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Porcie à Volumnius

SEPTIEME HARANGUE -

ARGUMENT

Après que Brutus et Cassius eurent été défaits et qu'ils furent tués, Porcie, femme du premier et fille de Caton d'Utique, témoigna par ses discours et par ses actions qu' elle voulait suivre la fortune de son mari, et qu'elle ne voulait plus vivre. Ses parents qui voulaient l'empêcher de mourir, après lui avoir ôté tout ce qui pouvait servir à ce funeste dessein, lui envoyèrent le philosophe Volumnius qui avait été intime ami de Brutus, pour tâcher de la persuader, par la raison, qu'elle ne devait pas s'abandonner au désespoir. Mais cette généreuse femme, après l'avoir écouté avec beaucoup d'impatience, lui répondit de cette sorte.

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Ô quel rang tiennent tes vertus,
Généreuse Porcie, entre les grandes âmes?
Ô fille de Caton et femme de Brutus,
Quelles doivent être tes flammes,
Puis qu'enfin, pour finir tes tristes accidents,
Tu meurs par des charbons ardents?

PORCIE A VOLUMNIUS



C'est en vain, ô sage Volumnius, que mes parents vous ont choisi pour me persuader de vivre après la perte que j'ai faite: n'étant pas croyable que ce même philosophie, qui mit l'épée à la main de l'illustre Caton, mon père, et qui l'a mise ensuite en celle de mon cher Brutus, puisse me faire croire que la conservation de ma vie soit ni une chose juste ni une chose possible. Non Volumnius, en l'état où je suis réduite, je ne puis et ne dois plus vivre: vous savez que malgré mon sexe cette philosophie que vous employez contre moi ne m'est pas tout à fait inconnue, et que le vertueux Caton, mon père, me l'a fait apprendre avec assez de soin. Ne croyez donc pas que la résolution que je prends soit un effet d'un esprit aveuglé de sa propre douleur et d'un désespoir sans raison. Il y a longtemps que je médite là-dessus et que, dans l'incertitude des choses, j’ai formé le dessein que j'exécuterai aujourd'hui. Toute autre que moi pourrait peut-être satisfaire aux cendres de son mari, en répandant des larmes le reste de ses jours, mais la fille de Caton, et la femme de Brutus, doit agir autrement. Aussi suis-je bien assurée que Porcie a l'âme trop grande pour mener une vie indigne de sa naissance, et de l'honneur qu'elle a d'avoir eu, pour père et pour mari, les deux plus illustres d'entre les anciens Romains. Car pour ceux qui vivent, aujourd'hui, ce ne sont plus de véritables Romains, ce sont les restes des esclaves de Jules César ou, pour mieux dire encore, ce sont des tigres enragés qui déchirent le sein de leur mère, en désolant leur patrie. Hélas! qui eût jamais pu croire que le peuple romain fût devenu l'ennemi de sa propre liberté? Qu'il eût lui-même non seulement forgé les chaînes qui le captivent; non seulement élevé sur le trône celui qui avait fait mourir tant de millions d'hommes pour y arriver; mais qu'il eût encore été capable de pleurer la mort du tyran; de le placer au rang des Dieux et de poursuivre comme un criminel un homme qui pour lui redonner la liberté hasardait sa vie, et méprisait même l'amitié de César? Car que n'eût-il point obtenu lui, s'il eût pu se soumettre à la servitude? Ses fers auraient sans doute été plus légers que ceux des autres et, pour peu de soin qu'il y eût apporté, il eût été maître de celui qui l'était de tout le monde. Mais Brutus était trop généreux pour établir sa félicité particulièe, sur la ruine du public. Il savait que le premier devoir emporte ou doit emporter tous les autres; que devant toutes choses à son pays, il ne doit rien à César; qu'étant né citoyen romain, il devait haïr le tyran; que pour n'être pas ingrat à sa patrie il fallait en quelque sorte être l'envers César ; et, qu'étant de la race du premier Brutus, il devait le secours de son bras et de sa valeur à la République oppressée. Cependant, après