous seriez leur roi; je songeais à les empêcher de craindre que vous ne fussiez leur tyran plutôt que leur souverain et à faire en sorte qu'ils ne dussent pas appréhender que celui qui avait déjà usurpé leurs biens, quand il n'était que sujet comme eux, ne les ruinât entièrement quand il sera leur maître. Voilà, Théodat, la véritable cause de l'aigreur de cette réprimande qui a mis en votre âme la haine que vous avez pour moi. Je m'étonne, néanmoins, qu'ayant passé la plus grande partie de votre vie à l'étude de la philosophie de Platon, vous trouviez mauvais qu'on ait voulu vous corriger. Ceux qui apprennent la sagesse, avec tant de soin, doivent ce semble la pratiquer, et je ne puis trouver assez étrange que vous vous souveniez si bien de la remontrance que je vous fis et que vous ne vous souveniez plus de ce que j'ai fait pour vous. Lorsque je pris la résolution de vous couronner, je ne la pris pas tumultuairement, je considérais ce que vous étiez et je tâchais de prévoir ce que vous seriez un jour. Je trouvai en vous deux inclinations qui ne me plaisaient pas: la première était cette nonchalance que vous avez toujours eue pour les choses de la guerre; et la seconde était cette envie insatiable d'acquérir tous les jours de nouvelles richesses. Je crus néanmoins que l'une vous obligerait à être prudent et pour l'autre, je pensai qu'un homme, qui croyait satisfaire son avarice par trois ou quatre pieds de terre qu'il voulait usurper sur ses voisins, se guérirait de cette infâme passion quand je lui aurais donné un royaume. Je crus, dis-je, que cette avarice, manquant d'objets, elle deviendrait du moins une noble ambition que vous auriez, dorénavant, autant de soin de mériter les biens que je vous aurais donnés, que vous en auriez toujours eu d'acquérir de nouveaux trésors et je crus, enfin, que d'un sujet avare et paresseux, je ferais un roi prudent et reconnaissant. Mais je devais pourtant penser que celui qui ne pouvait souffrir des voisins à sa maison de sa campagne, et qui faisait cette injustice pour reculer ses bornes de quelques pas, je devais, dis-je, bien penser qu’un homme de cette humeur ne pourrair se résoudre à partager un trône avec moi. En vérité, Théodat, je ne pense pas toutefois que vous songiez bien à ce que vous faites, car est-il possible, qu'après vous avoir donné un grand royaume, vous avoir rendu maître des Goths et de toute l'Italie, vous puissiez m'assigner, comme le lieu de mon exil, cette petite île de la Bolsine, située au milieu d'un lac où à peine un petit château peut trouver sa place? Non, Théodat, ne déguisons point la vérité: le lieu de mon exil peut plutôt se nommer ma prison ou peut-être encore mon tombeau. Peut-être que j'y trouverai mes bourreaux pensant n'y trouver que mes gardes et, peut-être encore, que, pendant que je vous parie, vous ne trouvez la longueur de mon discours importune que parce qu'elle recule le moment fatal où je dois mourir. Vous êtes pourtant encore en état d'achever le crime que vous êtes prêt à commettre. Songez, Théodat, à ce que vous allez entreprendre: ma mort vous coûtera peut-être la vie, éternisez donc votre nom par une autre voie que par l'ingratitude; ne commencez point votre règne par une injustice; et faites, s'il est possible, que le repentir d'un mauvais dessein vous en fasse prendre un meilleur. Considérez que si je n'avais pas voulu que vous régnassiez, je ne vous aurais pas fait roi et qu'il n'est pas croyable que je ne vous élevé mis sur le trône que pour vous précipiter. Cela étant ainsi, qu'appréhendez-vous de moi ou, pour mieux dire, que ne devez-vous pas craindre si vous m'exilez? Pensez-vous que les Goths et les Italiens endurent sans murmurer, que la fille de Théodoric soit indignement traitée par un homme qu'ils haïssaient déjà beaucoup, quand il n'était que son sujet? Cette haine secrète qu'ils ont, pour vous, éclatera aussitôt qu'ils auront trouvé un prétexte. Ils songeront également à venger mon outrage et à se venger eux-mêmes, et en sorte que, sans qu'Amalasonte contribue en rien à votre perte, elle ne laissera pas de renverser le trône où elle vous a mis. L'injure, que vous me faites, ne s'attaque pas seulement à moi, tous les princes de la terre y doivent prendre intérêt et, si je ne me trompe, vous avez des voisins qui, sous le titre de protecteurs de l'innocence osi de vengeurs de ma mort, envahiront une partie de vos États. Si la fortune m'avait traitée d’une autre sorte, que j'eusse perdu le trône d'une autre façon, que mes sujets se fussent révoltés, que l'empereur Justinien m'eût fait la guerre, que Bélisaire m'eût vaincue, que quelque autre conquérant pas fait roi et qu'il n'est pas croyable que je ne vous élevé mis sur le trône que pour vous précipiter. Cela étant ainsi, qu'appréhendez-vous de moi ou, pour mieux dire, que ne devez-vous pas craindre si vous m'exilez? Pensez-vous que les Goths et les Italiens endurent sans murmurer, que la fille de Théodoric soit indignement traitée par un homme qu'ils haïssaient déjà beaucoup, quand il n'était que son sujet? Cette haine secrète qu'ils ont, pour