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Terminologies et comparaison interculturelle : évolutions de quelques métaphores conceptuelles dans le domaine du droit de la famille

Micaela ROSSI



Abstract


The paper aims at describing recent evolution in family law terminology, as far as French and Italian are concerned, pointing out most notably some examples of metaphorical terms and concepts, their semiotic nature and their textual features.
L’articolo si propone di descrivere alcune evoluzioni recenti nel dominio della terminologia del diritto di famiglia, con particolare attenzione per le lingue italiana e francese. In particolare, verranno esaminati alcuni casi di terminologie create su base metaforica, la loro natura semiotica e le loro caratteristiche testuali.

1. Terminologies, concepts et métaphores : definition du cadre théorique

Traditionnellement considérée comme une figure rhétorique purement ornementale (voir la conception classique à partir d’Aristote, dont la tradition perdure en France dans l’œuvre des grands Rhétoriqueurs et des écrivains du XVIIIème et XIXème siècle, jusqu’aux ouvrages de Dumarsais et Fontanier), la métaphore a connu au cours du XXème siècle un renouveau d’intérêt dans le domaine de la linguistique, ainsi que de la philosophie du langage et de la sémiotique.

Dans ces nouveaux courants d’études, débutant par les essais en quelque sorte révolutionnaires de Richards (1936) et Black (1962), puis ensuite repris par le courant cognitiviste (Lakoff et Johnson dans les années 1980, plus récemment Fauconnier et Turner), la métaphore cesse d’être une simple figure de substitution destinée à embellir l’expression poétique, et elle est plutôt envisagée comme une interaction conceptuelle dynamique, générant de nouvelles formes d’accès à la connaissance. Comme l’affirme Charbonnel (1999), on assiste alors à un tournant épistémologique capital, qui conduit d’un paradigme de régime sémantique expressif à un régime sémantique cognitif.

Quand Roméo dit de Juliette : « c’est le soleil de mes journées », il s’agit d’un régime sémantique expressif.

Quand Niels Bohr disait du noyau de l’atome, autour duquel tournaient les électrons, « c’est le soleil des électrons », il s’agit d’un régime sémantique cognitif. (Charbonnel, 1999 : 34)

Cette nouvelle vision heuristique de la métaphore (voir Prandi, 1992 ou Gardes-Tamine, 2012 pour une synthèse exhaustive) a permis d’élargir le domaine d’études de cette figure, hors des frontières des textes littéraires, permettant d’aborder la dynamique métaphorique dans d’autres typologies textuelles et d’autres réalisations discursives. En 1994, Assal a pour la première fois commencé à mettre en évidence les mécanismes cognitifs et sémiotiques qui sous-tendent l’emploi de la métaphore dans les langues de spécialité. Les études se sont ensuite multipliées ; nous citerons, entre autres, les essais d’Isabelle Oliveira dans le domaine de la cardiologie, de Sylvie Vandaele autour de la traduction des métaphores spécialisées, ainsi que nos études précédentes, où nous avons eu la possibilité d’approfondir l’analyse des fonctions et des typologies des métaphores dans des domaines divers (œnologie, énergies renouvelables, astrophysique).

De même, la figure métaphorique a fait l’objet de l’intérêt des épistémologues des sciences : les essais de Judith Schlanger, entre autres, ont permis d’analyser le rôle capital de la métaphore comme moyen d’expression de nouvelles découvertes scientifiques. Dans ces études, la métaphore représente le cas de figure emblématique du passage de l’idée à la verbalisation du concept, et les théories scientifiques s’affirment… ou succombent sur la base du pouvoir expressif de leur métaphore-clé.

Il en ressort finalement une conception nouvelle de la dynamique métaphorique, dans laquelle la figure a une fonction essentiellement heuristique, servant de tremplin pour la définition et la transmission des connaissances techniques et scientifiques – à ce propos, les études sur la vulgarisation scientifique (voir les essais de Daniel Jacobi), ainsi que les essais de socioterminologie (Gaudin, 2003) mettent l’accent sur le rôle vulgarisateur de la métaphore et sur le pouvoir communicatif de l’analogie :

La métaphore joue un rôle aussi important que le toucher, et elle est aussi précieuse  (Gaudin 2003 : 206).

