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Les œuvres de la révolte : quelle littérature pour Mai 68 ?

Dominique VIART



C’est devenu une tradition, tous les 10 ans, Mai 68 revient sur l’avant-scène de l’actualité et des débats. C’est ainsi que j’avais, en 2008, à la faveur d’une commande de Catherine Flohic pour les éditions Argol, tenté d’établir ce que Mai 68 avait fait à la littérature française et ce que la littérature française retenait de Mai 681. Aussi lorsqu’Andrea Del Lungo m’a amicalement proposé d’ouvrir notre colloque, je n’ai pas vu comment procéder sinon en reprenant et en actualisant quelque peu ce travail. C’est à quoi je m’emploie maintenant au risque d’en répéter certaines analyses, dédouané par le fait que cet ouvrage est sans doute passé relativement inaperçu, ici en Italie.

Un point de méthode d’abord. S’agissant de Mai 68 et de littérature, il y a plusieurs manières d’aborder la question. On peut en effet se satisfaire d’une approche thématique, faire le relevé des textes qui mettent en scène ces journées, ou plutôt ces années, car Mai 68 déborde du mois de mai et s’étend sur ce que l’on appelle désormais « les années 68 ». Il ne s’agit alors que d’envisager la représentation littéraire d’un événement historique. On peut, bien sûr, traiter d’abord de l’aspect politique : quel regard la littérature porte-t-elle sur ces événements, comment les met-elle en perspective, comment en juge-t-elle ? Mais on peut aussi réfléchir à ce qui change en littérature à la faveur de cet événement : la question devient alors plus formelle. Est-ce que Mai 68, qui a bousculé bien des aspects de la société et de la culture, suscité notamment l’émergence de nouvelles esthétiques graphiques à la faveur de l’activisme des Beaux-Arts et de leurs célèbres affiches, a également contribué à renouveler les esthétiques littéraires ? A-t-on vu apparaître des manières d’écrire inédites ? a-t-on construit un nouveau rapport à la littérature ?

En Mai, pas de livres sur Mai

L’enquête thématique menée par Patrick Combes dans son ouvrage La Littérature et le mouvement de Mai 68, paru chez Seghers en 1984, recensait une cinquantaine de romans. Tous sont aujourd’hui à peu près oubliés, même ceux signés de romanciers connus : qui se souvient de L’Irrévolution de Pascal Lainé, pourtant prix Médicis en 1971 ? des Deux printemps de Raymond Jean ? de Chien blanc de Romain Gary ou de Derrière la vitre de Robert Merle ? Aucun de ces livres n’a changé la littérature. Cela peut sembler paradoxal pour une période censée avoir « mis l’imagination au pouvoir ». Mais justement, l’imagination est alors sortie des livres. Elle s’affiche dans les slogans, les graffiti, sur les banderoles. Pas dans les livres. « En Mai, il n’y a pas de livre sur Mai » note Maurice Blanchot (BLANCHOT 2003 : 102-103). Dans les mois, les années qui suivirent non plus, si du moins on accepte l’idée qu’un livre sur Mai, ou un livre de Mai, marquerait une rupture esthétique, voire épistémologique, qui ferait date dans l’histoire de la littérature. La cinquantaine de romans mentionnée par Combes, et ceux venus s’y ajouter après, sont tous de facture très traditionnelle. Ils relèvent d’un romanesque paradoxalement consensuel au sujet d’événements qui, eux, ne l’étaient guère.

Il existe pourtant bien dans ces années 60 – qui furent aussi celles du Nouveau roman et des dernières avant-gardes (rassemblées autour des revues, Tel Quel, Change, TXT) –, une littérature de recherche très active. Comment se fait-il que la rencontre ne se soit pas faite ? On peut aisément analyser cette discordance : c’est que cet « objet » de littérature que serait Mai 68, si c’en est un, ne peut trouver dans les esthétiques de ce temps de forme narrative adéquate pour le recevoir. A narrer de tels « événements », l’énergie combattante qui les anime, les bouleversements qu’ils induisent, conviendrait en effet un registre épique. Or l’épopée n’est plus de saison en littérature française : deux guerres mondiales particulièrement meurtrières en ont ruiné le modèle, et, sensibles aux critiques de la Modernité, les écrivains s’en sont détournés. La voie autobiographique n’est guère plus envisageable : les expériences singulières du sujet écrivant ne sont pas en vogue parmi les Avant-gardes. Les articles de Roland Barthes intitulé « La mort de l’auteur », celui de Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », paraissent respectivement en 68, justement, dans la revue Manteia et en 69 dans le Bulletin de La Société française de philosophie. Foucault déclare : « Qu’importe qui parle ? En cette indifférence s’affirme le principe éthique, le plus fondamental peut-être, de l’écriture contemporaine » (FOUCAULT 1969). Le sujet singulier s’est dissout, mis à mal par les penseurs de ce temps, qui lui préfèrent des considérations structurelles.

