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Mariamne à Hérodes

SECONDE HARANGUE -

ARGUMENT -

Peu de gens ignorent qu'Hérode fit mourir sa femme, mais tous ne savent pas ce qu'elle dit en sa défense. Des deux historiens qui ont parlé d'elle l'un n'était pas de son temps et l'autre était des flatteurs de son mari, ainsi c'est à nous à chercher la vérité parmi l'ignorance de l'un et la malice de l'autre. Pour moi, j'avoue que je me range du parti de Mariamne, et que soit par pitié ou par raison, soit, dis-je, que sa beauté m'éblouisse ou que son innocence m'éclaire, je ne saurais croire qu'une Princesse, sortie de l'illustre et généreux sang des Maccabées , ait mis une tache à sa réputation. Et j'aime mieux croire qu'Hérode fut toujours Hérode, je veux dire un injuste et un sanguinaire. Voici donc l'apologie de cette belle infortunée qui aura plus de grâce en sa bouche qu'en la mienne. Écoutez-la donc parler, je vous en conjure, et remarquez en son noble orgueil le vrai caractère de l'humeur de Mariamne.

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Monstre qui fit périr cette innocente reine,
Dont ton cœur adorait le visage charmant,
Quel serait l'effet de ta haine,
Si tu fais mourir en aimant?

Ce n’est ni la crainte de la mort, ni le désir de la vie qui me font parler aujourd'hui. Et si j'étais assurée que la postérité me rendît justice quand je ne serai plus, j'aiderais moi-même à mes accusateurs et à mes ennemis. Je regarderais le dernier de mes jours comme le premier de ma félicité et j'attendrais l'heure de mon supplice avec tant de constance qu'elle donnerait, peut-être, quelque confusion à ceux qui me persécutent. Mais puisqu'on en veut autant à ma vertu qu'à ma vie, il y aurait de la lâcheté à souffrir la calomnie sans la repousser, et l'innocence et la gloire sont des choses si précieuses qu'on doit tout faire pour les conserver. Souffrez donc seigneur - s'il est bien séant à la petite fille d'Hircane de vous appeler ainsi - que pour vous faire voir la pureté de mon âme je rappelle en votre mémoire ce que vous êtes et ce que je suis, afin que comparant mes actions passées avec les accusations que l'on fait maintenant contre moi, vous puissiez en quelque sorte préparer votre esprit à croire les vérités que je lui dois dire. Vous n'avez pas sans doute oublié que je suis de cette illustre race, qui depuis tant de siècles a donné des rois à la Judée; que tous mes prédécesseurs ont tenu justement le sceptre que vous avez; que par le droit de leur naissance ils ont porté la couronne que la fortune vous a mise sur la tête et que si les choses eussent été selon l'ordre ordinaire, bien loin d'être mon juge, j'eusse pu vous compter au nombre de mes sujets et prendre légitimement sur vous le pouvoir que vous usurpez sur moi. Cependant, comme cette haute naissance m'obligeait à une vertu non commune, Hircane ne m'eut pas plutôt commandé d'être votre femme, que sachant l'obéissance que je lui devais, sans considérer l'inégalité qui était entre nous, je vous reçus pour mari. Et quoique mes inclinations fussent grâces au Ciel, toutes contraires aux vôtres, vous savez de quelle façon j'ai vécu avec vous et si vous eussiez pu attendre plus de complaisance et plus de témoignage d'affection de moi, quand même votre alliance m'eût été aussi honorable que la mienne vous était glorieuse. Depuis cela seigneur, jusqu'à la perte d'Hircane, qu'ai-je fait? Qu'ai-je dit? Qu'ai-je pensé contre vous? Rien, si ce n'est que je n'ai pu me réjouir de vos victoires, parce qu'elles étaient funestes pour mes parents. Et qu'encore que j'aie le cœur aussi grand que ma naissance est illustre, je n'ai pu monter sur le trône de mes prédécesseurs qu'en répandant des larmes, parce que je ne le pouvais avec justice, du moins en qualité de femme d'Hérode. Mais vous savez que, ne pouvant empêcher ce juste sentiment que la raison et la nature me donnaient, j'apportais du