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Panthée à Cyrus

NEUVIEME HARANGUE -

ARGUMENT -

Panthée, reine de la Susiane, ayant été faite prisonnière de guerre par le grand Cyrus, en fut si favorablement traitée que, pour reconnaître sa courtoisie, elle obligea Abradate son mari d'abandonner le parti des Lydiens et de joindre ses armes à celles de cet invincible conquérant. Or ce grand homme de guerre, pour signaler sa reconnnaissance et son courage, demanda à Cyrus la permission de combattre à l'avant-garde le jour de la bataille. Cette glorieuse faveur lui ayant été accordée, il y fit des choses prodigieuses, et servit si bien et s'épargna si peu qu'il gagna la bataille et perdit la vie. Son corps fut rapporté tout couvert de blessures à l'inconsolable Panthée, et Cyrus étant allé la voir pour la consoler ou plutôt pour s'affliger avec elle d'une perte qui leur était commune, cette princesse affligée lui parla à peu près en ces termes.

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Ô rare exempie d'amitié!
Objet digne d'envie et digne de pitié,
Belle et généreuse Panthée:
Abradate dans son mauvais sort,
Peut-il se plaindre d'une mort,
Que l'on voit si bien plainte et si bien imitée?
Panthée à Cyrus

Vous voyez, ô grand et généreux Cyrus, ce que vous a couté la victoire: Abradate a été la victime qui vous a rendu les Dieux propices; son sang a arrosé les lauriers qui vous ceignent le front; il est mort en vous couronnant; et pour parler véritablement des choses, Cyrus et Panthée sont plutôt la cause de sa perte que la valeur des Lydiens. Oui, Cyrus, votre générosité, ma reconnaissance et la sienne, l'ont mis au déplorable état où il est. Vous le voyez tout couvert de son sang et de celui de vos ennemis. Ce grand nombre de blessures, qu'il a reçues sur tout le corps, sont des preuves certaines de celles qu'il a faites à ceux qu'il a combattus. Son extrême courage a changé celui des Egyptiens en désespoir, et cette illustre main, qu'ils ont presque arrachée de son bras - hélas! quel objet pour Panthée! -, fait assez voir qu'il n'a quitté ses armes qu'en quittant la vie. On l'a vu, généreux Cyrus, combattre avec tant d'ardeur qu'on eût dit que le gain de cette bataille lui devait mettre la couronne de tout le monde sur la téte. Il a payé de sa personne, de son sang et de sa vie l'obligation que je vous avais. Et de cette sorte que, ô invincible Cyrus -comme je vous l'ai déjà dit-, votre générosité, ma reconnaissance et la sienne, causent sa mort et mon affliction. Je ne vous accuse pourtant pas, je suis trop équitable pour cela. Au contraire, je vous remercie avec tendresse de l'assistance que vous m'offrez, pour me consoler. Je loue en vous, ô Cyrus, le généreux sentiment qui vous fait répandre des larmes, le propre jour de la victoire, et qui fait que vous vous affligez plus de la perte de votre ami que vous ne vous réjouissez du gain de la bataille et de la défaite de tous vos ennemis. Mais après avoir rendu cette justice à votre vertu, souffrez que sans vous accuser et sans me repentir, je me plaigne de la rigueur de mon destin qui a voulu que vous devant la conservation de mon honneur, je fusse obligée d'exposer, moi-même, mon cher Abradate au combat où le nombre l'a fait succomber. Ce fut seulement par amour pour moi, qu'il abandonna le parti de Crésus; car, encore qu'il eût d'assez justes raisons de ne point le servir, la mémoire du feu roi son père, dont il avait été chèrement aimé, eut fait qu'il n'eut pas abandonné le fils, quoique moins vertueux. Mais je ne lui eus pas plutôt fait savoir ce que je vous devais qu'il s'offrit à m'acquitter, envers vous, d'une obligation si sensible. Votre renommée avait déjà disposé son cœur à m'accorder ce que je lui demandais, et vous estimant déjà infiniment, il lui fut aisé de vous aimer. Enfin, Cyrus, comme vous le savez, il témoigna en cette occasion beaucoup de gratitude envers vous et beaucoup d'amour envers moi. Non, me dit-il, généreuse Panthée, Abradate ne saurait être ennemi de votre protecteur. Il a essuyé vos larmes, il faut que je verse mon sang pour son service; il a pris soin de votre gloire, il faut que ma valeur accroisse la sienne; il a perdu