En outre le mouvement de 68 se pense comme collectif. C’est un « nous » qui l’anime, prend d’assaut les rues et la Sorbonne. Ce n’est pas l’aventure d’un sujet singulier. Lorsque paraissent les premiers témoignages d’anciens de 68, Serge July publie dans Libération un article qui les accuse de s’approprier un événement qui fut commun et, comme tel, n’appartient à personne. Le roman historique, enfin, qui aurait peut-être convenu aussi, comme au XIXᵉ siècle, à dire ces journées d’émeutes, ne fait plus recette qu’auprès d’écrivains académiques et d’historiens reconvertis en littérature, lesquels préfèrent mettre en roman des époques lointaines.

Inversement, les Avant-gardes, installées depuis le début des années 50 et relancées par la création de Tel Quel en 1960, ont construit un discours théorique très critique envers la représentation, et prétendent que la littérature, enfermée qu’elle est dans la sphère verbale, ne saurait rendre compte du réel, renommé « référent » sous l’influence des linguistes. Seul le travail de la forme les requiert. Robbe-Grillet prétend que l’engagement et la narration d’événements réels sont des pratiques « périmées » (ROBBE-GRILLET 1963). Claude Simon soutient que le fait d’être écrivain n’autorise pas à « trancher de tout et de rien ». Depuis la guerre d’Algérie s’est ainsi mis en place un régime d’« activités séparées », littérature d’un côté, militantisme de l’autre. On se souvient que les éditions de Minuit publient, en 1958, La Question d’Henri Alleg, mais ces mêmes éditions refusent Le maintien de l’ordre de Claude Ollier, roman trop habité à leurs yeux par la question coloniale. Cette séparation vaut encore au début des années 70. La « révolution » n’est plus, en littérature, qu’un mot sans contenu politique. Projet pour une révolution à New York de Robbe-Grillet tient du jeu érotique. Pour Jean Ricardou, les « révolutions » sont « minuscules », c’est le titre d’un de ses livres, qui les décline en jeu de mots : « rêve », « vol »… « révolu » (RICARDOU 1971). Dans l’exergue du Palace, pourtant inspiré par la guerre civile espagnole, Claude Simon donnait dès 1962 cette définition : « Révolution : mouvement d’un mobile qui, parcourant une courbe fermée, repasse successivement par les mêmes points » (SIMON 1962). Pas grand’ chose de politique dans une telle acception.

On notera qu’il en va très différemment du cinéma, où les Avant-gardes sont au contraire très attentives à la question sociale et tentent de faire coïncider de nouvelles formes de cinéma avec l’insurrection politique, ainsi de Chris Marker (À bientôt j’espère, 1967, ou Le Fond de l’air est rouge, 1977), de Jean-Luc Godard (Un film comme les autres, 1968, avec des ouvriers de Renault et des étudiants de Nanterre ; Le gai savoir, 1968, qui prolonge La Chinoise, 1967), de Jean-Pierre Mocky (Solo, 1970), Jacques Kébadian (Droit à la parole, 1968 ; Le Joli Mois de mai, 1968) et plus généralement des films des collectifs SLON2, Medvedkine3, ARC4.

En littérature en revanche, l’engagement politique ne passe pas par l’œuvre. Même si nombre d’écrivains interviennent effectivement dans le mouvement : prise de l’Hôtel de Massa, siège de la Société des gens de Lettres, fondation d’une nouvelle « Union des écrivains », création du « Comité d’action étudiants-écrivains »... Ils écrivent, certes, mais pas des livres : des communiqués, des chartes d’écrivains, des déclarations collectives, des textes anonymes dont on sait aujourd’hui que les rédacteurs se nommaient Maurice Blanchot, Dionys Mascolo, Marguerite Duras… Ils préfèrent, pour les raisons évoquées ci-dessus, se dissoudre dans le collectif – le comité ou la communauté –, pratiquer un « communisme d’écriture » (BLANCHOT 2003 : 97), et intervenir dans l’action plutôt que de faire littérature de l’événement, moins écrivains qu’écrivants comme Barthes aurait pu le dire.

C’est aussi que, comme le souligneront les frères Rolin, Jean-Pierre Martin ou Jean-Pierre Le Dantec, qui ne deviendront écrivains que bien plus tard, la littérature est alors déconsidérée par les plus radicaux des militants, et comme telle impraticable : « la beauté de l’art, n’en parlons pas. Nous la détestions sans la connaître. La beauté fait dérailler, divaguer, et nous ce que nous aimions c’était “les masses”, comme on disait » écrit Olivier Rolin dans Tigre en papier (2002). Propos confirmés par Jean Rolin dans L’Organisation (1996) ou Jean-Pierre Le Dantec dans Étourdissements (2003) et par tous ceux qui, alors, renonceront aux livres pour s’établir en usine, selon le mot d’ordre de la Gauche prolétarienne. Pourquoi la littérature serait-elle changée par ce qui affecte de la récuser ? Le fossé s’est creusé entre l’action et sa représentation.

