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Artémise à Isocrate

PREMIERE HARANGUE -

ARGUMENT -

Après qu'Artémise eut employé les plus savants architectes de son siècle à bâtir ce superbe tombeau qui fut depuis une des sept merveilles du monde, l'amour qu'elle avait pour son cher Mausole ne fut pas encore pleinement satisfaite. Elle fit venir de la Grèce Isocrate et Théopompe, les plus célèbres orateurs de l'Antiquité, et par des libéralités vraiment royales, elle obligea ces grands hommes à faire agir leur éloquence en faveur du roi son mari, dont ils éternisèrent la mémoire. Ce fut donc pour leur demander cette grâce que cette belle inconsolable leur parla de cette sorte, après que l'excès de son amour lui eut fait oublier qu'elle parlait devant le fameux Isocrate.

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Toi pour qui l'architecte employa tant de veilles,
Lorsque ton cher époux se vit privé du jour,
L'on met ton mausolée au nombre des merveilles,
Mais pour moi, j'y mets ton amour.

Artémise à Isocrate


C'est de vous, ô Illustre Orateur , que j'attends l'immortalité de Mausole. C'est à vous de donner 1'âme à toutes les statues que je lui élève ; c'est à vous à lui faire un tombeau que la révolution des siècles ne puisse détruire et qui éternise tout ensemble Mausole, Isocrate et Artémise. Ne pensez pas que je croie que le temps et la fortune respectent l'or, le marbre, le jaspe, le porphyre et l'albâtre orientale que j’emploie à lui bâtir un superbe monument. Non, je sais que ces trois cents colonnes où tous les ordres sont observés avec soin, dont les bases sont si bien affermies, dont les châpiteaux sont aussi magnifiques, et où l’art surpasse la matière, ne seront un jour que de pitoyables ruines, et que quelques temps après ne seront plus rien du tout. Toutes ces basses tailles, qui sont aux quatre faces de ce sépulcre, seront successivement effacées par l’injure des saisons, et à peine pourra-t-on apercevoir quelques figures imparfaites de toutes celles que nous admirons aujourd’hui. Ces obélisques, qui semblent défier la tempête, seront peut-être abattues par la foudre et réduites en cendres. Ces vases fumants, ces flambeaux éteints, ces trophées d'armes et tous les ornements dont l'architecture est capable, n'empêcheront pas la destruction de cet ouvrage. Enfin Isocrate, quand j'aurai employé tous mes trésors à ce tombeau et que, par les savantes mains de Scopas, de Briaxis, de Timothée et de Léocharès , je l'aurai mis en état de passer pour une des merveilles du monde. Si, après tout cela, quelqu'un ne prend le soin d'en conserver la mémoire par ses écrits, les statues que j'ai fait élever, l'or, le marbre, le jaspe, le porphyre, l'albâtre, les colonnes, les basses tailles, les obélisques, les vases fumants, les flambeaux éteints et tous les ornements de l'architecture, qui paraissent en cet ouvrage, n'empêcheront pas, dis-je, que Mausole, son tombeau, ses architectes, ses sculpteurs et Artémise même ne soient ensevelis dans l'oubli et ne soient aussi inconnus aux siècles éloignés du nôtre, que s'ils n'avaient jamais été . C'est donc à vous Isocrate, c'est donc à vous Théopompe à donner de plus solides fondements à cet édifice. C'est à vous à animer tous ces marbres par des inscriptions magnifiques, c'est à vous à ressusciter Mausole ; c'est à vous à me faire vivre éternellement, quoique je sente que je mourrai bientôt. Je ne vous demande pas Isocrate que vous donniez des louanges à Hélène ou que vous fassiez l'éloge de Busire, comme vous avez fait autrefois . Je vous donne une matière plus illustre et plus facile : les vertus de Mausole et l'amour légitime d'Artémise sont un plus noble sujet que l'inhumanité de Busire ou la légèreté d'Hélène . Votre éloquence n'aura point de crimes à déguiser. Tous les artifices que la rhétorique enseigne pour imposer des mensonges et les rendre vraisemblables ne vous serviront qu'à persuader la vérité . Et sans emprunter rien des sophistes, il suffira que vous écriviez comme un orateur, comme un philosophe et comme un historien tout ensemble. L'éloquence, ce rare privilège que les Dieux ont accordé aux hommes comme un rayon de leur divinité, ne devrait jamais être employé que pour protéger l'innocence ou pour éterniser la vertu. Ceux qui ont fait une déesse de la persuasion n'avaient pas dessein de la rendre esclave du caprice des hommes, et ils connaissaient, sans doute aussi bien que moi, que l'éloquence est un don du Ciel qu'on ne doit jamais profaner. Le pouvoir qu'elle a d'exciter ou d'apaiser les passions les plus violentes, d'émouvoir les cœurs les plus endurcis, de persuader les plus incrédules, de forcer les plus opiniâtres, de contraindre