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Zénobie à ses filles

SIXIÈME HARANGUE -

ARGUMENT -
Cette harangue et celle qui la précède font bien voir que toutes les choses ont deux faces, et que par des chemins différents l'on arrive à même la fin, je veux dire à la vertu. Sophonisbe veut mourir, la vaillante Zénobie veut vivre. Toutes deux veulent vivre et mourir par des sentiments généreux. L'une regarde la liberté comme le souverain bien, l'autre croit que le souverain bien n'est qu'en la souveraine sagesse. L'une ne peut seulement souffrir l'idée d'un char, parce qu'elle le croit honteux à ceux qui le suivent; l'autre suit ce char presque sans douleur, parce qu'elle ne croit rien honteux que le crime. L'une regarde le triomphe d'un vainqueur avec désespoir, comme sa suprême disgrâce; l'autre le considère avec mépris, comme un caprice de la fortune. L'une meurt et l'autre vit; l'une cherche la gloire où l'autre croit l'infamie et néanmoins, comme je l'ai dit, l'une et l'autre ont la vertu pour objet, tant il est vrai que toutes choses ont des visages divers, selon le biais dont on les regardeVous avez entendu les raisons de l'une, oyez encore celles de l'autre, et jugez de toutes deux.

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Suivre un char sans faiblesse, avec une couronne;
Voir un sceptre et des fers, sans en mourir d'ennui;
Enseigner la constance à celui qui les donne;
C'est vaincre la fortune et triompher de lui.