Irruption de la poésie

Entre l’action et sa représentation, mais pas entre l’action et la parole. C’est désormais un lieu commun que de rappeler que Mai 68 fut d’abord une prise de parole. Mais il convient de distinguer parole et narration, discours et récit. On tient des discours, mais on ne construit pas de récit, c’est assez frappant. La parole est prise mais il s’agit d’irruption et non de narration : ce sont des slogans, des graffiti, des tracs et des cris. Plus que le roman, la poésie se révèle alors propice à saisir ce bouillonnement, à en inscrire la force irruptive. Je rappelais il y a dix ans les textes de Jacques Prévert (« On ferme… », dans « Mai 1968 », Choses et autres, 1972), de Michel Butor (dont le poème « Tourmente » cite Rimbaud : « Le sang a caillé noir… », dans Tourmente, illustrations de Pierre Alechinsky, Jacques Herold et Bernard Dufour, 1968), de Jean Cayrol (Poésie-Journal, 1969), de Guillevic, de Jean-Pierre Faye ou des derniers surréalistes (Cf. VIART 2008). La contamination de la poésie par cette effervescence est telle qu’elle atteint également des univers esthétiques plus hermétiques ou plus retranchés dans la méditation ontologique. Ainsi est-il symptomatique que le numéro 6 de la revue L’Éphémère s’ouvre à la fin de l’été 68 sur trois textes, signés des principaux animateurs de la revue : Louis-René des Forêts, André du Bouchet et Jacques Dupin. Et c’est pour briser un statut retranché du poète que leurs œuvres respectives avaient contribué à construire. Dans « Notes éparses en mai », des Forêts écrit : « Dans les heures décisives où le refus s’exprime au grand jour, la parole cesse d’être le privilège de quelques-uns ; elle renonce à s’affirmer dans celui qui l’exerce pour s’effacer devant la vérité d’une parole commune qui, surgie d’un monde livré à l’assoupissement, traduit l’effervescence de la vie » (DES FORÊTS 1968) ; Plus radical encore, André du Bouchet, qui intitule son texte : « Sous les pavés, la plage », s’écrie : « Que demeure vacante, dans le nouveau déplacement commun, la place de qui à nouveau, peut-être écrira…// … Qui écrira sans souci d’aucun statut – à commencer par le sien. Contre tout statut (statut d’ « écrivain », entre autres) » (DU BOUCHET 1968). Si le poète voit dans le mouvement une confirmation de l’écart que pratique sa poésie, il fait place aux slogans, aux graffiti, aux tracts (explicitement cités et attribués dans le poème à leurs auteurs : les cadres métallurgistes CFDT). Jacques Dupin souligne de même « l’injonction irrésistible du présent », qui déstabilise les « parcelles détachées d’un continent à la dérive, les mots qu’il m’est interdit d’écrire » dit-il, au profit d’autres « Mots insignifiants et féconds. Divagations, clameurs, ressassements, nuées amassées pour un éclair impossible ». Le poète écoute la « rumeur intarissable, témoignant de l’énormité du souffle libéré » et acclame « les signes du soulèvement [qui] s’expriment, en s’inversant, sur les murs, sur le papier, en un soulèvement de signes » (DUPIN 1968). Une autre parole s’est libérée. C’est elle qui, à chaud, fait irruption dans la littérature.

Cette parole « sauvage », inscrite sur les murs et scandée dans les manifs, est l’un des traits majeurs de 1968. Roland Barthes y voit « une prise de la parole comme on dit : prise de la Bastille » (BARTHES 1968) ; Maurice Blanchot : « une possibilité d’être ensemble qui rendait à tous le droit à l’égalité dans la fraternité par la liberté de parole qui soulevait chacun » (BLANCHOT 1983). Et Pierre Nora : le « festival de la parole agissante » (NORA 1972). Agissante en ce qu’elle est à elle-même sa propre incitation, cette poésie spontanée trouve des formules sans appel, des injonctions heureuses. « La poésie était quotidienne » écrit Blanchot. De fait une dé-hiérarchisation du matériau poétique est en marche, qui s’accomplit chez des poètes sensibles aussi au cut-up de Burroughs et au radicalisme américain, (Biga, Venaille, Delbourg, Prigent…) avec parfois la véhémence d’un Verheggen. Cette verve et cette attention portée au monde réel ont laissé des traces, me semble-t-il, dans l’attrait pour le quotidien le plus prosaïque et la fantaisie que l’on mesure aujourd’hui chez Anne Portugal, Nathalie Quintane, Pierre Alferi ou encore Olivier Cadiot. Peut-être aussi chez Antoine Emaz, Benoît Conort et James Sacré.