2. Types et fonctions des métaphores dans le domaine juridique

Apparemment précis et monosémique, comme toutes les langues de spécialité, le langage juridique foisonne en métaphores, différant en formes et en fonctions, dont nous chercherons de dresser une liste synthétique dans les pages suivantes.

Une considération préliminaire, pour commencer, s’impose : l’étiquette de langage juridique est, comme de nombreuses études l’ont déjà souligné, un discours multiforme, hétérogène, variant des formes plus proches de la rhétorique classique (plaidoyers, harangues…) aux textes fortement codés de la jurisprudence (lois, décrets…), jusqu’aux formes du droit coutumier, caractérisées par des patrons formels traditionnels, liés à la doxa (formes brèves, maximes, adages…). Il est donc difficile de définir avec précision l’objet d’études, d’autant plus que les traditions varient sensiblement d’une langue/culture à l’autre, le droit étant un domaine cultural-bound par excellence.

La fonction première – et plus évidente – de la métaphore dans le langage juridique est sans doute la fonction purement rhétorique, d’artifice linguistique destiné à manipuler l’opinion de l’auditoire. Mortara Garavelli (2001), ainsi que Gérard Cornu (2000) attribuent cette fonction ornementale à la rhétorique juridique propre des discours oraux juridictionnels. Cette manifestation de la métaphore n’est pas pourtant celle qui nous intéresse le plus dans le cadre de cette contribution. Nous nous pencherons en revanche sur les métaphores lexicalisées, qui désignent des concepts précis dans un domaine de connaissances donné, en d’autres mots sur les métaphores auxquelles on attribue finalement le statut sémiotique de termes à part entière. Ces termes-tropes, ou termes métaphoriques, peuvent se manifester sous des formes sémiotiques diverses, présentant ainsi un degré différent d’interaction entre le domaine source et le domaine cible qui les ont générés.

1. La première réalisation de la métaphore est le cas de catachrèse, qui se présente à plusieurs reprises dans la terminologie fondamentale du discours juridique ; comme l’affirme Cornu (2000) :

[Ces] termes ont aujourd’hui perdu, dans l’usage juridique, leur valeur métaphorique. […] leur usage officiel, par le législateur, le juge, l’administration est devenu tout naturel.

Parmi ces termes-catachrèses, nous citerons par exemple en français les termes plainte, appel, assiette (d’une garantie), fardeau (de la preuve)… En italien, de même, les termes appello, pena, colpa… manifestent la tendance de la métaphore à devenir un terme sous forme de lexicalisation et catachrèse.

2. Dans un deuxième cas de figure, l’interaction métaphorique entre domaine source et domaine cible est susceptible de générer des séries de termes apparentés (Prandi, 2010, parle à ce propos d’essaims métaphoriques), qui témoignent de la vitalité de la dynamique conceptuelle. A titre d’exemple, nous citerons les essaims métaphoriques présents dans la langue du droit français en relation à des objets d’usage commun qui deviennent des termes techniques, à savoir (nous emprunterons ici la classification de Cornu, 2000 : 85) :

Siège -> la magistrature assise

Parquet -> le ministère public

Barreau -> les avocats

Robe -> la magistrature et le barreau

Toujours en français, la métaphore anthropomorphique appliquée aux textes de loi génère des métaphores en série :

Tête/Corps/Pied -> parties d’une requête

En italien, c’est en revanche entre autres la métaphore religieuse qui nous offre un essaim métaphorique intéressant pour notre analyse :

Celebrare un processo, rito (processuale)

3. Le dernier cas de figure est en revanche représenté par les métaphores conflictuelles, dont l’interaction entre domaine source et domaine cible est encore un défi pour nos conditions de cohérence logique, et qui stimulent donc nos compétences d’inférence. Dans ces cas-limite, ces métaphores sont souvent des métaphores constitutives de nouvelles théories ou bien de nouveaux paradigmes épistémologiques, qui ont recours à la figure pour mieux transmettre et pérenniser un concept nouveau. Un cas célèbre de cette dernière typologie est l’exemple de la sélection naturelle de Darwin, où la nature est comparée à un fermier clairvoyant (Prandi, Rossi, 2012). Dans le domaine juridique, un exemple de ce genre de métaphore nous est offert par l’expression relative au « bon père de famille », que l’on retrouve dans les textes législatifs italiens (buon padre di famiglia), et qui a fait l’objet d’une analyse approfondie de la part de Morra et Bazzanella (2002).