Zénobie à ses filles


Il y a déjà longtemps, chères et infortunées princesses, que je vois couler vos larmes inutilement. C'est en vain que ma constance vous a fait connaître que les grandes âmes peuvent supporter les grandes douleurs sans désespoir. L'image du trône, que vous avez perdu et du char que vous avez suivi, revenant toujours en votre mémoire, fait que mon exemple ne vous sert de rien et que tous les jours de votre vie vous redonnent une nouvelle affliction. Vous portez encore dans le cœur les fers que vous aviez aux mains le funeste jour que vous entrâtes à Rome et, sans rien perdre de ce noble orgueil que l'illustre naissance inspire à ceux qui naissent avec cet avantage, Aurélien triomphe encore de vous, toutes les fois que vous vous souvenez de son triomphe. Je suis bien marrie, ô mes filles, qu'après vous avoir rendu les compagnes de mes disgrâces, je ne puisse vous donner la constance nécessaire pour les supporter. C'est pourtant le seul héritage que je vous puis laisser en mourant, et je souhaite, de toute mon affection, que cette vertu puisse passer de mon cœur dans le votre afin que, ne pouvant vivre en reines, vous puissiez du moins régner sur vous-mêmes. Si quelqu'un pouvait, avec raison, se désespérer pour un excès de malheur, il est certain que Zénobie l’aurait dû faire car, comme elle a eu plus de gloire que personne de son sexe n'en a jamais pu obtenir, son infortune aussi a été la plus déplorable dont on ait jamais entendu parler. Vous savez que de mon côté vous pouvez conter entre vos aïeuls les Ptolémées, rois d'Egypte, et qu'enfin je suis descendue de l'illustre sang de Cléopâtre. Mais hélas ! on dirait que ce char de triomphe qu'Auguste lui destinait a passé jusqu' à moi par droit de succession et que je n'ai fait que suivre celui qui lui était préparé. La fortune m'a pourtant traitée avec plus d'inhumanité car, comme vous ne le pouvez ignorer, j'ai suivi un char que je croyais mener et que j'avais fait faire avec dessein de triompher de celui qui a triomphé de moi. Vous savez encore que le commencement de ma vie, n'a été rempli que de félicité. Le vaillant Odenath votre père et mon cher seigneur, après m'avoir donné la couronne de Palmyre, voulut encore que je partageasse avec lui la gloire de ses conquêtes, et je puis dire sans orgueil et sans faire tort à ce grand homme que s'il avait donné à Zénobie la couronne qu'elle portait, elle aussi avait de sa main ajouté quelques feuilles de laurier, à celle que la victoire lui avait mise sur la tête. Oui, mes filles, je puis dire sans offenser la mémoire d'Odenath que nous conquetâmes ensemble tout l'Orient et que, poussés d'un juste sentiment, nous entreprîmes de venger sur les Perses les indignités que l'on faisait souffrir à l'empereur Valérien, que Sapor tenait prisonnier, pendant que l'infâme Gallienus, son fils, s'abandonnait à toutes sortes de délices. Odenath pourtant ne laissa pas de lui envoyer tous les prisonniers que nous fîmes en cette guerre. Nous prîmes les meilleures places de la Mésopotamie; Carres et Nisibis se rendirent à mon cher seigneur et, poursuivant la victoire, nous défîmes auprès de Ctésiphon une multitude innombrable de Perses. Nous fîmes plusieurs Satrapes prisonniers, leur roi même prit la fuite. Et demeurant presque toujours victorieux, en toutes les rencontres où nous nous trouvâmes, la renommée fit tant de bruit de la valeur d'Odenath qu'enfin Gallien s'en éveilla. Alors poussé par la crainte, plutôt que par la reconnaissance, il le fit son collègue à l'empire. Et pour l'honorer encore davantage, il fit faire aussi, comme vous l'avez su, des médailles où mon cher Odenath traînait les Perses captifs. Jusque-là je n'ai eu que de la félicité: la victoire et la fortune m'ont également favorisée. Mais hélas! le pourrais-je dire? Mon cher Odenath, ayant été assassiné avec l'aîné de mes enfants, je passai d'une extrémité à l'autre et je fus aussi infortunée que j'avais été heureuse. Ce fut là mes filles que j'eus besoin de toute ma vertu pour supporter ce malheur et la perte d'Odenath est sans doute ce qui m'a rendu moins rude la perte de ma liberté. J'eus plus de peine à suivre mon cher seigneur jusqu' au tombeau que je n'en ai eu à suivre le char d'Aurélien. Et sa pompe funèbre me fit bien plus verser de larmes que n’a fait la magnificence du triomphe. Mais quoique ma douleur fut excessive, je ne m’arrêtai pourtant pas longtemps à pleurer. Je songeai à conserver l'empire à mes enfants et à laver le sang qu'il avait répandu, avec le sang de ses ennemis. Et comme on pouvait dire que la valeur avait été l'âme de ce grand homme, je fit vœu de passer toute ma vie à cueillir des palmes pour mettre sur son tombeau, afin de pouvoir dire un jour que de ma seule main j'aurai vengé sa mort, conservé l'empire à ses enfants et élevé un trophée à sa gloire. Je crus -dis-je- qu'il valait mieux apprendre sur son cercueil, les dépouilles des ennemis que je surmonterais que de mouiller ses cendres avec mes pleurs et, en cette résolution, je pris les armes d'une main et de l'autre les rênes de l'empire. J'ai toujours cru, mes filles, que toutes les vertus ne pouvaient étre incompatibles; qu'il était possible qu'une même personne les possédât toutes; que celles des hommes pouvaient être pratiquées par des femmes ; que la véritable vertu n'avait point de sexe affecté; qu'on pouvait être chaste et vaillante tout ensemble; témoigner de la grandeur de courage en une occasion et de l'humilité en l'autre; être sévère et clémente en diverses rencontres; pouvoir commander et obéir et savoir porter des fers et une couronne avec un même visage. C'est par ce sentiment - ô mes filles- que j’ai fait des choses si différentes en apparence, quoique j'aie toujours été la même que je suis aujourd'hui. Mais pour vous repasser toute ma vie, vous savez que la mort, qui me ravit mon cher Odenath, ne me ravit pas le bonheur de ses armes. Au contraire, il sembla que sa valeur se joignit à la mienne; je défis l'armée que Gallien avait envoyée contre moi], sous la conduite d'Héraclian, et, non contente de cette première victoire, je passai en Egypte et me rendis maîtresse absolue du royaume de mes prédécesseurs. De là je fus jusqu'à Ancyre, ville principale de la Galatie, je portai même mes armes dans toute la Bithynie, jusqu'à Calcédoine, et au-dessous du Bosphore. Et après avoir vaincu les Perses, en diverses rencontres, et porté le bruit de mes victoires dans tout l'univers, Aurélien, conduit par la fortune et plus capable de se servir d'une épée que ne l'avait été Gallien, vint enfin en personne en arrêter le cours. Je vous repasserais mes infortunes exactement comme j'ai fait ma félicité, si je ne savais bien que vous vous en souvenez que trop. Et je n'aurais pas entrepris de vous redire mes victoires, si votre extrême mélancolie ne m'avait fait penser que votre imagination, ne recevant plus que de funestes images, vous les auriez oubliées. Vous n'ignorez donc pas par quel chemin Aurélien m'a conduite à Rome. Vous vous souvenez, sans doute, comme la perfidie d'Héraclamon lui fit prendre la ville de Thiane; comme malgré ma conduite et ma valeur, l'artifice d'Aurélien lui fit gagner la bataille devant Antioche; comme l'industrie de Zabas mit ma personne en sûreté ; comme je me retirai dans Emèse ; comme je ralliai mes troupes ; comme une seconde fois je présentai la bataille à Aurélien qui, après l'avoir pensé perdue, la gagna enfin malgré tous mes efforts. Vous savez encore que j'abandonnai Emèse et que je me retirai dans Palmyre, en attendant le secours que les Perses, les Sarrasins et les Arméniens m'avaient promis. Vous savez -dis-je- qu'Aurélien vint m'y assiéger, avec cette puissante armée qu'il avait lors composée de Pannoniens, de Dalmates, de Mœsiens, de Celtes, de quantité de Maures et grand nombre d'autres troupes tirées de l'Asie, de Thíane, de la Mésopotamie, de la Syrie, de la Phénicie et de la Palestine. Vous savez - dis-je- que je vis, en ce temps-là, un aussi grand appareil de guerre contre moi qu'il en aurait fallu, pour conquérir toute la terre. Néanmoins, je ne perdis pas le cœur, en cette occasion: vous savez que je défendis les murailles de Palmyre avec autant de courage que de conduite; qu'Aurélien même y fut dangereusement blessé par un coup de flèche qui, peut être, lui fut tiré de ma main, car les Dieux savent combien j’ai épargné ma vie, pour conserver votre liberté. Au reste j'ai su, depuis que je suis à Rome, que la postérité saura que je n' ai pas abandonné le trône qui vous appartenait sans le défendre. Aurélien ayant écrit de sa main à Mucapor, son ami, qu'il était vrai qu'il faisait la guerre à une femme, mais une femme qui avait plus d'archers à sa solde que si c'eût été un homme. A une femme qui avait de la prudence dans le péril et qui, par sa prévoyance, avait fait un si grand appareil de guerre pour s'opposer à ses conquétes, qu'il était impossible de s'imaginer le nombre prodigieux de dards et de pierres dont elle avait fait provision. Enfin - disait-il, en parlant toujours de moi -,il n'y a endroit des murailles de Palmyre qui ne soit défendu par plusieurs machines. Les siens lancent à toute heure des feux d'artifice sur les nôtres, et en peu de parole, elle craint comme une femme et combat aussi comme une personne qui craint.