Emergences d’autres littératures

Outre ces réactions immédiates des poètes, les inflexions littéraires issues de Mai se mesurent encore dans l’émergence, certes un peu plus décalée dans les années 70, de préoccupations nouvelles. Des prises de parole encore, si l’on veut, mais ciblées. J’en compte essentiellement trois, que je me contenterai ici d’énumérer brièvement :

  1. l’apparition d’une littérature féminine, qui était déjà en gestation depuis le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, et devient plus décidée, plus radicale, d’autant qu’elle trouve des lieux d’édition propres à l’accueillir, comme les éditions des femmes, fondées en 73 par Antoinette Fouque, ou des maisons sensibles à leurs efforts formel, comme les éditions de Minuit, qui avaient publié L’Opoponax de Monique Wittig dès 1964 et accueillent, en 69, Les Guérillères, du même auteur ou, plus tard, les premiers ouvrages de Marie Redonnet. S’il y a une convergence des innovations formelles et des revendications féminines, c’est du côté de ces écrivaines qu’il la faut chercher. Redonnet et Wittig en sont des exemples majeurs.
  2. Une revendication littéraire de l’homosexualité qui passe également par un radicalisme formel et thématique volontiers provocateur. En attestent des livres comme Eden, Eden, Eden de Guyotat (paru en 1970 avec une triple préface signée Sollers, Leiris et Barthes), Tricks de Renaud Camus (1979, avec une préface de Barthes), les livres de Tony Duvert (Interdit de séjour, 1969 ; Portrait d'homme-couteau, 1969, Paysage de fantaisie, 1973), et plus tard ceux de Guy Hocquenghem (L'Amour en relief, 1981, Les Petits garçons : roman, 1983), de Hervé Guibert (La Mort propagande, 1977 ; Les Chiens, 1982). Depuis ces années 70, la littérature gay ne cessera de se développer, au point de donner lieu, sous l’influence des Cultural studies américaines (gay studies, gender studies…), à un pan de littérature répertorié comme tel.
  3. Une repolitisation de la littérature enfin, qui se déploie par le détour du roman policier, autour de Jean-Patrick Manchette notamment, issu des milieux situationnistes. Le « néo-polar », indemne des interdits théoriques qui ne pesaient alors que sur la littérature de recherche, déploie une forme littéraire d’ « intervention sociale » : Manchette, qui publie quatre romans en 1971 et 72 veut, dit-il « mettre en parallèle, d’une part la description marxiste dégradée du terrain, d’autre part le style post-flaubertien ». Comme l’explique Didier Daeninckx, dont l’œuvre est issue de ce mouvement : « Alors qu’après Mai 68 le discours politique envahit tout, dans l’espace littéraire il y a comme une fuite, une pudeur ou un refus : on ne salit pas les mots avec les choses de la revendication. Ça me paraissait être un manque par rapport à toutes les lectures que je faisais des écrivains du XIXᵉ siècle. J’étais un grand lecteur d’Hugo, Balzac, Maupassant. Chez eux ou même chez Flaubert, la préoccupation sociale est toujours là, même quand elle n’est pas au premier plan. Cette sorte de reflet du réel, je le trouve alors dans le roman noir américain, et puis il y a la bombe Manchette. Jean-Patrick Manchette s’empare d’un genre décrié qui, dans les années soixante, est un genre majoritairement conservateur, de droite, même d’extrême droite, et d’un seul coup, il brise les conventions. Avec lui, s’opère une rupture ». Ce mouvement, ouvert en 1971-72 par l’Affaire N’Gustro et Nada, rend en effet possible une prise en compte politique du monde réel, que développeront à leur tour Izzo, Pouy, Jonquet, et bien d‘autres, comme Dominique Manotti, ancienne enseignante d’Histoire à l’université de Vincennes dès sa création.

Cependant, si les premiers jalons de ces renouvellements littéraires s’observent dès les années 70, il leur faudra un certain temps pour se déployer vraiment. C’est qu’il convient de se réconcilier avec une pratique littéraire déconsidérée comme vaine et bourgeoise. Pierre Michon l’a bien noté dans un hommage rendu à Olivier Rolin :

Mai 68, donc, n'était pas tout à fait fini. Au fond du trou, nous priions pour que des œuvres émergent, et nous en préparions tous, des œuvres, mais nous n'y croyions pas, elles nous faisaient rire, nous dégoûtaient et nous révoltaient. Nous avions la conviction très orgueilleuse que la littérature était indigne de ce que nous avions rêvé ; que de toute façon, traîtres et déchus, nous étions indignes de tout, de la littérature en particulier. […] Mai 68 avait fait un grand trou. Nous regardions en tremblant des œuvres en sortir, des œuvres qui savaient qu'elles sortaient du trou, qu'elles revenaient de loin. Il y eut les premiers livres de Guyotat, qui fut pionnier dans cette affaire ; il y avait toujours le Tel Quel de Sollers, qui se penchait sur le trou et donnait un coup de main, à sa façon ; la relève des Éditions de Minuit, c'est-à-dire en ce temps Jean Echenoz, qui portait ça tout seul sur son dos ; Bailly, qui rééditait Lenz ; des livres publiés par Georges Lambrichs, par Bernard Noël, par Denis Roche. […] C'était donc en 1983. Novarina, Bergounioux, Volodine, étaient encore en Egypte, ils n'en sortiraient que dans les trois ou quatre années suivantes » (MICHON 2002).