3. Un domaine en évolution : le droit de la famille

Comme il ressort des exemples précédents, le langage du droit, même dans ses réalisations les plus fortemente vincolanti (dans la typologie de Sabatini, 1999), n’est pas dépourvu de métaphores, qui peuvent présenter des caractéristiques sémiotiques et textuelles fort diverses. De même, tous les domaines et sous-domaines du droit, ainsi que toutes les réalisations discursives, peuvent être analysés en relation aux phénomènes de désignation métaphorique, qui intéressent le langage du droit au sens large, hors de toute variation horizontale ou verticale.

Dans les pages suivantes, nous nous intéresserons en particulier à un sous-domaine en forte évolution pendant les dernières années, le droit de la famille. En France comme en Italie, les années 1990, 2000 et les premières années 2010 ont été caractérisées par des progrès et des transformations profondes du concept même de famille, ainsi que des rôles sociaux qui à ce concept restent profondément liés.

Plus particulièrement, nous avons assisté au cours des dernières décennies à des changements radicaux par rapport à :

1. conception de la famille dans son ensemble et sa composition -> à ce propos, un exemple remarquable est celui constitué par le passage de la famille nucléaire à la famille monoparentale ou monopersonnelle, ainsi que le passage de la famille comme institution fondée sur la mariage à l’idée de la famille comme union libre, pas forcément officialisée par le mariage, passage qui a généré la série de termes liés au concept de PACS en France, ainsi que le débat encore très actuel en Italie sur les DICO, puis sur les unioni civili ecc. ;

2. reconnaissance des familles de nouvelle formation, à géométrie variable et au statut incertain : famiglia allargata, famiglia allungata en italien, et parallèlement famille élargie ou allongée en français, témoignent de formes diverses et innovantes de vivre ensemble, qui demandent très tôt une reconnaissance légale et une standardisation terminologique (voir très récemment les familles homoparentales/famiglie omogenitoriali);

3. évolution poussée de l’idée de maternité, liée aux évolutions de la jurisprudence par rapport aux pratiques de procréation médicalement assistée dans les deux pays objet de notre étude. Ces évolutions se manifestent à leur tour dans un changement profond de l’idée de filiation, ainsi que du concept de maternité, dans les deux langues (voir la prolifération de variantes terminologiques dans ce domaine : maternità surrogata, madre in affitto, utero in affitto, mère porteuse, mère couveuse…).

Bracchi (2010) a bien mis en évidence l’évolution du domaine au niveau législatif ainsi qu’au niveau terminologique, à travers un schéma temporel, qui nous reproduisons ci-dessous :

rossi 3 doc

Dans le schéma, les innovations juridiques sont mises en relation avec les évolutions de la terminologie du domaine ; ainsi, les nouvelles lois sur la procréation médicalement assistée génèrent en français le passage du couple traditionnel au trouple, et des géniteurs aux parents.

4. Une métaphore conflictuelle pour un nouveau paradigme épistémologique : la "mère-machine"

Au sein de ce panorama mouvant et incertain, caractérisé par des évolutions et des débats incessants qui touchent aussi bien le niveau juridique que la réflexion éthique et la dimension religieuse et morale des locuteurs, nous avons choisi de focaliser notre attention sur un exemple qui nous semble particulièrement intéressant. Il s’agit d’une métaphore qui n’a pas (encore ?) connu un processus de lexicalisation, mais qui sous-tend plusieurs cas de dénominations néologiques dans le droit actuel de la famille.