jusqu'à notre volonté et de faire que nous nous opposions à nous mêmes, en quittant nos propres opinions pour suivre celles d'autrui. Tous ces avantages, dis-je, ne lui ont pas été donnés pour s'en servir avec injustice . Au contraire, c'est elle que les Dieux ont choisie, pour faire voir au monde la vertu aussi belle qu'elle est et pour lui faire tous les jours de nouvelles conquêtes. C'est par elle que les hommes qui la possèdent acquièrent l'immortalité en immortalisant les autres. C'est elle qui, malgré le temps et la vicissitude des choses, conserve la mémoire des belles actions. C'est elle qui, malgré la destruction des royaumes et des empires, perpétue le souvenir des Rois et des Empereurs et qui, lorsque leurs cendres mêmes ne sont plus dans leurs tombeaux, que leurs palais sont détruits, que leurs plus fameuses villes sont désertes, que leurs statues sont renversées et que leurs royaumes mêmes ont changé de nom, fait encore voir à toute la terre une image de leur vertu. Oui, plusieurs siècles après qu'ils ont cessé de vivre, ils vivent encore parmi les hommes, ils ont encore des amis et des sujets. On les consulte pour la conduite de la vie, on imite leurs bonnes qualités, on leur fait de nouveaux éloges. L'envie ne ternit plus leur gloire, on leur donne toute la louange qu'ils méritent. La vénération, qu'on a pour eux, est si grande qu'on ne marche aux lieux qu'ils ont habités, qu'avec quelque espèce de crainte. Et s'il demeure encore quelques vieilles ruines de leurs bâtiments, on respecte en eux ce que le temps n'a point respecté. On les regarde avec plaisir, on les préfère à toute la magnificence des modernes , et les peintres mêmes ornent leurs tableaux de ces illustres ruines et en éternisent la mémoire. Après cela, Isocrate, ne vous étonnez pas si je souhaite si passionnément que votre éloquence fasse un panégyrique pour mon cher seigneur. Je sais en quelle estime elle est par toute la Grèce, et je prévois avec certitude qu'on lui rendra justice aux siècles à venir. Tous les écrits qui porteront le nom d'Isocrate ou de Théopompe seront révérés du temps, de la fortune et de tous les hommes. Ils passeront chez toutes les nations et par tous les siècles, sans qu'on leur fasse outrage et porteront avec eux la réputation de ceux dont ils auront parlé. Il se trouvera peut-être même d'illustres personnes qui, par l'estime qu'elles feront de vos ouvrages, vous feront parler des langues qui ne sont pas encore inventées, qui par l'éclat de votre gloire croiront ajouter quelque chose à la leur en la publiant. Parlez donc Théopompe, parlez donc Isocrate des vertus de Mausole et de l'amour d'Artémise, afin que tous les hommes en parlent après vous. Mais ne vous imaginez pas qu'il se mêle un sentiment de vanité en la prière que je vous fais. Non Isocrate, je ne veux point que vous cherchiez, en ma personne ni en ma vie, de quoi me faire un éloge magnifique ; je ne veux point que vous parliez de mon illustre naissance ; je ne veux point que vous disiez que je suis née avec la couronne d'Halicarnasse ; je ne veux point que vous disiez que, quoique femme, j 'ai pourtant su l'art de régner souverainement ; je ne veux point que vous appreniez à la postérité l'estime extraordinaire, que le grand Xerxès faisait de moi. Je ne veux point que vous disiez que je fis le voyage de Grèce avec lui ; je ne veux point que vous fassiez connaître que j'avais la première place à son conseil et que le mien était toujours suivi ; je ne veux point que vous parliez des exploits que je fis en cette guerre, non plus, que du prix excessif que les Athéniens promettaient à quiconque me remettrait entre leurs mains. Mais je veux seulement que vous disiez qu'Artémise était reine de Carie, parce qu'elle avait épousé Mausole qui en était roi ; qu'Artémise, sur toutes les vertus, a toujours aimé celle qui est la plus nécessaire à son sexe; qu'Artémise n’a jamais eu d'autre passion que celle d'aimer parfaitement son mari ; qu'Artémise, après l'avoir perdu, a perdu le désir de la vie et enfin qu'Artémise, après ce malheur, n'a eu autre soin que d'illustrer sa mémoire. Mais après avoir dit toutes ces choses et avoir loué Mausole autant qu'il le méritait ; après, dis-je, avoir dépeint ma douleur, ou pour mieux dire mon désespoir aussi grand qu'il est, n'oubliez pas d'apprendre à la postérité, qu'après avoir fait bâtir le plus superbe monument qu'on ait jamais vu, je n'ai pu trouver d'urne que je crusse digne de renfermer ses cendres. Le cristal, l'albâtre et toutes les pierres précieuses que la nature produit n'eussent point, ce me semble, assez témoigné mon affection. Il ne fallait être que magnifique et libérale pour lui donner une urne d'or