Voilà, mes filles, ce que mon ennemi a dit de moi et, certes, il n'avait pourtant pas raison de dire que je craignais, puisque lorsqu'il envoya offrir la vie et le pardon - car sa lettre était conçue en ces termes - pourvu que je rendisse la place et que je remisse entre ses mains toutes mes pierreries et tous mes trésors, je lui répondis avec tant de fermeté qu'Aurélien s'en offensa. Il me souvint qu'entre les autres choses que je lui disais, je lui mandais que jamais personne auparavant lui, ne m'avait demandé ce qu'il désirait de moi: Souviens-toi (lui disais-je) que la vertu doit aussi tien conduire les choses de la guerre que celles de la paix. Au reste, je t'apprends que le secours des Perses, que nous attendons, ne nous manquera point. Nous avons dans notre parti les Arméniens et les Sarrasins, et puisque les voleurs de Syrie, Aurélien, ont vaincu ton armée, que sera-ce quand nous aurons les forces que nous attendons de toutes parts ? tu me commandes de me rendre.


Vous voyez, mes filles, que durant que vous étiez aux temples à prier les dieux, je faisais toutes les choses possibles pour vous conserver et pour ne rien faire contre ma gloire. Vous savez, ensuite, comment Aurélien défit les Perses qui venaient à notre secours et que, voyant qu'il était absolument impossible de sauver cette place, je voulus du moins mettre ma personne en sûreté. Mais le destin, qui avait résolu ma perte, fit enfin qu'Aurélien fut mon vainqueur et que je fus sa prisonnière. Aussitôt qu'il me vit, il me demanda d'où venait l'audace que j'avais eue de m'attaquer aux empereurs romains et de mépriser leurs forces. « Aurélien - lui dis-je - je te reconnais pour légitime empereur parce que tu sais comment il faut vaincre, mais pour Gallien et pour ses semblables, je ne les ai jamais tenus pour tels.