La génération marquée par 1968 n’entre en effet vraiment en littérature qu’au début des années 80 : Olivier Rolin publie Phénomène futur en 1983, Pierre Michon, Vies minuscules en 1984, Antoine Volodine, ses premiers livres à partir de 1985… Mai portait ainsi en puissance les énergies nécessaires à lever les interdits qui empêchaient de faire littérature de l’Histoire, du corps social, du sujet et du réel, mais les idéologies et les théories encore en vigueur ont encore retenu longtemps les œuvres qui en traiteraient d’advenir. C’est de ces contradictions, de cette tension, de ces frictions qu’une autre littérature est née, riche de cela même qui l’empêchait.

Littératures de témoignage

Je voudrais pour terminer ce propos dire un mot cette fois des œuvres qui font retour sur les années 68. Les toutes premières relèvent du témoignage. 10 ans après 68 paraissent, aux confins du document et du récit autobiographique, L’Établi (1978) de Robert Linhart et Les Dangers du soleil (1978) de Jean-Pierre Le Dantec, deux chefs de file de la Gauche Prolétarienne ainsi que quelques récits d’anciens établis (François Baudin, Nicolas Dubost5). Mais, à l’exception de L’Excès l’usine (1982) de Leslie Kaplan, les appropriations littéraires de cette expérience se font attendre. Le Laminoir de Jean-Pierre Martin ou L’Organisation de Jean Rolin ne sont publiés qu’en 1995 et 1996. Au cours des années 90 donc, alors que l’on bascule d’un siècle à l’autre, paraissent en effet nombre de romans et récits inspirés des années militantes ou des expériences de l’établissement en usine, parmi lesquels L’Enthousiasme (1988) de Daniel Rondeau, Esprit de mai (1995) de Michel Braudeau, Rouge c’est la vie (1998) de Thierry Jonquet, Les Aventures de Mai (1998) de Patrick Rambaud, Tigre en papier (2002) d’Olivier Rolin, Étourdissements (2003) de Jean-Pierre le Dantec, Circulaire à toute ma vie humaine (2005) de Natacha Michel, Drapeau rouge (2008) de Jean-Claude Pinson... Cette liste incomplète s’est étendue récemment, notamment cette année, avec Quelques-uns de Claude Eveno (2018) ou Un arbre en mai de Jean-Christophe Bailly (2018).

Difficile de rendre compte de chacun de ces livres en quelques pages. Je le ferai de manière synthétique. Plusieurs reviennent sur l’établissement en usine. Cet établissement de jeunes étudiants et intellectuels gauchistes, renonçant pour cela à leurs livres et à leurs études, est en fait de peu antérieur à Mai 68. Comme le rappelle Jean-Pierre Le Dantec, ce mouvement apparaît dès septembre 1967 au sein de l’Union des Jeunesses Communistes marxistes-léninistes. L’enquête fut au principe même de l’établissement. Sa nécessité s’était imposée dès la fin des années 60 afin de promouvoir une « analyse scientifique de la situation des luttes de classes en France » comme l’explique Jean-Pierre Le Dantec : « enquêter auprès des ouvriers et des paysans sur leur luttes quotidiennes s’imposait comme le préalable à l’élaboration d’une “ligne de masse” adaptée à la France des soi-disant Trente glorieuses » (LE DANTEC 2015 : 16). À certains égards, les établis renouaient ainsi avec un geste inaugural, celui de Simone Weil, qui se fit engager à l’usine Alsthom et chez Renault entre 1934 et 1935 pour découvrir de l’intérieur ce qu’il en était de la « classe ouvrière », cette « zone de silence où les êtres humains se trouvent enfermés comme dans une île » (WEIL 1942 : 14). C’est à ce silence qu’il leur fallait aussi se confronter. Aussi leurs narrations prennent-elles rétrospectivement la forme d’un récit initiatique.

Cependant, les établis, forts de la doctrine idéologique qui les animait, entendaient aussi éveiller la conscience politique de la classe ouvrière, susciter en elle la pulsion révolutionnaire. « Si les grandes usines étaient les bastions de la révolution », explique Jean-Pierre Martin dans le dossier qu’il leur a récemment consacré dans la revue Les Temps modernes, « pourquoi rester dans les facs à palabrer ? La vraie vie révolutionnaire était ailleurs. Soit, d’abord, aux portes des fabriques. Bientôt nous franchirions les grilles, nous pénétrerions dans les enceintes sacrées » (MARTIN 2015 : 6). Comme je le soulignais plus haut, un tel énoncé dit clairement que l’établissement en usine se faisait contre le savoir et les livres : « nos livres nous semblaient poussiéreux, la culture obsolète » (ibid., 7). Il fallait leur substituer un autre idéal : « les grandes usines nous attiraient comme un Graal » (ibid.). Renoncement au livre, donc, et survalorisation de l’usine. Or celle-ci demeurait largement méconnue des étudiants et des jeunes intellectuels. Et l’expérience effective de l’établissement produisit des effets inattendus.