moins quelque soin à vous cacher mes pleurs. Je tâchais moi-même, en ce temps-là, de vous justifier dans mon esprit et tant que vous n'avez eu que de l'ambition sans cruauté, je vous ai plutôt plaint qu’accusé. J'appelais cette passion l'erreur des grandes âmes et la marque infaillible d'une personne née pour les grandes choses. Combien de fois ai-je dit en moi-même que si la fortune vous eut donné de légitimes ennemis vous eussiez été le plus grand prince de la terre? Combien de fois ai-je souhaité que ce grand et merveilleux esprit que vous avez, que ce cœur invincible qui vous fait tout entreprendre vous eût porté contre des peuples dont vous eussiez pu être le conquérant et non pas l’usurpateur? Hélas, si vous savez tous les vœux que j’ai faits pour votre gloire, vous ne me croiriez pas capable de l’avoir voulue tenir en oubliant la mienne! Mais peut être est-ce pour cette faute que le ciel me punit. Je ne saurais pourtant souhaiter de ne l'avoir point faite, et que je me trouve aujourd'hui en danger de perdre la vie, je ne puis me repentir de vous l'avoir conservée par mes conseils lorsque, contre toute apparence, vous vouliez vous fier au traître Barsaphane. Je ne vous reproche pas ce bon office, mais je vous en fais souvenir seulement pour vous faire voir que j'ai toujours fait tout ce que j'ai dû. Depuis cela, j'avoue que je n'ai pas toujours vécu ainsi, je n'ai plus caché mes pleurs, je n'ai plus étouffé ma voix. J'ai pleuré, j'ai crié, j'ai poussé des plaintes et des sanglots. Mais que pouvait moins faire la petite fille d'Hircane qui venait d'expirer par vos ordres et par votre cruauté? Que pouvait, dis-je, moins faire la soeur du jeune Aristobule que votre inhumanité avait fait périr, pour affermir le sceptre entre vos mains? Ah! non, non, la patience eut été criminelle en cette occasion. J'étais sans doute née pour le trône, mais je n'y voulais pas monter, puisque je ne le pouvais sans marcher sur le corps de mon aïeul et de mon frère. Ce trône était mouillé de leur sang, il fallait du moins le laver de mes larmes, puisqu'il ne m'était pas permis de répandre celui de leur ennemi. Hélas! lorsque je me souviens quel objet digne de compassion était celui de voir ce successeur de tant de rois, ce vénérable vieillard recevoir la mort de celui qu'il avait reçu en son alliance, je frémis d'horreur d'y songer seulement, et je n'en pourrais détourner la pensée si l'image du jeune Aristobule ne s'offrait à mes yeux. Qu'avait fait cet infortuné, pour mériter son malheur? Il était jeune, il était vertueux, il était illustre en toute chose et son plus grand défaut était sans doute qu'il me ressemblait. Mais hélas! ce défaut lui devait être avantageux en cette occasion, car s'il était vrai que vous eussiez pour moi cette amour ardente, que vous m'avez toujours voulu persuader être dans votre âme, quand Aristobule n'eût pas été mon frère, quand il n'aurait pas été innocent, vous auriez toujours dû respecter mon image en lui. La ressemblance de la personne aimée eût fait tomber les armes des mains des plus cruels et les eût fait changer de dessein. Mais que fais-je, insensée, de parler de cette sorte à celui qui en veut à ma propre vie et qui, non content d'avoir renversé le trône de mes pères, fait tuer mon aïeul, noyer mon frère et exterminer toute ma race, veut encore aujourd'hui me ravir l'honneur en m'accusant injustement de trois crimes dont je ne puis jamais être capable? J'ai si peu accoutumé d'en commettre, et je suis si innocente de ceux qu'on m'impose, que je doute si je me souviendrais bien des [023}qu'on fait contre moi. Je pense toutefois que mes ennemis disent que j'ai envoyé mon portrait à Antoine, que j'ai eu une intelligence trop particulière avec Joseph et que j'ai voulu attenter à votre vie. Oh! Ciel! est-il possible que Mariamne soit obligée de répondre à des semblables choses? Et ne suffit-il pas de dire que c'est Mariamne qu'on accuse, pour