Jusqu ici, mes filles, vous ne pouvez pas m'accuser d'avoir manqué de cœur. J'ai autrefois porté une couronne sans orgueil, j'ai eu la main assez ferme pour tenir tout à la fois et un sceptre et une épée. J'ai su également et l'art de régner et l'art de combattre. J'ai su vaincre, et qui plus est, j'ai su bien user de la victoire. J'ai reçu la bonne fortune avec modération et dans les temps même où ma jeunesse et la faiblesse de mon sexe me pouvaient faire prendre quelque vanité du peu de beauté qui paraissait en moi, j'ai entendu sans plaisir tous les flatteurs de la cour me peindre dans leurs vers avec des lys et des roses, dire que mes dents étaient des perles orientales, que mes yeux tout noirs qu'ils étaient paraissaient plus clairs que le soleil, et que Vénus enfin, n'était pas plus belle que moi. Je vous ai dit toutes ces choses, mes filles, et je me suis étendue plus que je ne devrais, pour vous faire comprendre que, dans toutes les actions de ma vie, je n'ai jamais eu aucune faiblesse. Ne pensez donc pas qu’en la plus importante de toutes celles que j'ai faites et en celles où il fallait le plus de cœur, j'ai manqué d'en avoir comme j'en ai eu en toutes les autres. Non, mes filles, je n'ai rien fait en toute ma vie qui me donne une plus grande satisfaction de moi-même que d'avoir pu suivre un char de triomphe avec constance. C'est véritablement en ces occasions qu'il faut avoir l'âme grande, et qu'on ne me dise point qu’en ces rencontres le désespoir est une vertu et la constance une faiblesse. Non, le vice ne saurait jamais être vertu et la vertu aussi ne saurait jamais être vicieuse. Qu'on ne me dise point, encore,que cette sorte de constance est plus propre à des philosophes qu'à des rois. Et sachez, mes filles, qu'il n'y a nulle différence entre des philosophes et des rois, sinon que les uns enseignent la véritable sagesse et que les autres la doivent pratiquer. Enfin, comme les souverains doivent l'exemple à leurs sujets et qu'ils sont en vue à toute la terre, il n'est point de vertu qu'ils ne doivent suivre. Entre toutes celles qui sont néanmoins les plus nécessaires aux princes, la constance est la plus illustre comme étant la plus difficile; car ce désespoir, qui met le poignard à la main de ceux qui veulent éviter la servitude, c’est plutôt une faiblesse qu'une vertu. Ils ne peuvent regarder la fortune quand elle est irritée: elle ne veut pas tant les attaquer qu'ils évitent de la combattre; elle ne veut pas tant les détruire qu'ils aident eux mêmes à son dessein; par une faiblesse indigne d'eux, ils quittent la victoire à cette volage et, par une action précipitée, sans savoir bien souvent ce qu'ils font, ils quittent leurs fers en quittant la vie dont ils n'ont aimé que les douceurs, sans en pouvoir souffrir les amertumes. Pour moi, mes filles, qui suis dans d'autres sentiments, je tiens que quiconque a vécu avec gloire doit mourir le plus tard qu'il lui est possible et, qu'à raisonnablement parlé, la mort précipitée est plutôt une marque de remords, de repentir et de faiblesse que de grandeur de courage. Quelqu'un me dira, peut-être, que je suis d'un sang à ne devoir jamais porter de fers, que Cléopâtre n'ayant pas voulu suivre le char d'Auguste, je ne devais jamais suivre celui d'Aurélien. Mais il y a cette différence, entre cette grande reine et moi, que toute sa gloire consiste en sa mort et que je fais consister la mienne en ma vie. Sa réputation ne lui eût pas été avantageuse, si elle ne fût morte de sa main, et la mienne ne serait pas au point où elle est, si je m'étais privée de la gloire de savoir porter des fers, avec autant de grandeur de courage que si j'eusse triomphé] d'Aurélien, comme il a triomphé de moi. Si Cléopâtre eût suivi le char d'Auguste, elle eût vu cent objets fâcheux en traversant Rome, qui lui eussent reproché ses imprudences passées. Le peuple lui aurait sans doute fait entendre, par des murmures, une partie des manquements de sa conduite. Mais pour à moi, j'étais bien certaine de ne voir autour du char que je suivais, que des hommes que j'avais vaincus autrefois et des témoins de ma valeur et de ma vertu. J'étais - dis-je - assurée de n’ouïr rien de fâcheux et de n'entendre parler que de mon malheur présent et de mes victoires passées. Voilà, disait ce peuple, la vaillante Zénobie; voilà cette femme qui a remporté tant de victoires: admirez sa constance en cette rencontre, dirait-on pas que ces chaînes de diamants qu'elle porte la parent plutôt qu'ils ne l'attachent et qu'elle mène le char qu'elle suit? Enfin, mes filles, pendant que j'étais toute chargée de fers, ou pour les mieux nommer de chaînes d'or et de pierreries comme une illustre esclave, pendant toute la magnificence de ce triomphe qui est sans doute le plus fâcheux jour de la servitude, j'étais libre dans mon cœur et j'eus lime assez tranquille pour voir, avec plaisir, que ma constance arracha des larmes de quelques-uns de mes ennemis. Oui, mes filles, la vertu a de si puissants charmes que l'austérité romaine n'y put résister, et je vis quelques-uns d'entre eux pleurer la victoire d'Aurélien et mon infortune. Au reste, il ne faut pas avoir la faiblesse de laisser