un homme qu'il aimait beaucoup pour vous protéger, je dois réparer cette perte et faire, s'il est possible, qu'on ne s'apercoive pas, le jour de la bataille, qu'Araspe n'y sera point. Oui, me dit-il, en haussant la voix, je perdrai la vie ou je témoignerai à Cyrus, que ceux qui reçoivent un bienfait comme il faut sont quelquefois aussi généreux que ceux qui le font. Hélas! faut-il que je le dise, je ne m'opposai point à ce discours et sans appréhender rien de funeste d’ une si noble intention, je louai son sentiment et son dessein. Je lui rendus grâce de ce qui devait causer ma suprême infortune, et travaillant moi-même à mon malheur, j'excitai son courage à faire les choses qui l'ont fait mourir aujourd'hui, et qui pourtant le feront vivre éternellement. Ô cruel souvenir! Ô injustice de la fortune! Pourquoi fallait-il que, de tous les vainqueurs, Abradate fût le seul vaincu? Et pourquoi fallait-il, qu'ayant si utilement versé son sang pour le gain de la bataille, il fût presque le seul qui ne jouit point du fruit de la victoire? Mais ce n'est pas, en cette seule rencontre, que j'ai contribué à mon malheur: mon aveuglement était si grand que j'attendais cette funeste journée, comme un jour de triomphe; mon esprit n'était rempli que d'espérance; mon imagination ne me présentait que des choses agréables; je regardais la fin de ce combat, comme le commencement de ma félicité.; je voyais, me semblait-il, Abradate en revenir tout couvert de palmes et son char tout chargé des dépouilles des ennemis. Et dans cette pensée, j'eus plus de soin de lui donner des armes éclatantes que fortes. Je connaissais la valeur d'Abradate, mais je ne connaissais pas encore la malice de la fortune. J'avais tant de peur que les belles actions qu’il ferait ne fussent pas assez connues que j'employai toutes mes pierreries à sa cotte d'armes, pour le rendre plus remarquable. Mais que dis-je, insensée que je suis! J'étais sans doute d'accord avec les ennemis: je voulais leur montrer où ils devaient frapper; je suis cause de toutes les blessures qu'Abradate a reçues; c'est moi qui lui ai traversé le cœur et qui ai couvert, tout son corps, de sang et de plaies. J'ai conduit la main de tous ceux qui l'ont attaqué et, comme si ce n'eût pas été assez que les généreux l'eussent combattu par l'émulation que son extraordinaire valeur leur donnait, j’ai voulu encore que tous les avares et tous les mercenaires en eussent aussi le dessein. Enfin j'ai armé contre lui toute l'armée de Crésus: les uns par le seul désir de vaincre cet homme qui semblait le Dieu de la guerre et les autres par la richesse du butin. C’a été de ma main qu'Abradate a été armé en cette funeste journée. Oui, généreux Cyrus, je lui portai moi-même ce qui devait causer ma perte, et quoiqu'en cet instant une secrète frayeur me saisit, qui m'avertissait sans doute de mon malheur, je méprisai un sentiment que les Dieux m'envoyaient, et ne pouvant retenir mes larmes, j'eus l'injustice de les cacher à mon cher Abradate. Il me semblait que c'eût été lui arracher le cœur que de lui témoigner que j'en manquai en cette occasion. Mais imprudente que je fus! Je devais lui montrer mes larmes, avec toute l'amertume qu'elles avaient, car je ne doute point que, si par mon affliction je lui eusse fait connaître que de l conservation de sa vie dépendait la mienne, il n'eût pris un peu plus de soin de lui qu'il n'a fait. Il eût également songé à votre gloire et à ma vie. Mais, ô illustre Cyrus, il sembla en cette occasion que je ne me souciai ni de celle d'Abradate ni de la mienne car, lorsque j'eus achevé de l'armer et que je l'eus conduit au superbe char qui l'attendait, je ne lui parlai ni de lui ni de moi, mais seulement de l'obligation que je vous avais. Je le fis souvenir que ne m'ayant pu traiter en esclave, vous m'aviez traitée en reine; qu'ayant eu le malheur de plaire à un homme que vous aimiez plus que vous même, vous aviez eu la générosité de me protéger contre lui; et qu'après une action si illustre, je vous avais promis qu'il vous serait aussi fidèle et aussi utile que Araspe vous l'avait été. Voilà, généreux Cyrus, ce que je dis à mon cher Abradate, étant prête à me séparer de lui pour la