dire qu'elle est innocente? Non, je vois bien que, sans me souvenir ni de ma condition ni de ma vertu, il faut me mettre en état d'être condamnée injustement. Et quoique je sois d'une naissance à ne devoir rendre compte de mes actions qu'à Dieu seul, il faut pourtant que je les justifie devant mes accusateurs, mes ennemis et mes juges tout ensemble. Vous dites, donc, que j'ai envoyé mon portrait à Antoine que je ne connaissais point et qui ne me vit jamais et, sans en marquer nulle circonstance, sinon qu'il était alors en Egypte, vous voulez pourtant que cette accusation passe pour une vérité constante. Mais dites un peu quel est le peintre qui l'a fait? Quel est celui qui l'a porté? Quelles sont les personnes à qui Antoine l'a montré? Où sont les lettres qu'il m'a écrites pour me remercier d'une si grande faveur? Car il n'est pas croyable qu'il ait reçu un témoignage si extraordinaire de mon affection sans m'en rendre grâce. Le cœur de Mariamne n'est pas une conquête si peu glorieuse, qu'il y eût des rois en la terre qui ne tinssent à gloire de l'avoir faite et qui ne fissent toutes choses pour la mériter. Cependant, il ne paraît nulles marques des soins qu'Antoine a apportés ni à me conquérir, ni à me conserver et, certes en cette occasion, il faudrait que j'eusse non seulement oublié ma propre gloire, mais entièrement perdu la raison pour avoir songé au crime dont on m'accuse. Car, si c'était du temps que vous faisiez toutes choses pour lui, jusqu' à lui envoyer toutes vos pierreries et à vous opposer à l'Empire romain en sa faveur, j'étais peu judicieuse en mon choix et je ne devais pas croire qu'Antoine, qui se piquait de générosité, dût trahir un homme à qui il avait tant d'obligation, pour une personne qu'il ne connaissait pas. Que si c'est depuis que vous n'avez plus été bien ensemble, par les Artifices de Cléopâtre, il y a encore moins d'apparence et j'aurais bien été inconsidérée de donner moi-même des armes à mon ennemi - car en ce temps-là, vos intérêts étaient encore les miens. Et puis quelle vraisemblance y-a-t-il, quand je serai aussi infâme que je suis innocente, que dans un temps où toute la terre n'était remplie que de l'amour d'Antoine et de Cléopâtre je lui eusse envoyé mon portrait? Rome avait-elle trouvé cet expédient pour le guérir des charmes de cette égyptienne? L'Empire avait-il eu besoin de ce remède ou bien ai-je voulu me sacrifier à la vanité de cette malheureuse princesse dont la jalousie n'aurait pas manqué d'éclater hautement? Non Hérode, rien de tout cela n'est arrivé et l'innocence de Mariamne est si grande que ses ennemis mêmes ne peuvent lui supposer de crimes vraisemblables. Et puis, vous savez que ce que l'on appelle beauté en moi ne m'a jamais donné de vanité et que j'ai toujours eu plus de soin d'être vertueuse que d'être belle. Je ne nie pas, toutefois, qu'il n'y ait un portrait de Mariamne qui a passé chez tous les princes de la terre et qui, peut-être, y sera conservé longtemps. Oui Hérode, il y a une image invisible de Mariamne qui erre parmi le monde, qui lui fait des conquêtes innocentes et qui, sans son consentement, vous fait des ennemis secrets. Sa haute naissance, sa vertu, sa patience et votre cruauté sont les seules couleurs qui sont employées à ce portrait et le sang que je m'en vais répandre achèvera sans doute de le rendre adorable à la postérité. Mais pour répondre à la seconde accusation que l'on me fait qui bien que fausse, ne laisse pas de me faire changer de couleur, par la confusion que j’ai d'être contraint [sic] de parler d'une semblable chose, je dirais avec joie que, grâce au Ciel, je n'ai point d'autres témoins contre moi que vous qui, durant le temps de ce crime supposé, étiez à Laodicée et qui, par conséquent, étiez incapable de répondre de mes actions. Aussi suis-je bien assurée que vos yeux ni vos oreilles ne sauraient rien rapporter contre mon innocence. Et quoique toute votre cour