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J'offre LES FEMMES ILLUSTRES aux plus illustres des femmes, et je les conjure d'en vouloir prendre la protection. En soutenant la gloire de ces héroïnes, elles soutiendront la leur propre : et par un intérêt généreux, elles se défendront en les défendant. Pour moi, belles et aimables Dames, qui ai toujours été adorateur de votre Sexe, pourvu que cet ouvrage vous plaise et qu'il vous contribue quelque chose à votre réputation, je serai arrivé à la fin que je me suis proposée. Que si toutefois, par une bonté qui vous est naturelle, vous voulez me protéger, et la malice des hommes me reduise aux termes d'avoir besoin de ce glorieux secours, vous leur direz, s'il vous plaît, ce que je m'en vais vous dire; et tâcherai de les faire taire, si vous me jugez digne de parler.
Il sauront donc, pour les instruire de mon dessein, que l'heureux succès de la traduction que j'ay faite des Harangues de Manzini m'a obligé en partie à entreprendre celles-ci. J'ai voulu voir si je réussirais aussi bien en original qu'en copie; et si je ne m'égarerais point lorsque je marcherais sans guide. Que s'ils trouvent étrange que j'aie choisi des femmes pour exprimer mes pensées, et qu'ils s'imaginent que l'Art Oratoire vous est absolument inconnu, désabusez-les, je vous conjure; et me défendez avec tant d'éloquence, qu'ils soient contraints de confesser que vous n'en manquez pas, et que, par conséquent, je n'ai point failli en mon élection. En effet, entre mille belles qualités que les Anciens ont remarquées dans votre sexe, ils ont toujours dit que vous possédiez l'éloquence, sans art, sans travail et sans peine ; que la Nature vous donnait libéralement ce que l'étude nous vend bien cher ; que vous naissiez ce que nous devenons en fin ; et que la facilité de bien parler vous est naturelle, au lieu qu'elle nous est acquise. Mais me diront-ils peut-être, puisque les Dames sont naturellement si éloquentes, pourquoi ne leur faites-vous pas observer ponctuellement toutes les parties de l'Oraison, comme la Rhétorique les enseigne dans les Ecoles? Que ne voit-on pas en ce Livre (pardonnez-moi Illustres Dames les terribles mots que je vais dire) les Exordes, les Narrations, les Epilogues, les Exagérations, les Métaphores, les Digressions, les Antithèses et toutes ces belles figures qui ont accoutumé d'enrichir les ouvrages de cette espèce? A cela j'ai à leur répondre qu'elles y sont ; mais qu'elles y sont plus adroitement placées. L'artifice le plus délicat consiste à faire croire qu'il n'y en a point: vous portez des mouches sur le visage, que votre adresse y a mises, pour relever la blancheur du teint. Mais elles y sont mises de sorte qu'on dirait qu'elles sont vivantes, et qu'elles y ont volé par hasard. Vous faites des boucles et des anneaux à vos cheveux ; mais c'est avec une négligence si subtile, et une nonchalance si agréable, qu'on soupçonne plutôt le vent que votre main, d'avoir aidé à la Nature. Tout de même ici j'ai tâché de faire mes Héroïnes éloquentes: mais je n'ai pas jugé que l'éloquence d'une Dame dût être celle d'un Maître aux Arts. Les Ruelles et les Classes, les Collèges et le Louvre, la Cour et l'Université ont des manières aussi différentes que si c'étaient des peuples éloignés : et quiconque ferait voir une Demoiselle du pays Latin aux jeunes Gens de la Cour, ils la regarderaient comme un Monstre, et la traiteraient de ridicule. C'est, Illustres Personnes, ce que vous avez à leur dire sur le sujet dont il s'agit. Que s'ils ajoutent que je n'ai observé nul ordre de chronologie en celui où j'ai placé mes Harangues; que l'on y voit Cléopâtre devant Sisygambis, Lucrèce après Zénobie, et ainsi toutes les autres; vous leurs direz qu'il est vrai, mais que cette erreur est volontaire, et si je l'ose dire judicieuse. J'ai imité en cette occasion l'adresse de celles qui font des bouquets et qui mêlent par une confusion régulière les Roses et le Jasmin, la