dernière fois. Et comme ses sentiments ne s'étaient jamais éloignés des miens Veuillent les Dieux - me dit-il, en me mettant la main sur la tête et levant les yeux au ciel - que je me montre aujourd'hui digne ami de Cyrus et digne mari de Panthée. En disant cela, il me quitta et entra dans son char, en me regardant le plus longtemps qu'il lui fut possible, il commanda à celui qui le conduisait de commencer à marcher. De sorte que, ne pouvant plus embrasser mon cher Abradate, tout ce que je pus faire fut de baiser par dehors la chaire où il était assis. Adieu, je voulais dire à mon cher Abradate lorsqu'une douleur excessive, qui me surprit tout d'un coup, m’empêcha. Et quoique le char commençât déjà à s'éloigner, je ne laissais pas de le suivre, mais Abradate s'en étant aperçu: Allez - me dit-il -, généreuse Panthée, attendre mon retour, avec l'espérance de me revoir bientôt. Hélas! je ne savais pas lors, que ce char, dont la magnificence attirait les yeux de tous les spectateurs et qui semblait n'être fait que pour un jour de triomphe, serait le cercueil d'Abradate. Je ne l'eus, pourtant pas sitôt perdu de vue, que mes femmes m'ayant remise dans ma litière et ramenée à ma tante, je cessai d'espérer et je commençai à y craindre. Mon imagination, qui jusqu' alors ne m'avait entretenue que de couronnes et de victoires, ne me fit presque plus voir que des signes funèbres, et, de la façon dont on m'a raconté la chose, je vis dans mes rêveries mélancoliques tout ce qui est arrivé à mon cher Abradate. Oui, Cyrus, je le vis au front de la bataille, impatient de répandre son sang pour votre gloire. Je le vis choquer les Lydiens avec fureur; je lui vis rompre la bataillon qu'il attaqua; je lui vis porter la mort par tous les lieux où il porta son bras, poursuivre les ennemis qui fuyaient, joncher la campagne de morts, et dans ma vision je vis, ce me semblait, la victoire qui conduisait son char. Mais hélas! Que cette image fut bientôt effacée par une autre! je vis, tout d'un coup, que ce qui devait obliger les gens d'Abradate à le suivre de plus près fut ce qui les fit abandonner. L'extrême péril, où il se jeta, arracha le cœur à ceux qui devaient le suivre et augmenta celui des Egyptiens. Je le vis abandonné de la plus grande partie des siens et enveloppé d'ennemis. Je le vis pourtant se faire jour à travers leurs lances, leurs dards et leurs javelines de ceux qu’il attaqua. Je le vis éclaircir tous les rangs, renverser tout ce qu'il rencontra, briser les chars qui s'opposaient à lui, tuer les hommes qui les conduisaient, attaquer et se défendre tout à la fois et vaincre enfin tout ce qui s'opposait à sa valeur. Mais, après qu'il eut de sa propre main élevé un trophée à votre gloire et à la sienne, et montré à vos gens par quel chemin ils trouveraient la victoire. Après -dis je- avoir couvert toute la campagne de sang, de morts, d'armes rompues et de chars brisés, ces mêmes hommes qu'il avait tués, ces armes qu'il avait brisées et ces mêmes chars qu'il avait rompus firent - le dirais-je ô Cyrus?- renverser celui de mon Abradate. S'il eût vaincu moins d'ennemis, il n'eût pas été vaincu. Ceux qu'il avait surmontés lui furent plus funestes que ceux qu'il combattait encore. Mais, enfin, je vis Abradate accablé par le nombre, je le vis, tout couvert de plaies, disputer sa vie jusqu'à la dernière goutte de sang. Ô épouvantable vision! Je le vis tomber mort, vaincre en mourant ceux qui le faisaient mourir. Et, en effet, vous savez, ô Cyrus, que vos gens ont mieux combattu pour avoir le corps d'Abradate mort qu'ils n’avaient fait pour sauver Abradate en vie. Jugez dans quel état était mon âme, durant une si funeste apparition: ce n'était pourtant rien en comparaison de ce que j'ai senti, lorsque j'ai vu revenir le char d'Abradate, tout chargé des dépouilles des ennemis et, fut ce funeste trophée, le corps de cet illustre héros tout couvert de blessures, pâle, mort et sanglant. Ô Cyrus! Ô Panthée! Ô funeste victoire! Quel objet pour mes yeux, et quelle douleur à mon âme! Elle est si grande que je m'étonne qu'elle ne m'a déjà, privée de toute douleur. Tout ce que je vois m'afflige, tout ce que je pense me désespère. Car, Cyrus, lorsque l'injuste