ne soit composée que de vos esclaves ou de mes ennemis, que votre sœur même qui me hait, et par envie et par intérêt d'État, ait observé avec un soin extraordinaire jusqu'aux moindres choses que j'ai faites ou dites, je suis - dis-je - bien certain [sic] qu'elle n'oserait me soutenir d'avoir entendu une seule parole ni remarqué un seul de mes regards qui pût faire soupçonner la modestie de Mariamne. Ce n'est pas que je ne sache bien qu'elle peut dire un mensonge, mais ce qui fait que je parle avec tant de hardiesse, c'est que je sais que j'ai encore plus de vertu qu'elle n'a de malice et qu'ayant le Ciel pour mon protecteur, je ne puis croire que du moins si je dois périr, je n'obtienne la grâce de mourir de la façon que votre injustice et mon innocence seront également manifestes. Et certes, en cette occasion, il ne faut qu'ouvrir les yeux pour voir que les accusations que l'on fait contre moi ne sont qu'un prétexte pour me perdre. Car quelle apparence y-a-t-il, quand même j'aurais été capable d'un semblable crime, que j'eusse choisi le mari de Salomé, ma plus cruelle ennemie et le confident d'Hérode? Mais confident jusqu' au point qu'on lui confiait toutes choses et qu'il n'était point de mauvais desseins qu'on ne lui communiquât. Il avait part à tous les crimes, il était le geôlier et non l'amant de Mariamne et, pour tout dire, c'était lui qui me devait mettre un poignard dans le cœur, pour obéir à vos volontés. Oh! Ciel qui vit jamais un pareil témoignage d'amour! Quoi Hérode vous pûtes en partant me dire adieu avec des larmes, vous pûtes me regarder comme vous fîtes, avec des yeux où je ne voyais que des marques d'affection et, dans ce même temps, méditer ma mort? Ah! si vous l'avez pu - comme je n'en doute point- vous pouvez bien encore aujourd'hui feindre de me croire coupable, pour me faire mourir innocente. Et ne me dites point, de grâce, que ce commandement fut un effet de la forte passion que vous aviez pour moi. La mort de la personne aimée ne peut jamais être un témoignage d'affection. La haine et l'amour ne font pas faire les mêmes choses, elles peuvent quelquefois régner successivement dans un cœur, mais jamais ensemble. Tout homme qui aime bien ne peut jamais vivre sans la personne aimée, mais il peut toujours mourir sans elle et sa perte ne lui doit jamais être une pensée agréable. Il doit avoir regret de s'éloigner d'elle et non pas regret de ce qu'elle ne meurt pas avec lui. Mais votre façon d'aimer vous est toute particulière et votre inclination est naturellement si cruelle que les poisons et les poignards sont les plus agréables présents qu'on puisse recevoir de vous quand vous voulez témoigner votre amitié. Dites-moi, de grâce, comment vous pouvez accommoder toutes ces choses? Vous dites que j'ai envoyé mon portrait à Antoine et que, par conséquent, j'ai eu une intelligence avec lui et, dans ce même temps, vous m'accusez encore d'en avoir eu une autre avec Joseph, parce que, dites-vous, que lui ayant confié la chose du monde qui vous était la plus importante, et lui me l'ayant découverte, il est impossible que je ne me sois donnée absolument à lui pour le récompenser de cet avis. Songez-vous bien, Hérode à ce que vous dites? Antoine et Joseph eussent-ils pu être ensemble dans mon cœur? Étaient-ce deux rivaux de même rang et de même mérite? Et cette Mariamne, dont la naissance est si grande et si illustre, dont l'âme est si haute et si glorieuse, que quelques-uns prennent plutôt ce noble orgueil pour un défaut que pour une vertu, aurait-elle pu être capable d'une même faiblesse pour deux hommes si différents et qui n'eussent pu avoir nulle conformité ensemble, sinon qu'il leur eût été également impossible de toucher mon cœur, quand ils l'auraient entrepris. Cette conquête n'est pas si facile que vous pensez, et certes je m'étonne que vous, qui ne l'avez jamais pu faire, jugiez qu'elle ait si peu coûté aux autres. J'avoue que Joseph