avoir fait toutes ces choses, ce peuple lâche et insensé exile celui auquel il devait dresser des statues dans toutes les places publiques. Cette extrême ingratitude ne lassa toutefois pas la vertu de Brutus, vous savez, ô sage Volumnius, tout ce qu'il a fait pour la Patrie. Aussi ne vous le dis-je pas pour vous l'apprendre, mais pour employer le peu de vie qui me reste à parler des grandes choses qu'il a faites, et à vous conjurer de les faire savoir à la postérité. Souvenez-vous donc, Volumnius, qu’encore que tous les Romains fussent des ingrats pour lui, il n'a pas laissé de faire toutes choses pour eux, et lors que ces lâches au lieu d'un tyran, en ont souffert trois, il a eu plus de compassion d’eux que de ressentiment de leur ingratitude. Et, sans songer à sa conservation, que n'a-t-il point fait pour les rendre heureux malgré qu'ils en eussent? Mais ces ennemis de la vertu sont si fort accoutumés à l'esclavage qu'ils gardent leurs chaînes comme leurs plus chers trésors, et jusques au point qu'après que Brutus les eut rompues, ils les renouèrent eux mêmes avec soin. Et Rome, qui depuis tant de siècles a commandé toute la terre, se soumit volontairement à la tyrannie. Ô Caton, ô Brutus qui l'eût jamais pensé et qui eût pu croire que les dieux eussent protégé le crime et oppressé l'innocence. Je vois bien pourtant ce qui porte le Ciel à nous nuire, la mort de Brutus est le châtiment de Rome et le plus grand malheur qui lui pût jamais arriver. Et c'est sans doute pour la punition les Romains que les dieux ont permis qu’il ait achevé ses jours. Pour Brutus sa peine fait sa récompense; l'ingratitude des Romains sert à sa gloire, et sa mort même illustre si fortement sa vie que j’ai presque honte d’en répandre des larmes. Aussi puis-je assurer que j’ai pleuré davantage pour son absence, que je n'ai fait pour sa perte. Je regardais lors ma douleur comme n'ayant point de terme, et mon âme étant balancée entre l'espérance et la crainte, je trouvais quelque soulagement à pleurer. Mais aujourd'hui que je n'ai plus rien à perdre et que je vois un moyen infaillible de finir ma misère, j’ai l’âme plus tranquille, et quoi que ma douleur soit la plus grande que personne ait jamais sentie, je la souffre pourtant avec moins d'impatience, parce queje sais qu'elle finira bientôt. Et ne me dites point que je dois vivre pour conserver la mémoire de Brutus: l'action qu'il a faite est si grande et si noble qu'elle vivra toujours en celle de tous hommes. Il sera toujours regardé comme le premier et le dernier des Romains, et les tyrans même qui régneront après ceux-ci serviront encore à en conserver le glorieux souvenir. Tant qu'on verra des rois à Rome on se souviendra que l'ancien Brutus les avait chassés et que ce dernier est mort pour sauver la liberté que le premier lui avait acquise. Car je ne doute point que Rome ne soit toujours asservie, étant indubitable que si elle eût pu recouver sa liberté, Brutus la lui aurait redonnée; mais, ne l'ayant pu faire, il a du moins eu la gloire de mourir sans être esclave. Ne trouvez pas donc étrange si étant fille et femme de deux hommes libres jusqu’à la mort, je veux partager cette gloire avec eux. Et puis, à dire vrai, Brutus ne serait pas tout à fait en liberté si j’étais assez lache pour vivre captive. Il manquerait quelque chose à sa gloire si j’oubliais la mienne, l’affection qu’il eut toujours pour moi fait que nos interets ne peuvent être séparés. Je fus de la conspiration, puisque je la sus auparavant qu’elle fut exécutée. Il était donc bien juste que je suive le destin de Brutus, et sachez, Volumnius, que celle qui eut l’âme assez ferme pour se donner un coup de poignard, pour en souffrir la douleur et pour la cacher, afin de témoigner à son mari quelle savait bien celer un secret, ne changera pas aisément la résolution qu'elle a prise de mourir. L'image