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Sisygambis à Alexandre

QUATRIEME HARANGUE -

ARGUMENT -

Après la conquête des Indes, Alexandre le Grand épousa Statira, l'une des filles de Darius . Ce fut alors que Sisygambis, mère de cette Princesse, abandonna son âme à la joie et à l'inclination qu'elle avait pour cet invincible conquérant. Il lui souvint, en cette occasion, de tout ce qu'il avait fait pour elle  et comme son âme était généreuse , elle lui témoigna sa reconnaissance, à peu près de cette sorte.

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Avoir des fers sans souffrir leur rigueur,
Baiser la main qui contraint de les prendre,
Perdre un empire et chérir son vainqueur,
C'est ce qu'on fait pour le Grand Alexandre.

Sisygambis à Alexandre


C'est véritablement en cette journée, ô invincible Alexandre, que je vous crois fils de Jupiter . Un homme ordinaire ne sait être capable de tant de vertu. Il s'est trouvé autrefois des vainqueurs et des conquérants, mais il ne s'est jamais trouvé personne que vous qui ait rendu le sort des vaincus égal à celui des victorieux ni qui ait partagé l'empire qu'il avait conquis avec les enfants de son ennemi. Enfin Alexandre, quand vous seriez du sang des hommes et non pas de celui des dieux, il est toujours certain que vous mériteriez de l'encens et des autels. Je laisse à tous les illustres témoins de votre valeur, à publier les merveilleux exploits que vous avez faits, en vous rendant maître de tout le monde et je ne me propose de vous entreteni3r que de votre clémence et de votre bonté. Vous savez, généreux Alexandre, que si je voulais élever un trophée à votre gloire des dépouilles de vos ennemis, je trouverais des choses qui me feraient verser des larmes de douleur , en un jour où je n'en dois répandre que de joie.


Ce n'est pas que je ne sache bien que je n’y verrais point le corps de mon fils, car je me souviens que vous eûtes la bonté de le couvrir de votre manteau royal et de l'arroser de vos larmes , lorsqu'arrivant au lieu où il venait d'expirer par la cruauté du traître Bessus, vous vîtes ce grand prince en un si déplorable état. Non, Alexandre, aux termes où sont les choses, je ne vous dois point regarder comme l'ancien ennemi de Darius, mais comme le vengeur de sa mort, comme le protecteur de sa mère et de sa femme, comme le mari de sa fille et comme le légitime héritier du trône du grand Cyrus.


En effet, vous savez quelles furent les dernières paroles de mon fils. Il témoigna la reconnaissance qu'il avait des obligations dont je vous étais redevable, il fit des vœux pour votre gloire, il assura qu'il mourait votre ami et votre serviteur et, sans employer le peu de moments qu'il avait à vivre, à déplorer son infortune, il souhaita que vous fussiez vainqueur de l'univers. Il espéra que vous vengeriez sa mort, que vous prendriez soin de perpétuer sa mémoire, et vous laissa même celui de récompenser Polistrate de ce peu d'eau qu'il lui avait donné, pour pouvoir prononcer plus distinctement les choses qu'il disait pour votre gloire. Ô mon cher Darius, vous étiez véritablement mon fils en parlant ainsi d'Alexandre ! Et je rends grâces aux Dieux de ce qu'enfin vous avez pu reconnaître ce que nous devions à sa clémence et à sa bonté. C'est par ces deux vertus que je vous considère, aujourd'hui, ô invincible héros ! Toute la terre n'est remplie que du bruit de vos victoires, vous êtes le maître et le vainqueur de tous les hommes, il n'en est point qui ne sache jusqu'aux moindres de vos exploits ; les jeux mêmes de votre enfance serviront de leçon à tous les rois qui vous suivront. On sait partout quelles ont été vos conquêtes, personne n'ignore combien la guerre que vous fîtes en Grèce, vous fut glorieuse : les superbes ruines de Thèbes, que vous fîtes raser , sont des marques éternelles que vous avez été son vainqueur. La bataille, que vous donnâtes au passage du Granique, témoigne également votre conduite et votre courage. On ne peut ignorer ce que vous fîtes en la journée d'Issus , non plus que ce qui passa au fameux siège de Tir . La bataille d'Arbelle a eu des circonstances trop remarquables pour n'être pas sues de toute la terre. La conquête des Indes et la défaite de Porus, sur le bord de l'Hidaspe , sont des monuments éternels pour votre gloire. Car non seulement on sait que vous surmontâtes ce grand roi, mais on sait aussi qu'après avoir conquis son royaume vous le lui rendîtes plus grand qu'il n'était auparavant et, de cette sorte, s'il est permis de parler ainsi, on vous peut non seulement nommer le vainqueur de ce prince, mais le conquérant de Porus puisqu'il semble que vous n'ayez combattu que pour l'agrandir. La ville des Oxidraques, où vous vous exposâtes si déterminément, est en vue à toute la terre. On la regarde comme le champ de bataille où votre grand cœur sembla également défier la mort et la fortune et où vous les surmontâtes toutes deux.