m'a découvert le mauvais dessein que vous aviez contre moi, mais j’avoue aussi que je ne le crus point. Je pense d'abord que c'était une méchanceté de Salomé qui, pour me porter à éclater plus hautement contre vous, afin d'avancer ma perte, avait inventé cet artifice, s'imaginant que ma mort me toucherait plus que n'avait encore fait celle d'Hircane et celle de mon frère. Et ce qui me portait davantage à le croire ainsi était que je voyais qu'il entreprenait de me persuader que je vous devais être infiniment obligée de cet excès d'amour que vous m'aviez témoigné en cette occasion, joint aussi, qu'il ne m'apprit ce dessein que lorsque vous étiez prêt à revenir et que, bien loin de m'en faire un secret mystérieux, il me le dit en présence de ma mère et devant toutes mes femmes. Il est certain, qu'encore que je dusse tout attendre de vous, je doutais de la vérité que me disait Joseph. Je pensai qu'étant mère de vos enfants, vous étiez incapable d'un sentiment si barbare, et, en effet, sans déterminer la chose dans mon esprit, j'attendis votre retour. Je vous reçus alors avec la même mélancolie que j'ai toujours eue depuis la perte d'Hircane et d'Aristobule, sans vous en témoigner davantage et, observant toutes vos actions, j'avoue que je doutais toujours de la vérité du discours de Joseph. La malice de sa femme me le rendait encore plus suspect et, lorsque je vous en parlai, il est certain que j'avais plutôt le dessein de m'éclaircir de la chose que de vous la reprocher. Car s'il eut été vrai que j'eusse eu pour Joseph une affection particulière et que j'eusse reçu ce qu'il m'avait dit, comme un pur effet de la compassion qu'il avait de moi, je serais plutôt morte que d'en avoir parlé, et ce malheureux vivrait encore. Voilà, toutefois, tous les témoignages de bienveillance que je lui ai rendus; personne ne dit que nous ayons eu un commerce fort particulier ensemble; personne ne dit qu'il soit venu souvent à mon appartement, et enfin je n'ai rien fait pour lui que ce qu'aurait pu faire sa plus cruelle ennemie si elle avait su la même chose. Certes je l'aurais mal récompensé, si j'en avais usé ainsi. Vous dites encore que la haine et la vengeance m'ont portée à favoriser Joseph, après avoir su votre dessein. Mais sachez que les grandes âmes ne faillent jamais par exemple. Les crimes d'autrui leur donnent tant d'horreur qu'elles ne sont jamais plus fortement confirmées au bien, que lorsqu'elles voient commettre le mal, et pour moi je pense que j'aurais été moins innocente si vous aviez été moins injuste. Enfin, pour conclusion, si Mariamne, sortie de tant d'illustres rois, avait voulu donner son affection à quelqu'un, ce n'aurait point été au mari de Salomé, ni au favori d'Hérode, et si pour la punition des crimes d'autrui, elle en avait été capable, elle n'aurait pas causé la mort à celui qu'elle aurait cru lui vouloir conserver la vie. Vous ne savez que trop quel fut mon étonnement, lorsqu'après le discours que je vous fis, je connus par votre réponse qu'il était véritable, j'en fus si surprise que j'en perdis presque la parole. Je ne prévus toutefois pas l'accusation qu'on fait aujourd'hui contre moi et la seule connaissance de votre crime et de l'innocence de Joseph, que j'exposais à votre cruauté, firent toute ma douleur. Depuis cela Salomé, profitant de ce malheur pour me perdre comme elle en a le dessein depuis longtemps, vous a sans doute persuadé que j'avais voulu attenter à votre vie, et voici le seul crime où il se trouve un témoin contre moi, mais si je ne me trompe, il me justifie plus qu'il ne me convainc. Car quelle apparence y a-t-il que, pour un dessein de cette importance, je me sois confiée à un homme de si basse condition? Et quelle vraisemblance y a-t-il, s'il était vrai que j'eusse eu une intelligence avec Joseph, que ce n'eût pas été lui plutôt que moi qui lui eût fait cette proposition? Ai-je accoutumé de converser avec de semblables