vous, éclatera aussitôt qu'ils auront trouvé un prétexte. Ils songeront également à venger mon outrage et à se venger eux-mêmes, et en sorte que, sans qu'Amalasonte contribue en rien à votre perte, elle ne laissera pas de renverser le trône où elle vous a mis. L'injure, que vous me faites, ne s'attaque pas seulement à moi, tous les princes de la terre y doivent prendre intérêt et, si je ne me trompe, vous avez des voisins qui, sous le titre de protecteurs de l'innocence osi de vengeurs de ma mort, envahiront une partie de vos États. Si la fortune m'avait traitée d’une autre sorte, que j'eusse perdu le trône d'une autre façon, que mes sujets se fussent révoltés, que l'empereur Justinien m'eût fait la guerre, que Bélisaire m'eût vaincue, que quelque autre conquérant qu'avec des monstres, et comme la libéralité et la reconnaissance sont les véritables vertus des rois, l'avarice et l'ingratitude sont des vices dont ils ne doivent jamais étre capables. C'est eux qui sont les distributeurs des bienfaits et des récompenses et, à raisonnablement parler, ce qui est avarice dans l'âme d'un sujet doit étre prodigalité et ce qui est ingratitude doit étre ambition dans celle d'un souverain. Oui, Théodat, un roi peut être ambitieux et prodigue sans étre déshonoré, mais il ne peut jamais être ni avare ni ingrat, sans étre l'objet du mépris de ses sujets et sans étre en exécration, à la postérité. Vos livres vous ont, sans doute, appris ce que je dis et ce que l'expérience seule m'a enseigné. Mais vous trouvez, si je ne me trompe, qu'il est bien plus aisé de faire un beau discours qu'une belle action. Ce n'est pas que le chemin de la vertu soit difficile, quand on a les inclinations nobles; au contraire, elle porte sa récompense avec elle, et le plaisir de faire le bien en est en elle le plus agréable prix. Mais ce qui provoque la peine que vous avez à vous y porter, c'est que vous avez contre vous toutes vos inclinations. Vous ne pouvez être juste qu'en combattant contre vous-même; vous ne pouvez étre reconnaissant qu'en trahissant vos sentiments; vous ne pouvez étre libéral qu'en vous arrachant le cœur et, pour tout dire en un mot, vous ne pouvez suivre la vertu qu'en vous abandonnant vous même. Songez pourtant, Théodat, que vous n'avez qu'un ennemi à dompter: entreprenez cette guerre si vous n'en croyez, et soyez assuré qu'elle vous sera glorieuse. Il ne faut point assiéger de ville; il ne faut point donner de bataille; il ne faut point souffrir les incommodités d'un voyage; il ne faut point dépenser vos trésors que vous aimez tant pour lever des armées; il ne faut point risquer votre vie en cene occasion; il ne faut point aller chercher votre ennemi en un pays fort éloigné; il ne faut point troubler ce profond repos dont vous faites vos délices; car enfin vous trouverez en vous-même, sans sortir de votre cabinet, votre adversaire et votre défense. Vos inclinations s'opposeront à votre raison mais, si votre volonté se range du parti le plus juste et que vous veuillez fortement disputer la victoire, vous n'aurez pas plutôt formé le dessein de vaincre que vous serez victorieux ou, pour m'expliquer plus clairement, vous n'aurez pas plutôt pris la résolution de quitter le vice et d'embrasser la vertu que vous serez vertueux. Vous me direz, peut-être, que cette guerre civile, qui se passera sans autres témoins que vous-même, ne vous sera point glorieuse parce qu'elle ne sera point sue. Mais ne pensez pas, Théodat, que la vertu soit une chose que l'on puisse cacher, vous ne serez pas de son parti que toute la terre le saura. Vous n'amasserez plus de trésors que pour enrichir vos sujets; vous ne vous laisserez obliger que pour récompenser ceux qui vous obligeront; vous régnerez sur vos peuples avec autant d'équité que de clémence; vous serez en vénération à tous les princes, vos voisins; vous n'exilerez plus Amalasonte, et votre nom passera avec la gloire, dans les siècles les plus éloignés du nôtre. Voilà, Théodat, le fruit que vous pouvez remporter d'une victoire qui, ne dépendant point du tout du caprice de la fortune ni du sort des armes, est absolument en votre pouvoir. Mais, pour vous laisser la liberté et d’attaquer et de vaincre cet ennemi que j’ai couronné, je me retire et vous cède toute la gloire de ce combat.

EFFET DE CETTE HARANGUE

Ce discours fit un effet sur la personne de Théodat, mais ce ne fut pas celui qu'Amalasonte en attendait. Ce monstre d'ingratitude et de cruauté ne se laissa pas, non plus, toucher aux larmes de cette reine qu'au souvenir des obligations qu'il lui avait, et comme il avait honte de la voir, il précipita son départ. Son inhumanité n’en demeura pas même encore là, car peu de jours après, il souffrit que les ennemis de la vertu de cette grande princesse allassent la poignarder dans sa prison. Mais ce tigre n'en demeura pas impuni: il ne jouit pas longtemps du fruit de ses crimes, il perdit le sceptre et la vie et sa mort, à raisonnablement parler, fut l’effet de cette harangue vie, qui enfin arma ses justes vengeurs contre lui. 

 

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