de Caton et celle de mon cher Brutus me remplissent tellement l'esprit que je ne vois plus autre chose, et leur mort me semble si digne d'envie que je la regarde, comme le plus grand bien qui ne me puisse jamais arriver. Souvenez-vous Volumnius, que le vrai zèle de la vertu consiste au désir de l'imiter, car ceux qui louent les hommes vertueux sans les suivre autant qu'ils le peuvent méritent plus de blâme que de louange, puisqu'ils connaissent le bien et ne le suivent pas. Caton est mort avec cet avantage d'avoir fait dire à César qu'il portait envie à sa mort, parce qu'elle le privait de la gloire de lui pardonner, et je veux qu'Octave porte envie à Brutus, de ce qu’il avait su choisir une femme assez courageuse pour le suivre jusques au tombeau. C'est là que nous jouirons d'une liberté que nous ne pourrons plus perdre, pendant que les Romains gémiront sous la pesanteur de leurs fers. Mais un jour viendra que le nom de Brutus leur sera en vénération; qu'ils souhaiteront un bien qu'ils ont refusé; et que le sang de Caton et de Brutus les fera rougir de confusion. Oui, ces citoyens romains qui se voyaient les maîtres de la terre, qui avaient des rois pour sujets, dont la gloire était sans tache, et dont la puissance n'avait rien au-dessus d'elle que celle des Dieux, seront dorénavant d'infâmes esclaves, et leur servitude sera rigoureuse qu'ils ne seront pas maîtres de leur propre volonté. Ils prendront tous les vices de leurs tyrans et Rome, qui était une école de vertu, deviendra une retraite de lâches adulateurs. Ô Ciel! est-il possible que les inclinations d'un si grand peuple se soient changées en un instant? Tous ces millions d'hommes, qui combattaient dans les plaines de Pharsale, sous les enseignes de Pompée, ont-ils tous été tués en cette bataille? Ou ont-ils perdu le cœur en le perdant? Tous ces rois, qui tiennent leurs couronnes de l'autorité du sénat, sont-ils tous ingrats? Et n'y en a-t-il aucun qui ait pu souffrir que Brutus l'ait déchargé de ses fers? Ce désir de la liberté, qui est si puissant parmi tous les animaux qui vivent en la terre est-il éteint parrmi les hommes? Et le sang d'un tyran mort est-il si cher aux Romains que, pour en honorer la mémoire et en porter le deuil, ils veuillent se charger de chaînes pour toute leur vie? Oui, toutes les légions romaines ont perdu le cœur; tous les rois nos vassaux, sont prêts à mettre leurs couronnes aux pieds de leurs tyrans; tous les Romains préfèrent l'esclavage à la liberté, les cendres de César leur sont en vénération et, pour dernier malheur, Brutus les a abandonnés. Ne pensez pas toutefois, Volumnius, qu'il ait voulu m'abandonner. Il est vrai, que lorsque nous [nous] séparâmes en la ville d'Eléa, il ne voulut pas que je demeurasse auprès de lui, quoique je fisse pour cela toutes choses possibles; parce, disait-il, que le voyage m'aurait donné trop de peine; et que je lui pourrais être plus utile à Rome que dans son armée. Mais en cette occasion, il n'en a pas été ainsi: je sais bien que Brutus a songé à moi en mourant; qu'il m'attend au lieu où il est ; et qu'il ne doute point que Porcie se souvienne que l'illustre Caton aima mieux déchirer ses entrailles que survivre à la liberté de son pays et qu'elle ayant encore de plus puissantes raisons qui l’y doivent porter, ne manquera pas de suivre le chemin qu'il lui a tracé. Quand la vie ne saurait plus être ni honorable ni heureuse, c'est une extrême prudence de la quitter, étant certain qu'elle ne nous doit être chère qu'autant qu’elle sert à notre gloire ou a celle de la patrie. Cela étant ainsi, je ne dois plus conserver la mienne : oui, Volumnius, je dois ma mort à ma propre gloire, à celle de Caton, à celle de Brutus et à celle de Rome. Mais ne pensez pas que cette mort me soit rude, je vais en un lieu où, sans doute, l’on connaît et l’on récompense la vertu.