couverte de diamants ; mais pour lui donner son cœur pour urne il fallait être Artémise. C'est là, Isocrate, que je renferme les cendres de mon cher seigneur ; c'est là, Théopompe, que je mets en dépôt ces chères reliques, attendant avec impatience que son tombeau soit en état de recevoir cette urne vivante que je lui ai donnée. C'est véritablement mon cœur qui doit servir d'urne aux cendres de mon cher Mausole. Il me semble que je leur donne une nouvelle vie en les y mettant et il me semble encore qu'elles me communiquent cette froideur mortelle que j'y trouve. Et puis il est bien juste que Mausole, ayant toujours été dans mon cœur tant qu'il a vécu, y soit encore après sa mort. Peut-être que si j'eusse mis ses cendres dans cette urne d'or toute couverte de pierreries, peut-être, dis-je, que par la suite des temps quelque injuste conquérant serait venu ouvrir son tombeau et d'une main profane et sacrilège aurait emporté l’urne, jeté ses cendres au vent et séparé les miennes d'avec celles de Mausole. Mais de la façon dont j'en use, nous serons inséparables. Il n'est point de tyran qui puisse troubler mon repos, puisqu'il n'en est point qui puisse m'éloigner de mon cher seigneur. Voilà, Isocrate, ce que vous devez dire, voilà Théopompe ce que je veux que vous disiez de moi . Mais pour mon cher seigneur n'oubliez rien de tout ce qui lui peut être glorieux et de tout ce qui effectivement était en lui. Dites qu'il était redoutable à ses ennemis, aimé de ses sujets et en vénération à tous les princes ses voisins. Parlez des grandes qualités de son âme, aussi bien que des grâces qu'il avait reçues de la nature. Louez sa valeur à la guerre, sa douceur dans la paix et son équité et sa clémence envers tout le monde. Enfin formez-vous l'idée d'un prince accompli et vous ferez le véritable portrait de Mausole. Mais après toutes les choses que vous aurez dites de cet illustre mari, parlez avec ardeur de l'amour qu'il avait pour moi et de celle que j'ai toujours eue pour lui. Dépeignez cette passion aussi forte, aussi pure et aussi fidèle qu'elle a été. Détrompez ceux qui croient que le crime est la nourriture de l'amour et qui pensent qu'une passion légitime ne peut être ni ardente, ni longue, ni agréable. Apprenez-leur que Mausole et moi donnons un exemple qui détruit toutes leurs expériences et tous leurs raisonnements, puisqu'encore que notre amour ait toujours eu beaucoup d'innocence elle n'a pas laissé d'avoir beaucoup d'ardeur, de durer jusqu'à la mort et de nous être infiniment agréable. Parlez donc, avec éloge, de cette sainte liaison qui force deux personnes vertueuses à s'aimer éternellement . Mais s'il est possible, hâtez-vous de me satisfaire. Employez même votre éloquence à persuader à tous ceux qui travaillent au tombeau de Mausole, d'apporter le plus de diligence qui leur sera possible à avancer leur ouvrage, car le mien s'en va bientôt être achevé. Le peu de cendres qui me reste de mon cher Mausole sera bientôt consumé et, cela étant, je n'ai plus rien à faire au monde. Tout ce qui est en la terre ne saurait plus me toucher l'esprit ; je suis insensible à tout, excepté à la douleur ; et le seul désir, que j'ai en l'âme, est de rejoindre mon cher Mausole et de savoir certainement que vous prendrez soin de sa gloire. La vôtre vous y doit obliger, la compassion vous y doit porter , et s'il est permis de proposer d'autres récompenses à des philosophes que le seul plaisir de faire le bien, considérez qu'elle est la dépense que je fais pour la structure de ce magnifique tombeau et jugez de là que celle qui dépense tant de trésors pour des marbres muets ne sera pas ingrate, quand vous parlerez à la gloire de son cher Mausole. Mais quelque diligence que vous apportiez à me satisfaire, ni les architectes, ni vous n'aurez pas si tôt achevé vos ouvrages que j'aurais fini le mien. Et si je ne me trompe, je mourrai assez tôt pour vous permettre d'illustrer le panégyrique de Mausole, de la mort de son Artémise.


EFFET DE CETTE HARANGUE


Cette vertueuse reine obtint ce qu'elle voulait. Isocrate et Théopompe parlèrent de son cher Mausole, mais en des termes si avantageux que quelques-uns les ont accusés de l'avoir flatté pour de l'argent. Quant à elle, ce n'était pas sans raison qu'elle pressait les architectes, car ce superbe tombeau n'était pas encore achevé, lorsqu'il fallut qu'elle y eut sa place. Ceux qui avaient entrepris ce miraculeux ouvrage ne laissèrent pas de le finir. Il fut longtemps une des merveilles du monde et sa gloire, qui eut de plus solides fondements que lui, dure encore en la mémoire des hommes avec celle de Mausole et de l'illustre Artémise.


 

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