ébranler son âme, par des choses qui ne le touchent point du tout, quand on est parfaitement sage. Tout ce grand appareil, que l'on fait pour les triomphes, ne doit point donner d'effroi à un esprit raisonnable; tous ces chariots d'or, ces chaines de diamants, ces trophées d'armes, et cette multitude de peuple qui s'amasse à voir cette funeste cérémonie, ne doivent point faire de peur à une personne généreuse. Il est vrai que mes chaînes étaient pesantes mais, quand elles ne blessent point l'esprit, elles n'incommodent guère les bras qui les portent et pour moi, en ce déplorable état, je pensai plus d'une fois que, comme la fortune avait fait que je suivais un char que j'avais moi-même fait faire pour triompher, par la même révolution qui arrive à toutes les choses du monde, il pourrait être qu'un jour on vous feriez des sceptres, des mémes chaînes que je portais. Mais, enfin, quand cela n'arriverait pas, ne vous en affligiez que modérément: ayez plus de soin de vous rendre dignes du trône que d'y remonter, car de l'humeur dont je suis je fais plus de cas d'un simple esclave quand il est fidèle que du plus puissant roi du monde quand il n'est pas généreux. Songez donc, mes filles, à supporter votre servitude avec plus de constance, et croyez certainement que si j'ai été vaincue d'Aurélien, la mienne a surmonté la fortune. Il a assez paru, dans toute la suite de ma vie, que la mort ne m'épouvantait point, quand elle pouvait m'être glorieuse. Je l'ai vue cent fois, sous un visage plus terrible que tous les désespérés ne l’ont jamais vue. Le poignard de Caton, l'épée de Brutus, les charbons ardents de Porcie, le poison de Mithridate, ni l'aspic de Cléopâtre n'ont rien de si effroyable. J'ai vu une grêle de dards et de flèches tomber sur ma tête; j'ai vu cent javelines, les pointes tournées contre mon cœur, et cela sans m'épouvanter. Ne pensez donc pas, si j'eusse cru que la mort m'eût pu être glorieuse que je ne l'eusse trouvée en ma propre main. Elle était accoutumée à vaincre les autres. Elle aurait rompu mes fers si je l'eusse voulu, mais j'ai cru que j'aurais plus de gloire à les porter, sans répandre des larmes, qu'à verser mon sang par faiblesse ou par désespoir. Ceux qui font consister leur satisfaction, en eux-mêmes, quittent le trône avec moins de regret que les autres, qui ne rencontrant rien en leur âme qui les contente, sont contraints de trouver leur félicité, dans les choses qui leur sont étrangères. Vous me demanderez, peut-être, ce qui reste à faire à des princesses qui ont perdu l'empire et la liberté. Je vous répondrai avec raison que, puisque les dieux ont voulu donner une si noble matière à votre courage, vous êtes obligées d'en bien user et de faire connaître à toute la terre, par votre patience et votre vertu, que vous étiez dignes du sceptre qu'on vous a ôté, et que les fers qu'on vous a donné sont indignes de vous. Voilà, mes filles, ce qui vous reste à faire, et si vous pouvez être touchées par mon exemple et mes raisons, vous trouverez que la vie vous pourra être encore douce et glorieuse. Vous avez du moins cet avantage, qu'en l'état qu'est votre fortune elle ne saurait devenir plus mauvaise qu'elle est, de sorte que si vous pouvez une fois vous y accoutumer, rien ne pourrat plus, après cela, troubler votre repos. Souvenez-vous que de tant de millions d'hommes qui sont au monde, il n'y en a pas cent qui portent des couronnes. Et croyez-vous, mes filles, que tous ces hommes soient malheureux et que, hors du trône, il n'y puisse avoir nulle douceur? Si la chose est ainsi, ô que vous êtes abusées! Il n'est point de condition en la vie qui n'ait ses peines et ses plaisirs, et la véritable sagesse est de savoir également bien user de toutes, si la fortune vous les fait éprouver. Ceux qui se font mourir eux-mêmes ne savent pas que, tant que l'on est vivant, l'on est en état d'acquérir de la gloire. Il n'est point de tyran qui puisse m'empêcher d'immortaliser, tous les jours, mon nom pourvu qu'il me laisse vivre et que je sois vertueuse, et mon silence même, s'il me faisait souffrir quelque supplice que j'endurasse constamment, ne laisserait pas de parler pour moi. Vivons donc, mes filles, puisque nous le pouvons faire avec honneur et qu'il nous reste encore des moyens de témoigner notre vertu. Le sceptre, le trône et l'empire, que nous avons perdus, ne nous ont été donnés que par la fortune mais, pour la constance, elle vient directement des Dieux. C'est de leurs mains que je l'ai recue, et c'est pour cela que vous la devez imiter, elle est la véritable marque des héros comme le désespoir l'est des faibles ou des inconsidérés. Ne vous mettez donc point en peine, de ce que la postérité dira de moi et ne craignez pas que le jour du triomphe d'Aurélien ait terni toutes mes victoires puisque, comme je vous l'ai dit, c'est le plus plus beaux de ma vie. Et puis j'ai su qu'Aurélien a fait un portrait de moi en parlant au Sénat qui me fera connaître à nos neveux. Conservez-le, mes filles, afin que, quand je ne serai plus, le souvenir de ce qu été vous oblige à être toujours ce que vous devez être. Voici les couleurs dont Aurélien s'est servi pour ce tableau.