Lorsqu’il revient sur ces années en préfaçant le volume que Les temps modernes lui consacrent, Jean-Pierre Martin souligne que les établis découvrirent alors que la classe ouvrière, loin de constituer une classe homogène, était elle-même traversée de bien des différences. En construire une image unifiée constituait l’une des illusions de l’époque : « quand on observe la condition ouvrière, il est difficile d’adhérer à la conception abstraite d’un peuple mythifié, d’une classe ouvrière homogène […] Les établis ont pu constater, loin des vues doctrinales ou conformistes, à quel point la condition ouvrière procède d’une histoire complexe, à quel point les ouvriers ne se ressemblent pas entre eux » (ibid., 11). Aussi, plutôt qu’apporter un enseignement idéologique dont leurs témoignages prouvent qu’il passait finalement assez difficilement, les établis évoquent leurs découvertes, attestant de leur surprise face à la réalité du monde ouvrier. Si bien que leurs ouvrages font souvent l’économie de tout discours militant. Il est ainsi frappant de voir combien Jean Rolin se borne à constater les choses, dans un récit émaillé tout au plus de réflexions personnelles, souvent ironiques, mais privé de tout commentaire politique des situations observées. Cette manière de dire et d’écrire organise du reste l’ensemble de ses ouvrages ultérieurs. Ainsi par exemple les grèves et manifestations des dockers rapportées dans Terminal frigo (2005), même si l’on sent bien où va la sympathie du narrateur, ne font l’objet d’aucune prise de parti. À tel point que l’on pourrait soutenir l’hypothèse que c’est d’avoir été établi dans les chantiers navals et éprouvé la désillusion de l’engagement que la littérature qu’il produit aujourd’hui constitue l’une des moins militantes qui soient.

Aussi, loin des vœux révolutionnaires de fusion de toutes les catégories revendicatives dans une même classe prolétaire unie, c’est plutôt le sentiment de la différence qui caractérise ces témoignages et ces récits. Les établis avaient tout fait pour estomper cette différence : faux papiers, pseudonymes leur servaient à se composer une fallacieuse identité ouvrière, souvent soutenue par l’admiration envers un parent ou aïeul éloigné qui en avait lui-même l’expérience : « Nous prétendions, sous l’effet du diktat de l’époque, dissoudre le sujet dans l’aventure collective » écrit Jean-Pierre Martin (ibid., 8), ce que confirme Robert Linhart dans L’Établi (LINHART 1978 :15), mais c’est cette différence qui leur est sans cesse renvoyée. Il restait beaucoup à faire pour me prolétariser à fond » note Jean Rolin dans L’Organisation (J. ROLIN 1996 : 60).

Dilution et désillusion

Au-delà de l’expérience particulière de l’Établissement, dont tous ces livres-témoignages ne parlent pas car ce ne fut pas la réalité vécue par tous, cinq aspects me paraissent réunir l’ensemble de ces ouvrages suscités par le témoignage :