Enfin Alexandre, on trouve partout des témoignages de votre valeur et de vos conquêtes. C'est pourquoi, sans vous en parler, je me contenterai de louer votre clémence et votre bonté . Mais que dis-je ? Ces deux vertus sont aussi généralement connues que votre courage, car si, comme je l'ai déjà dit, vous êtes le maître et le vainqueur de tous les hommes, on peut dire aussi que vous êtes le bienfaiteur de tous les hommes. On dirait que les Dieux ont remis entre vos mains toutes les grâces qu'ils ont accoutumé de leur faire ; qu'ils vous ont établi le distributeur des bienfaits et qu'ils vous ont donné la commission de rendre tout le monde heureux. Vous n'avez pas plutôt conquis un royaume que vous le donnez. Vos ennemis ne sont pas plutôt vos sujets qu'ils sont vos amis, et vous ne les avez pas plutôt vaincus que vous devenez leur protecteur. J'ai, en ma personne, un si illustre exemple de ce que je dis, que je n'en saurais douter sans crime. Car, ô invincible Alexandre ! je n'oublierai jamais les grâces que j'ai reçues de vous . Oui, je me souviendrai toujours de cette effroyable journée où mes filles et moi devînmes vos prisonnières. La crainte de la servitude avait rempli notre esprit de si funestes images que la mort nous paraissait le plus grand bonheur qui nous pût arriver. Nous avions perdu la bataille avec le trône, nous croyions déjà avoir perdu Darius, et ce qui nous était le plus insupportable, nous pensions que nous allions être en nécessité de mourir de nos propres mains pour éviter l'insolence des vainqueurs. Mais hélas ! je ne connaissais pas encore Alexandre car, disais-je en moi-même, je suis mère du plus grand de ses ennemis, puisque Darius est le plus puissant de tous ceux qui lui ont résisté. Et jugeant de vous, par les autres, je vous craignais autant, en ce temps-là, que je vous aime en celui-ci.


Cette injuste crainte ne dura pourtant guère en mon esprit. Votre vue la dissipa bientôt, et je me souviens même que la première fois que j’eus l'honneur de vous voir vous me pardonnâtes une faute. Car, comme je ne vous connaissais point et que le trouble où j'étais ne me laissait pas la liberté de bien raisonner sur les choses, vous savez que je pris le généreux Ephestion pour vous et que, sans vous en fâcher, vous me dites que je ne me trompais pas, puisque celui-là était encore Alexandre . Cette marque de modération envers moi et d'amitié envers votre favori , commença de me donner de plus justes sentiments de vous et de remettre, en mon âme, l'espérance que la crainte en avait chassée. Et certes vous témoignez bien encore, aujourd’hui, qu'Ephestion vous est aussi cher que vous même, puisqu'ayant fait dessein d'épouser l'aînée de mes filles, vous donnez l'autre à ce second Alexandre. Depuis cela que n'avez vous point fait pour moi ! Vous m'avez non seulement traitée en reine bien que je fusse captive, mais vous m'avez traitée comme votre mère, et même vous m'avez fait la grâce de m'appeler toujours ainsi . Toutes les fois qu'il m'est arrivé un nouveau sujet de douleur, vous avez eu la bonté de m'en consoler. Je vous ai vu pleurer vos propres victoires en ma considération ; je vous ai vu regretter la perte de Darius ; je vous ai vu prendre soin de ses funérailles et de son tombeau ; je vous ai vu exposer votre vie pour venger sa mort ; je vous ai vu punir le traître Bessus qui l'avait assassiné ; je vous ai vu récompenser ceux qui lui avaient été fidèles et je vous vois même, aujourd'hui, remettre Darius sur le trône en y mettant sa fille et la mienne. Mais ce que j'ai vu encore de plus merveilleux en toutes les choses que vous avez faites pour Darius, c'est que j'ai vu autrefois cet Alexandre, vainqueur de tout l'univers, avoir assez de vertu pour ne se fier pas en la sienne et pour ne s'exposer point aux yeux de la femme de Darius, de peur d'être vaincu par sa beauté. Ah ! certes après cela il faut avouer que tout ce que l'on peut dire de vous est beaucoup au-dessous de ce que vous méritez. Vous avez, tout ensemble, la chasteté de mon sexe et la vertu de tous les héros qui vous ont devancé du temps seulement.