Cet effroyable fantôme que Brutus vit sans s'épouvanter, auprès de la ville de Sardis et depuis auprès de celle de Philippes, ne m'apparaît point. Je ne vois que l'ombre de mon mari qui m'appelle et qui semble avoir quelque impatience que la mienne soit auprès d'elle. Je vois celle de Caton qui, retenant l'autorité de père, semble me commander de me hâter de quitter un lieu, indigne de la vertu de Porcie. Jugez, Volumnius, si cette vision m'épouvante et si, dans les deux chemins que j’ai à suivre, je peux avoir quelque difficulté à choisir.


D'un cóté, je vois ma patrie désolée; toute la terre couverte du sang de nos amis; nos persécuteurs devenir nos maîtres; tous mes parents en servitude; et, pour tout dire, rien au monde ne me peut être plus cher que les cendres de Brutus. Voilà, Volumnius, ce que je vois de ce côté-là, mais de l'autre je n'y vois que des félicités: mon père et mon mari m'attendent, le premier me demande le fruit des instructions qu'il ma données et l'autre, la récompense de l'affection qu'il m'a témoignée. Oui, généreux Caton, oui illustre Brutus, Porcie fera ce qu'elle doit en cette occasion, et rien ne l’en pourra empêcher. Car ne pensez pas, ô sage Volumnius, que la volonté soit une chose que l'on puisse contraindre, c'est par elle que nous ressemblons en quelque façon aux Dieux, c'est un privilège que le Ciel nous a donné. Les tyrans ne la sauraient forcer, elle n'est point sous leur domiation, et quand on a l'âme ferme et résolue on ne change jamais les desseins qu'on a faits. Ne croyez donc pas que les soins de mes parents puissent m'empêcher de mourir, ni moins encore, que vos raisons ébranlent en quelque façon mon esprit. Caton ne se laissa point fléchir aux larmes de son fils et Porcie ne se laissera non plus toucher à celles de ses proches ni à vos discours. Brutus, pour éviter la servitude, a pu se résoudre de me quitter; et par quelle raison ne me serait-il pas plus aisé et plus juste encore qu'à lui de finir ma vie? Ma liberté m'est aussi chère que la sienne lui était précieuse, mais j’ai cet avantage et cette douceur en mourant, qu’au lieu qu’il ne pouvait être libre qu'en m'abandonnant, je n'ai qu'à le suivre pour conserver ma franchise. Vous voyez donc bien, ô sage Volumnius, après tout ce que je viens de dire, que la mort m'est glorieuse, nécessaire et douce. Ne songez donc point à m'en empêcher, puisqu'aussi bien vos soins seraient inutiles. Ceux à qui l'on a fait changer de semblables résolutions voulaient sans doute être persuadés; ils avaient dans le fond de leur coeur un sentiment serre i s'opposait pour conserver et leur propre faiblesse était une garde assez forte pour conserver leur vie. C'était de ces gens qui voulaient finir, afin que l'on eût loisir de les en empêcher. Mais, pour moi, il n'en ira pas ainsi, je ne cache point mon dessein, je ne veux point tromper mes gardes, je leur dis franchement que j’échapperai de leurs mains et que la mort me délivrera de la paix où je suis. Oui Volumnius, je m'en vais mourir. Ô illustre et grand Caton! Ô généreux Brutus! venez recevoir mon âme. Voyez, chères ombres, si je suis digne du nom que je porte, ne me désavouez pas pour ce que je vous suis car si je ne me trompe ma fin ne sera pas digne d'une véritable Romaine. Voyez, mon cher Brutus si j'ai quelque faiblesse en cette dernière heure ou, plutôt, si je n'ai pas une extrême impatience d'être auprès de vous. Vous voyez, ô généreux Caton, que l'on m'ôte les poignards, les poisons et tout ce qui pourrait, se semble, servir à mon dessein. Ma chambre est devenue ma prison, il n'y a pour moi ni précipices ni cordeaux, et j’ai des gardes qui m'observent. Mais en m'ôtant toutes ces choses, on ne m’ôte pas la volonté de mourir ni la mémoire de votre vertu. Je me souviens, ô illustre Caton, de ce jour glorieux où vous surmontâtes César en vous surmontant vous-même. Vous disiez lors, à ceux qui vous gardaient que votre vie n'était point en leur puissance puis que pour la finir vous n'aviez qu'à vous empêcher de respirer ou à vous écraser la tête contre la muraille. C'est donc, en suivant une si généreuse leçon, que je m'en vais trouver mon cher Brutus. Voyez, ô illustre mari, la dernière action de Porcie; jugez de sa vie par sa mort et de l'affection qua j'ai eue pour vous, par ces charbons ardents que je tiens et qui s'en vont m'étouffer.


EFFET DE CETTE HARANGUE



En disant ces dernières paroles, elle fit ce qu'elle disait et par une fermeté de courage qui donne de l'admiration et de l'horreur, elle fit voir que les choses ne sont aisées ou impossibles, que selon la manière dont on les envisage et que lors que l'on aime quelqu'un plus que sa vie, l'on n'a point de peine à suivre sa mort.


 

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