  • Un effet générationnel d’abord. Non pas tant parce que la plupart de leurs auteurs ont à peu près le même âge. Mais parce que les situations narratives qu’ils mettent en œuvre rassemblent souvent un groupe dont les interlocuteurs reviennent sur ces années vécues ensemble, évoquent leurs relations croisées, leurs proximités conflictuelles. Le souvenir de ces années fut sans doute d’abord cela, celui de groupe et de communautés, à l’image du Davidsbund que réunit le livre de Le Dantec ou de ces « quelques-uns » qui furent ensemble dans celui d’Eveno. Comme si, du rassemblement politique, ne perdurait finalement que le souvenir du rassemblement, d’un vécu commun, indépendamment des aspirations politiques qui motivaient ce rassemblement.
  • Car sur le plan idéologique, c’est plutôt la désillusion et le désenchantement qui prévalent. Et plus radicalement encore le sentiment d’un égarement. Aucun de ces romans et récit ne s’installe dans la conviction d’avoir eu politiquement raison. Au contraire, tous sont ironiques comme L’Organisation de Jean Rolin, ou critiques comme Tigre en papier de son frère Olivier envers les illusions et les erreurs de la radicalité dont ces militants furent habités. Comme on le lit sous la plume de Le Dantec, dans Étourdissements : « l’usine, Mai 68, la Gauche prolétarienne et puis rien au bout du compte, le vide, la réalisation brutale qu’on a fait fausse route, qu’on s’est trompé » (LE DANTEC 2003 : 128). L’ancien dirigeant était encore plus sévère dans Les Dangers du Soleil, qui dénonce le totalitarisme maoïste auquel pourtant la gauche Prolétarienne avait fait allégeance en le qualifiant d’« entrailles puantes de la politique absolue », Olivier Rolin parle de son côté de « théâtre d’ombres » (O. ROLIN 2002 :123). De ces années, il semble ne rester plus rien : je cite à nouveau Le Dantec, ancien directeur de la Cause du peuple, qui fait dire à l’un des personnages d’Étourdissements : « Cette année-là ta vie était en loques. Espoirs défaits, Gauche prolétarienne dissoute, amours en ruine et pas même un métier, une occupation auxquels te raccrocher. Comme si les trente années que tu avais déjà vécues (car tu avais eu trente ans en février et réalisé à cette occasion, avec plus d’ironie que de tristesse que ta jeunesse “était derrière toi”), comme si ces trente années n’avaient été qu’une friche, a waste land, une terre vaine, pourrie par une semence immonde, catastrophique » (LE DANTEC 2003 : 126).
  • Du reste l’accent n’est que très rarement mis sur les journées de Mai. Un déplacement s’opère qui décale fréquemment le récit vers l’expérience de l’établissement en usine, vers les échecs des actions engagées dans les années soixante-dix ou le dégrisement qui a suivi. Ce décentrage est parfois très net, comme chez Thierry Jonquet, qui déplace dans Rouge c’est la vie (1998) ses personnages vers Israël et l’expérience des Kibboutz. Finalement, comme le note justement Wolfgang Asholt : « Ce qui est commun à tous ces récits de l’engagement de l’après-68, c’est que Mai 68 y est presque toujours absent » (ASHOLT 2018).
  • À vrai dire, c’est sans doute là l’un des traits majeurs de ces évocations : l’accent n’est pas mis sur les journées de Mai. Ces ouvrages pratiquent tous une véritable extension dans le temps. Non parce qu’il s’agit de prendre en considération le temps qui s’est écoulé depuis, mais parce que Mai n’apparaît plus comme cette irruption soudaine et singulière. La révolte de ce printemps est désormais comprise comme élément d’une histoire plus vaste. Ainsi de Tigre en papier, pourtant l’un des plus largement consacré à la transmission de ces années, qui en vient à parler de la guerre d’Indochine, de la décolonisation, de la guerre du Liban, quand d’autres livres traitent aussi du Vietnam, de la guerre d’Algérie, de la Résistance ou de la Shoah.
  • La dilution narrative de l’événement est très nette. Mai n’est plus l’objet central du récit : ce n’en est qu’un épisode, parfois décisif, certes, comme lorsque Juliette Kahanne s’écrit, au milieu de son livre Une fille, « C’est le vendredi 3 mai 1968 vers six heures de l’après-midi, en plein milieu du boulevard Saint-Germain, qu’elle est née. / Que je suis née » (KAHANNE 2015 : 101) et fait basculer sa narration de la 3ème personne qui gouvernait la première partie du livre en forme de récit de filiation à la 1ère personne sous le régime de laquelle la suite s’écrit. Mais cet épisode ne donne pas lieu à développement, à peine quelques pages. C’est aussi que ce temps semble désormais forclos. Comme l’écrit Jean-Pierre Martin dans le Laminoir : « J’ai témoigné d’un temps révolu. J’ai parlé d’une voix morte, recomposée, qui m’a permis d’évoquer dans l’artifice une médiocre comète, sans nom et sans histoire, dont le scintillement inaperçu s’éteignit vers des nébuleuses diffuses. Écrire à ce propos est nécessairement anachronique » (MARTIN 1995 : 204). Et les livres récemment parus de Jean-Christophe Bailly ou de Claude Eveno, tous deux longtemps inachevés, semblent de même s’éloigner de Mai 68 au profit de méditations plus générales.

De ces cinq traits, si on laisse de côté nostalgie des expériences partagées et critique politique, ce sont bien le déplacement et l’extension temporelle qui caractérisent la littérature nourrie des années 68. Deux œuvres me paraissent manifester plus que d’autres ces deux données, et il symptomatique qu’elles soient produites par deux écrivains de génération différente, l’un qui fut militant en 68 mais ne témoigne jamais de sa propre expérience, l’autre né bien plus tard, en 1975. Il s’agit d’Antoine Volodine et d’Alban Lefranc, dont les œuvres sont aussi, sur le plan formel, parmi les plus inventives. Toutes deux déplacent le point d’intérêt des journées de mai vers les années de plomb qui suivirent : Volodine dans Lisbonne dernière marge (1990), où l’on voit une militante de la Rote Armée Fraktion poursuivie par le policier d’une brigade anti-terroriste ; Alban Lefranc dans Si les bouches se ferment, qui met en scène Bernward Vesper, fils d’un père nazi et militant proche de Gudrun Ensslin et d’Andreas Baader6. Tous deux passent ainsi allègrement au-dessus de Mai 68 pour interroger plus profondément le basculement dans la violence de la radicalité révolutionnaire. Et tous deux y voient la tentative de purger la culpabilité d’une génération minée par les pulsions nazies de la génération précédente. Alban Lefranc rappelle que la révolte des étudiants commence en Allemagne en 66-67, protestant contre l’accès au poste de Chancelier de Kurt Georg Kiesinger – ancien directeur adjoint de la propagande radiophonique du Reich, chargé de faire le lien entre Ribbentrop et Goebbels –, puis qu’ils se mobilisent après l’assassinat de l’étudiant Benno Ohnesorg. Leurs œuvres étendent ainsi cette interrogation sur un temps plus long : Alban Lefranc en développant plus largement dans ses livres ce qu’il appelle des « putsch interprétatifs » sur la contre-culture allemande d’après-guerre ; Volodine en construisant à partir de Lisbonne dernière le vaste édifice qu’il nomme « post-exotisme » où se déploie la faillite d’un siècle traversé de tentations révolutionnaires, de totalitarismes et d’exterminations que ses romans poussent à leurs plus noirs accomplissements.