Il n'est point de bonnes qualités qui ne se trouvent en votre personne au suprême degré, et c'est en votre âme qu'on peut dire que les vertus se perfectionnent et qu'elles prennent un nouveau lustre. Ce qui serait témérité en un autre n'est qu'un simple effet de votre courage, et l'excès du bien ne peut être vicieux en vous. Vous donnez avec profusion et donnez pourtant sans prodigalité, parce que vous ne proportionnez pas seulement les présents que vous faites à ceux qui les reçoivent, mais à celui qui les fait. Et cela étant ainsi, les villes, les provinces entières, les millions d'or, les sceptres et les couronnes sont des choses qu'Alexandre peut donner sans être prodigue car, comme il a plus reçu de faveurs du ciel qu'aucun autre, c'est aussi à lui à donner plus que tous les autres. Cette vérité vous est si connue et vous la pratiquez si parfaitement, qu'après avoir conquis tout le monde et l'avoir donné presque tout entier à diverses personnes, lorsqu'on vous a quelques fois demandé ce que vous réserviez pour vous, vous avez répondu : «L’espérance ». En vérité, je me suis étonnée souvent de voir que vous n'avez pas plutôt une chose en votre puissance que vous la mettez en celle d'autrui et que, cependant, vous ne laissez pas de donner toujours. Cette réflexion m’a fait croire qu'on pouvait dire qu'Alexandre était comme la mer qui n'a pas plutôt reçu, en son vaste sein, le tribut que lui portent toutes les fontaines, toutes les rivières et tous les fleuves, qu'elle les rend avec usure à quelque autre partie du monde. Ce qu'elle ôte aux Persans, elle le redonne aux Grecs. Les naufrages même qu'elle fait faire ne l'enrichissent point. Elle n'appauvrit personne que pour augmenter le bien de quelqu'un et, sans rien garder ni de ce qu'on lui donne ni de ce qu'elle usurpe, elle roule toujours ses vagues d'un mouvement égal. Il en est de même des choses que vous recevez de la gratitude de vos sujets, des tributs qu'ils vous rendent ou des conquêtes que vous faites. Vous les recevez d'une main et les donnez de l'autre. Le butin que vous prenez même sur vos ennemis ne fait qu'enrichir vos soldats, de sorte que soit en la paix soit en la guerre, durant la tempête ou durant le calme, vous faites également du bien à tous, sans vous en faire à vous même . Il y a toutefois cette différence entre l'océan et vous, que tout ce qui part de la mer y retourne, et que tout ce qui part de vos mains n'y rentre jamais . Au reste, ce vous fera une chose bien glorieuse de voir dans votre histoire, des gens qui auront refusé ce que vous leur donniez parce que vous leur donniez trop, et de n'en trouver point qui se soient plaints que vous leur donniez trop peu. Votre libéralité est d'autant plus excellente qu'elle n'est pas aveugle. Vous faites du bien à tout le monde, mais vous n'en faites pas toujours sans choix. Tous les jours de votre vie ne sont pas de ceux où vous faites largesse au peuple où, sans distinction, vous jetez les trésors au milieu de la multitude, où les heureux seulement ont de l'avantage. Le disciple d'Aristote sait mieux user des richesses et sait mieux comme il faut pratiquer la libéralité. Oui, Alexandre, vous avez réconcilié la fortune avec la vertu. Nous voyons des philosophes, des poètes, des musiciens, des peintres et des sculp¬teurs dans l'abondance, et ne travailler seulement que pour votre gloire et pour la leur. Nous voyons, dis-je, des philosophes pratiquer la politique qu'ils enseignent en gouvernant de grands royaumes , nous voyons des poètes porter tout ensemble une lyre d'or et un carquois d'ébène, chanter vos triomphes et commander des provinces. Nous voyons des musiciens, dont les luths sont d'ivoire, qui n'emploient leur voix que pour vous remercier et pour parler de leur félicité. Nous voyons des peintres aussi riches que l'étaient autrefois les princes souverains qui les faisaient travailler. Nous voyons des sculpteurs non seulement employer le marbre, le porphyre et l'albâtre en leurs statues, mais avoir eux-mêmes des palais où toutes ces choses se font voir. Enfin toutes les belles sciences et tous les beaux arts fleurissent sous votre règne . Aussi dirait-on que, comme les Dieux ont fait un miracle en vous, la nature aussi a voulu faire des chef-d’œuvres pour l'amour de vous. Vous avez des Aristotes, des Philoxènes , des Xénophanes , des Apelles et des Lysippes qui , vous devant leur bonheur et leur gloire, travailleront aussi à la vôtre. Tous les siècles futurs, voyant les portraits que ces illustres laisseront de vous ou par leurs écrits, ou par leurs tableaux, ou par leurs statues, porteront sans doute envie à celui du Grand Alexandre. Tous les vertueux de ce temps-là souhaiteront d'avoir été de celui-ci. Vous serez le modèle des grands princes et la honte des mauvais, et tant qu'il y aura des hommes, on parlera de vous comme d'un dieu. Certes je ne m'étonne plus, si notre grand Xerxès , avec toute sa puissance, ne put achever les desseins qu'il avait conçus car, puisque la Grèce vous devait produire, les Dieux avaient raison de vous réserver la conquête du monde.