personnes? Cet homme est-il venu à mon appartement? L'ai-je mis auprès de vous? A-t-il été de ma maison? Est-il parent de quelqu'un de mes officiers? En quel lieu ai-je parlé à lui? De quelle façon l'ai-je suborné? Qu'il montre les pierreries que je lui ai données, qu'il fasse voir l'argent qu'il a reçu pour un si grand dessein, car il est hors de raison de penser que, sur une simple espérance, il ait entrepris de hasarder sa vie. Il répondra peut-être à cela que, comme il n'avait pas dessein de faire la chose et qu'au contraire il voulait vous en avertir, il n'a pas songé à la récompense. Mais j'ai à dire à cet imposteur que, pour ne me donner pas lieu de le soupçonner, il aurait toujours accepté ce que je lui aurais offert. Et qu'ainsi n'en ayant point parlé et ne pouvant le faire voir, c'est une induction forte et convaincante de son mensonge. Car enfin l'or est le complice de tous les crimes, l'espérance seule est le partage des grandes âmes mais, pour les basses et les mercenaires, il faut les toucher par la vue d'une récompense certaine. Autrement ces sortes de gens ne vous servent point, et trop d'exemples de votre règne vous doivent avoir appris ce que je dis. Que s'il est vrai que l'on ne puisse faire voir que moi ni les miens ayons eu nul commerce avec cet homme, il n'en est pas ainsi de Salomé, votre sœur et mon ennemie. Il y a longtemps que mes femmes m'ont avertie que, contre la coutume et la bienséance du rang qu'elle tient aujourd'hui, il allait souvent l'entretenir jusque dans son cabinet. Néanmoins, comme je n'ai jamais pu m'abaisser à prendre garde à de semblables choses et que, par un excès de vertu, je ne soupçonne pas aisément les autres, j'écoutai ce discours sans y faire nulle réflexion. Mais si vous voulez les obliger à vous rendre compte de tant de conversations qu'ils ont eues ensemble, je m'assure que vous ne trouverez pas qu'ils vous répondent précisément. Et puis en quel lieu ai-je pris du poison? Qui l'a préparé? D'où l'ai-je fait venir? Et pourquoi, si j'avais eu cette intention était-il nécessaire d'y employer cet homme? Ne m'était-il pas aisé, en tant de diverses rencontres où nous avons mangé ensemble, de vous empoisonner de ma main, sans me confier à personne? Pourquoi n'eusse-je pas tenté la chose dès votre retour de Laodicée, aussi bien qu'on prétend que j'ai fait après votre retour de Rhodes, puisque le malheureux Joseph m'avait découvert alors vos cruelles intentions, aussi bien que l'infortuné, Soesme me les a dites depuis? Enfin, Hérodes, toutes ces choses sont hors d'apparence, et il n'y a point d'esprit si peu intelligent qui ne voie bien que si je n'étais pas sortie des Rois de Judée, si je n'étais pas vertueuse, je n'aurais point d'ennemis et si ma perte n’était point résolue, je n'aurais point envoyé mon portrait à Antoine, je n'aurais point eu d'intelligence avec Joseph, je n'aurais point attenté à votre vie et, par conséquent, la mienne serait en sûreté. Mais par ce que je suis d'un sang trop illustre et que mon âme est trop haute, pour souffrir les bassesses et les lâchetés de mes ennemis, il faut que Mariamne meure, il faut qu'elle périsse et qu'elle soit sacrifiée à la haine de ses persécuteurs. Ils le veulent ainsi, et elle y est résolue. Ne pensez donc pas injuste et cruel Hérode que je parle avec intention de vous fléchir, je songe à conserver ma réputation et non pas à toucher votre cœur. Car comme je l'ai dit, au commencement de mon discours, ce n'est ni la crainte de la mort, ni le désir de la vie, qui me font parler aujourd'hui. La première ne me prépare que des couronnes et l'autre ne me donnerait que des supplices. Ce n'est donc point l'espérance d'échapper du péril, où je suis, qui m'a fait apporter quelque soin à me justifier. Je sais que mon arrêt est signé, que mes bourreaux sont déjà tous prêts à m'enlever la tête et que mon tombeau est déjà ouvert pour me recevoir. Mais ce qui m'a portée à en