En conclusion, je dirai que si, à la faveur de Mai 68, la parole fut libérée, profuse, abondante, diverse, sur les murs et dans les slogans, il n’y guère, en effet, en mai, de « livre sur mai » selon l’assertion de Blanchot rappelée plus haut. Mais cette parole infuse, elle irradie la poésie qui s’en trouvera rapidement changée. On pourrait aussi le dire du théâtre, dont je n’ai pas parlé, lequel devient alors plus inventif, plus invectif, plus interpellant, marqué qu’il est aussi par l’influence du Living theatre ou du Bread & Puppet theatre, et par les mises en scène d’Ariane Mnouchkine. Surtout, cette parole ouvre des espaces littéraires nouveaux du côté des écritures féminines ou des écritures homosexuelles, au point que Mathieu Riboulet, qui évoque lui aussi les années de plomb dans Entre les deux il n’y a rien (2015), considère que le combat homosexuel fut, au cours des années 70 et 80, le seul qui releva véritablement le flambeau militant, en luttant pour sa reconnaissance d’abord, puis à l’heure où le Sida se mit à frapper. Du côté enfin d’une verve politique et sociale fortement assumée par les auteurs de « néo-polar », qui récupèrent les énergies critiques de 68 au profit de la mise en question de l’ordre en place, comme le montrent avec pertinence les analyses d’Elfriede Müller et d’Alexander Ruoff (Le Polar français. Crime et histoire, 2002) inspirées par l’École de Frankfort. De fait ces polars issus de la contestation des années 68 remontent aussi le temps jusqu’aux années noires du nazisme et de la collaboration, dont les exactions n’ont pas toujours été purgées.

Mais sinon, force est de constater qu’aucun livre ne peut revendiquer d’incarner l’élan fiévreux de 68 sous forme littéraire, soit que les évocations qui en sont faites se résorbent dans un romanesque convenu, soit que les témoignages, fictionnalisés ou non, des anciens militants se teintent à la fois de nostalgie collective et de lucidité critique. Si bien que Mai 68 demeure plutôt comme la fin d’un vieux monde patriarcal, l’émergence d’une expression des désirs et des aspirations à de plus grandes libertés : un point de repère plutôt historique, donc, que littéraire. Ce fut une ultime manifestation des utopies politiques, avant que le néo-libéralisme et la mondialisation ne conquièrent le monde. Or je ne vois pas, dans la littérature produite ces cinq dernières décennies, d’œuvre qui ait entrepris de relever de telles utopies, ni de manifester de tels élans. Les combats, les engagements certes demeurent aujourd’hui, on le voit à lire Arno Bertina, Mathieu Larnaudie, Nathalie Quintane, Thierry Beinstingel ou Marie Cosnay, mais ils sont devenus ponctuels, circonscrits à telle ou telle réalité immédiate : monde du travail, migrants sans papier, interstices sociaux. La littérature française actuelle déplore souvent l’état du monde, elle tente d’y intervenir à la marge. Mais il ne me semble pas qu’elle construise le projet de le révolutionner.

Bibliographie

ASHOLT, W., « Peut-on écrire Mai 68 ? Le roman (historique) contemporain et les “événements de mai“ », Lendemains n° 169, « Adieu à Mai 68 ? », Août 2018
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Notes

↑ 1 Dominique Viart, « L’Héritage littéraire de mai 68 », in Écrire Mai 68, Argol, 2008.

↑ 2 Société pour le Lancement des Œuvres Nouvelles, rassemblant les réalisateurs Jean-Luc Godard, Agnès Varda, Alain Resnais, Claude Lelouch, Joris Ivens et William Klein.

↑ 3 Collectif formé autour de Chris Marker qui produit le film Classe de lutte, qui invite les ouvriers à se filmer eux-mêmes.

↑ 4 Atelier de recherche cinématographique, fondé par Kébadian et Andrieu.

↑ 5 François Baudin, La mer gelée en nous, 1978 ; Nicolas Dubost, Flins sans fin, 1979.

↑ 6 Publié en 2014, le livre était paru dans une première version en 2006 sous le titre Des foules, des bouches, des armes.

Pour citer cet article :

Dominique VIART, Les œuvres de la révolte : quelle littérature pour Mai 68 ?, L’imaginaire de Mai 68 dans la littérature contemporaine, Publifarum, n. 34, pubblicato il 00/00/2020, consultato il 19/04/2024, url: http://www.farum.it/publifarum/ezine_articles.php?id=472

 

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