Si Xerxès eût achevé ce qu'il avait entrepris , on 1'aurait peut-être appelé le tyran et le fléau de l'univers. Mais pour vous, vous êtes le prince légitime de tous les peuples que vous avez conquis. Vous êtes envoyé du ciel pour la félicité du monde, et ce n'était pas sans sujet que l'oracle de Jupiter Hammon, vous dit que vous étiez son fils et que vous étiez invincible . Non, Alexandre, on ne saurait vous surmonter ni en guerre ni en vertu, et après le dessein que vous avez fait aujourd'hui de remettre Darius sur le trône, en le partageant avec Statira sa fille , il ne vous reste plus rien à faire, et il ne me reste plus rien à désirer que la continuation de votre gloire. Ce n'est pas que je craigne que l'on vous la puisse ravir , non, ce sentiment-là n'est point dans mon âme, mais je crains que l'injustice des hommes ne les rende indignes de vous avoir longtemps pour maître ou que les dieux, jaloux de notre bonheur, ne vous rappellent auprès d'eux. Quoiqu'il en arrive, je vous assure, ô invincible Alexandre, de ne demeurer pas au monde après vous. J'ai pu survivre à Darius qui était mon fils mais, après toutes les obligations que je vous ai, je ne survivrais point à Alexandre. Je ne vous aurais pas dit un si triste sentiment en un jour de réjouissance si je n'avais cru qu'il vous serait avantageux que l'on sût qu'il s'est trouvé une princesse, qu'il s'est, dis-je, trouvé une mère et, si je l'ose dire, une mère vertueuse qui, sans lâcheté et sans injustice, vous a plus aimé que son propre fils quoique vous ayez été son ennemi. Pardonnez-moi donc une pensée si funeste puisqu'elle vous est glorieuse, et croyez que si mes vœux sont exaucés, non seulement votre gloire sera immortelle mais votre personne la sera aussi.


Effet de cette harangue


Il faudrait peu connaître Alexandre, pour douter de l'effet de ce discours. Cette grande et généreuse âme redoubla encore ses bons offices envers cette illustre princesse, et gagna tellement son cœur que, lorsque peu de temps après la mort de cet invincible conquérant arriva dans Babylone, elle ne manqua pas de lui tenir ce qu’elle lui avait promis, car elle mourut de douleur. Et certes, cette mort fut une glorieuse marque de la bonté d'Alexandre et quand un excellent orateur aura employé tout son art à lui faire un superbe éloge, qu'il aura, dis-je, exagéré magnifiquement toutes les grandes actions qu'il a faites, je croirai dire quelque chose de plus grand et de plus extraordinaire, quand je dirai seulement que Sisygambis souffrit la mort de Darius son Fils et qu'elle ne put souffrir celle du grand Alexandre. Elle vécut après l'une, elle mourut après l'autre et la vertu fut plus forte que la nature. Ô le beau panégyrique ! Mais quoi ? C'était Alexandre.


 

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