J'ai appris[437:a-t-il dit] -qu'on me reproche que j’ai fait une chose peu digne d'un grand courage, triomphant de Zénobie, mais ceux qui me blâment ne sauraient qu'elle louange me donner, s'ils savaient quelle était cette femme. Combien elle était avisée en ses conseils, combien elle se montrait courageuse et constante en l'ordre qu’elle tenait, combien elle était impérieuse et grave à l'endroit des gens de guerre. Combien elle était libérale, quand ses affaires l'y obligeaient et combien elle était sévère et exacte, quand la nécessité l'y contraignait. Je puis dire que ç'a été, par son moyen, qu'Odenath a vaincu les Perses et poursuivi le roi Sapor jusqu'à Ctésiphon. Je puis assurer que cette femme avait tellement rempli l'Orient et l'Egypte de la terreur de ses armes, que ni les Arabes, ni les Sarrasins, ni les Arméniens n'osaient remuer.Que ceux donc à qui ces choses ne plaisent pas se taisent, car s’il n’y a point d’honneur d’avoir vaincu et d’avoir triomphé d’une femme, que diront-ils de Gallien, au mépris duquel elle a su maintenir son empire ? que diront-ils de Claudius, prince saint et vénérable, qui, étant occupé aux guerres des Goths, par une louable prudence, a enduré qu’elle régnât, afin que cette princesse,  occupant ailleurs ses armes, il pût plus aisément achever ses autres entreprises ? 


Voilà, mes filles, ce que mon vainqueur a dit de moi quoique j’aie suivi son char. Ayez la même équité, je vous en conjure, et croyez que quiconque a vécu de cette sorte n’a que faire de se donner la mort, pour immortaliser son nom.Ayez la même équité, je vous en conjure, et croyez que quiconque a vécu de cette sorte n’a que faire de se donner la mort, pour immortaliser son nom.


EFFET DE CETTE HARANGUE

Cette harangue fit voir que l'orateur persuadé persuade aisément les autres. Ces princesses vécurent comme leur mère n'avait pas voulu mourir, et les jardins qu'Aurélien leur avait donnés pour leur demeure, et que l'on appelle aujourd'hui Tivoli, leur semblèrent plus beaux que le cercueuil. L'Histoire marque que cette généreuse reine fut toujours fort estimée de toutes les dames de Rome, et que ses filles furent mariées dans les plus illustres familles. C'était peu pour leur naissance mais c'était beaucoup pour leur infortune, puis que ce même peuple avait cru qu'Antoine et Titus s'étaient mariés indignement, quoiqu'ils eussent épousé des reines. Ce sentiment était superbe mais c'était celui des maîtres du monde, et qui dit cela, dit tout.

 

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