passion d'Araspe me donna un juste sujet de plainte, si j'eusse eu recours à la mort, j'eusse conservé la vie d'Abradate, j'aurais mis mon honneur en sûreté et vous n'auriez point eu de raison d'accuser un homme qui vous était cher. J'eusse tout à la fois satisfait à mon mari, à ma propre gloire, et au grand Cyrus, je lui devais ce respect de ne pas me plaindre de son favori, et si j’eusse été raisonnable, la mort m'aurait empêchée de me plaindre en ce temps-là et de pleurer aujourd'hui. Mais le destin en avait résolu autrement: veuillent les Dieux qu’en une si funeste aventure comme Abradate s'est montré digne mari de Panthée et digne ami de Cyrus, je puisse aussi faire voir à la postérité que Panthée fut digne femme d'Abradate et qu'elle n'était pas indigne de la protection de Cyrus. Je vois bien, ô excellent prince, par le grand nombre de victimes que l'on prépare et par la magnificence des ornements que l'on m'a apportés de votre part, que vous avez dessein de faire les obsèques de mon cher Abradate, telles qu'elles conviennent à cet illustre vainqueur. Mais, comme sa gloire est la seule chose dont je puis maintenant avoir soin, faites, ô grand Cyrus, que par un monument superbe et des inscriptions véritables, la postérité puisse savoir quel était Abradate. Eternisez, tout ensemble, votre gloire, la sienne et mon malheur. L'or et le marbre, que vous y emploierez ne vous seront pas inutiles et le tombeau que vous élèverez, pour immortaliser Abradate, vous immortalisera vous-même. Il se trouve plus de gens qui savent faire une belle action qu'il ne s'en rencontre qui la savent reconnaître comme il faut et la publier. N'ayez pas cette jalousie que la gloire donne aux plus illustres et croyiez que les Dieux, auront soin de la vôtre, si vous en avez de celle d'Abradate. Le sang qu'il a répandu pour vous mérite, ce me semble, cette reconnaissance. Aussi ne doutais-je pas que je n'obtienne ce que je vous demande. Je vois que vous me l'accordez, et que je n'ai pas plutôt conçu ma requête que votre bonté fait que je suis obligée de vous rendre grâce. J'en ai, pourtant, encore une à vous demander: c'est, ô Illustre Cyrus, que sans hâter les pompes funèbres de mon cher Abradate, on me laisse encore quelque temps pour laver ses blessures avec mes larmes. Toutes les victimes nécessaires, pour apaiser ses mânes, ne sont pas encore en l'état qu'il faut pour cela. Faites donc, ô Cyrus, qu'on ne le presse point. Je ne ferai pas attendre longtemps, mes derniers adieux seront bientôt faits. Et puis, il est bien juste qu'étant mort pour moi, je verse autant de larmes qu'il a versé de sang et que ne le devant plus voir en ce monde, je jouisse de sa vue, le plus longtemps qu'il me sera possible. Oui Cyrus, cet objet tout pitoyable et tout funeste qu'il est, est le seul bien qui me reste. Il est tout ensemble mon désespoir et ma consolation, je ne puis le voir sans mourir, et je mourrai pourtant aussitôt que je ne le verrai plus. C'est pourquoi, je vous conjure qu'on ne me presse point, et pour la prière que vous me faites de vous dire en quel endroit je veux aller, je vous promets que vous saurez, bientôt, le lieu que je choisirai pour ma retraite.

EFFET DE CETTE HARANGUE

Hélas! Cette belle et déplorable reine ne fut que trop véritable, car à peine eut-elle abusé Cyrus, en lui faisant croire qu'elle serait capable de vivre après la perte d'Abradate -et cette généreuse tromperie fut l'effet de sa harangue -, qu'elle choisit cette retraite, je veux dire le tombeau de son mari. A peine, dis-je, Cyrus l'eut quittée, qu'elle se donna d’un poignard dans le sein, et qu'elle expira sur le corps d'Abradate. Ce généreux monarque en eut une douleur incroyable et, pour éterniser la mémoire de ces deux rares personnes et sa gratitude avec elles, il leur fit élever un superbe monument où, plusieurs siècles après le sien, le marbre et le bronze parlaient encore de la vertu de Panthée et de la valeur d'Abradate; et le fleuve Pactole, que l'on y voyait représenté au bord duquel était ce tombeau, semblait dire qu'il tenait leurs reliques plus précieuses que tout l'or qui roule parmi ses sablons.

 

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