fleur d'Orange et de Grenade, les Tulipes et les Jonquilles; afin que de ce beau mélange de couleurs résulte cette agréable diversité qui plaît toujours tant à la vue. De même ici j'ai choisi dans l'Histoire ls matières les plus illustres et les plus différentes que j'ai pu ; et je les ai mêlées avec un tel ordre qu'il soit adroitement caché ; qu'il est comme impossible que le Lecteur n'en soit diverti. Or, Divines Personnes, si l'on remarque pas hasard qu'entre mes Héroïnes il y en a plus d'affligées que de contentes, répondez que c'est une chose ordinaire ; que la Fortune et la Vertu sont deux anciennes ennemies ; que toutes les belles ne sont pas heureuses ; et que la compassion et la pitié ne sont pas les sentiments les moins agréables et les moins touchants que cette espèce de lecture puisse donner. Vous aurez encore à répondre à ceux qui trouveraient étrange que le titre de mon live soit
LES FEMMES ILLUSTRES OU LES HARANGUES HEROIQUES
et qui diraient que des femmes et des harangues, ne sont pas la même chose. Vous aurez, dis-je, à leur répondre que l'exemple d'Hérodote m'autorise et les condamne, et que puisqu'il ne lui a pas été défendu de nommer les neuf livres de son Histoire Melpomène, Eraton, Clio, Uranie, Terpsichore, Euterpe, Thalie, Calliope et Polymnie, qui sont les neuf Muses, elles qui sont des Déesses et non pas des Livres, ce que j'ai fait me doit bien être permis. Que si l'on observait encore que dans une partie de mes Harangues il y a quelques pensées que l'on a vues dans les Tragédies modernes, où les mêmes Héroïnes sont introduites, empêchez, je vous en conjure, que l'on n'aie l'injustice de me soupçonner de les avoir prises en ce lieu-là. Et pour m'en justifier dites, s'il vous plaît, qu'il est certaines notions universelles qui viennent nécessairement à tout le monde, quando on traite les mêmes sujets. Que de plus, s'il y a quelque chose d'étranger en mon ouvrage, il n'a pas été pris chez les Modernes, mais qu'eux et moi l'avons prix chez les Anciens. J'ai cru qu'il fallait orner ces Harangues de tout ce que l'Histoire avait de beaux et de remarquable dans les sujets que j'ai traités; et j'en ai fait une recherche assez curieuse pour en mériter quelque gloire. Mais cependant j'ai été si scupuleux en cela, que j'ai marqué d'un caractère différent tout ce qu'elle m'a fourni, quant aux pensées, pour faire taire la médisance ; car pour l'envie, je ne m'estime pas assez pour oser croire que je la fasse parler. Enfin, pour achever de répondre à toutes les objections qu'on pouvait faire contre moi: si quelqu'un prenait les médailles de ces Héroïnes pour des médailles faites à plaisir, et qu'il les crût fausses parce que les inscriptions en sont françoises, au lieu qu'en celles qui sont véritables elles sont grecques ou latines, répondez, s'il vous plaît, que les curieux qui les connaissent me défendront des ignorants qui ne les connaissent pas: et que si j'ai traduit ces inscriptions en notre langue, ç'a été en faveur de ceux qui n'auraient pas entendu les latines, et qui n'auraient pas seulement pu lire les grecques.
Voilà, Illustres Dames, ce que vous avez à dire pour moi, ou pour parler plus véritablement, voilà ce que j'avais à vous dire. Car, pour finir ce discours par où je J'ai commencé, pourvu que vous soyez satisfaites, je ne puis manquer d'être content; et si l'ARC DE TRIOMPHE que j'ai élevé A LA GLOIRE DE VOTRE SEXE n'est pas jugé indigne de vous, ce ne sera pas le dernier ouvrage que j'entreprendrai pour vous. Je médite un second volume de Harangues, dont les sujets ne sont pas moins grands que les premiers: ils ont même quelque chose de plus piquant et de plus propre à divertir. Mais vous trouverez bon, après cette première course, que je pare au bout de la carrière; qu'avant que d'en faire une seconde je regarde vers les échafauds et que je cherche à connaître dans vos yeux si mon adresse vous a plu.
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