user ainsi a été afin que tous ceux qui m'écoutent pussent apprendre à la postérité que mes ennemis mêmes n'ont pu, avec toute leur malice, noircir la vertu de Mariamne ni trouver un prétexte plausible de la condamner. Si j'obtiens cette grâce de ceux qui m'entendent, je meurs presque sans douleur et je dirai absolument sans regret si les enfants que je vous laisse étaient exilés de la maison paternelle, car je ne doute point, comme ils sont vertueux, qu'ils ne s'acquièrent votre haine aussi bien que moi. Les plaintes, qu'ils feront de ma mort, seront des crimes contre vous. Vous croirez qu'ils en voudront à votre vie, en plaignant la perte de la mienne. Hélas! je les vois déjà maltraités de cette esclave qui fut votre première femme. Je les vois soumis à l'humeur violente de votre fils Antipatre, à la calomnie de Salomé, aux outrages de Phérore et à votre propre cruauté. Et, peut-être, que les mêmes bourreaux, qui me feront mourir, répandront leur sang ou, pour mieux dire, achèveront de verser le mien. Je vous vois déjà, injuste et cruel, à la fin de tant de meurtres, mais n'espérez pas de jouir paisiblement du fruit de tant de funestes victoires. Vous cherchez un repos que vous ne trouverez pas. Vous serez vous même votre accusateur, votre juge et votre bourreau. Les ombres de tant de rois, dont je suis descendue et que vous outragez en ma personne, vous environneront de toutes parts. Celles du vieil Hircane et du jeune Aristobule troubleront toute votre vie. Vous vous verrez toujours tout couvert du sang de vos enfants et l'image de Mariamne, poursuivie par les bourreaux qui l'attendent, vous suivra toujours pas à pas. Vous la verrez toujours soit en veillant soit en dormant qui vous reprochera sa mort. Vous aurez en votre cœur le repentir, la honte, la confusion et le désespoir. Vous souhaiterez la mort que vous donnez aux autres, ma vertu vous paraîtra alors aussi pure qu'elle est, vos crimes vous sembleront aussi grands qu'ils sont, mais vous aurez peut-être le malheur de vous repentir, sans vous amender. Et je ne doute point, qu'après avoir violé tour les droits divins et humains, on ne les viole aussi en votre personne. Oui, je vois déjà l'aîné de vos enfants - car les miens n'en seront jamais capables - vous vouloir donner ce poison dont vous m'accusez injustement. Je vois, dis-je, tous les ministres de vos fureurs, devenir vos plus cruels ennemis. Salomé, Phérore et Antipatre seront les plus ardents à vous nuire. Je vous vois haï de tout le peuple, détesté de tous les princes, exécrable à la postérité, et peut-être vous serez-vous alors si effroyable à vous-même, qu'après avoir répandu tout le sang de votre race, le désespoir vous mettra un poignard dans la main, pour délivrer le monde d'un si dangereux ennemi. Mais, peut-être, encore ne pourrez-vous finir quand vous le souhaiterez, et vous aurez le malheur de souffrir, dès cette vie, les supplices qui vous sont préparés en l'autre. Voilà, injuste et cruel Hérode, la prédiction que vous fait en mourant injustement la malheureuse Mariamne qui, en cette dernière journée, vous regarde plutôt comme un sujet révolté ou comme son tyran que comme son roi ni comme son mari.


EFFET DE CETTE HARANGUE


Cette belle et généreuse affligée obtint tout ce qu’elle demandait à son mari et à la postérité, car le premier lui donna la mort et l’autre a conservé sa gloire. Je croirais la mienne bien grande si, après tant de siècles j’y pouvais encore contribuer quelque chose, et si mes pensées n’étaient pas crues indignes d’elle. J’en dirais davantage si l’auteur de la cour sainte n’avait tout dit. Mais comme il a été trop soigneux pour rien laisser en ce beau champ je suis trop glorieux pour y paraître inutilement après lui. Il suffit que je regarde son triomphe sans m’attacher à son char et j’aime mieux quitter mes armes que de les voir parmi ses trophées.


 

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