Comme le remarquent Schlanger et Stengers (1991), toute évolution scientifique, tout nouveau paradigme de la connaissance, se fonde sur une invention analogique :

Les épistémologues actuels affirment que toute science se fonde sur une opération de métaphorisation, où les glissements de sens, les analogies et l'ambiguïté des concepts de base fournissent les hypothèses et guident l'observation (Hermans, 1989).

[… ]Ce qui se produit est un phénomène que Koestler nomme bissociation : une synthèse immédiate entre deux zones ou matrices. Les deux matrices étaient séparées : soit dans l’espace des disciplines, soit même dans le temps. […] Le saut dramatique qu’est le rapprochement est l’acte même de la créativité (p.80)

Cette invention analogique, fondatrice du paradigme, prend bien souvent la forme d’un rapprochement métaphorique, censé exprimer verbalement les résultats de la pensée. Ainsi, la sélection naturelle de Darwin est destinée à révolutionner les paradigmes épistémologiques traditionnels de la biologie, fondant un nouvel ordre de la discipline dans le domaine. Les métaphores fondatrices de théories appartiennent bien souvent au régime conflictuel, que nous avons décrit dans les pages précédentes : l’interaction des domaines source et cible reste hors des règles de cohérence qui sous-tendent notre logique, produisant un effort de décodage qui nous permet d’accéder au nouvel ordre des idées exprimé par la métaphore même.

Ainsi, dans le domaine de la physique nucléaire, la métaphore du système solaire, utilisée pour décrire le dynamiques des électrons et du noyau, accomplit-elle la même fonction ; encore, la métaphore de la circulation des canaux d’irrigation hollandais appliquée au fonctionnement du système sanguin permit au médecin William Harvey au XIIème siècle de formaliser un paradigme encore valable de nos jours (le cœur est une pompe, les veines des canaux… - voir à ce propos Oliveira 2009) ; enfin, dans l’astrophysique du XXème siècle, la théorie des cordes de Gabriele Veneziano révolutionne notre perception de l’Univers par le biais de la métaphore musicale.

Parmi les métaphores constitutives, deux modèles dominent (voir Schlanger 2005) : le modèle organiciste, qui parcourt l’histoire des sciences humaines, de la philosophie et de la sociologie modernes, et l’idée mécaniciste, qui est souvent appliquée à des domaines scientifiques appartenant au paradigme des sciences dures. Nous devons à Schlanger entre autres la description précise et fine de la naissance des grandes théories philosophiques et politiques du XXème siècle (le marxisme entre autres) à travers l’évolution de leurs métaphores fondatrices. Les ouvrages des épistémologues confirment que les métaphores sont dans ce cas des instances révélatrices d’une idéologie, susceptibles de pénétrer dans les idées, dans les mots, dans les débats au sein d’une discipline donnée.

Dans notre cas d’études, la métaphore fondatrice qui nous semble sous-tendre le discours actuel en matière de droit de la famille est relative à une branche particulière de celui-ci : la filiation, et plus en particulier la procréation médicalement assistée (désormais PME). Dans les textes et discours juridiques autour de la question, plusieurs néologismes ont vu le jour au cours des dernières décennies, parmi lesquels mère porteuse, mère couveuse, location d’utérus, parents commmanditaires (pour le français), madre surrogata, madre incubatrice, affito dell’utero, dono del ventre, genitori committenti (pour l’italien).

Ces néologismes nous semblent, ainsi que d’autres, faire référence à une métaphore constitutive de fond, la métaphore de la mère-machine, ou encore de la mère-usine, dont la portée idéologique ne saurait pas être sous-estimée : le rapport entre mère et fils, la dynamique de la filiation, depuis toujours considérés comme les phénomènes naturels par excellence, seraient alors réinterprétés à la lumière de la culture post-industrielle moderne. La mère – dans ce nouveau paradigme – serait considérée comme une usine de production d’embryons, de nouvelles vies produites en séries. L’interaction entre le domaine source de la maternité et le domaine cible de la production serait perceptible dans des termes tels que maternità programmata, produzione di embrioni, bambini artificiali, la présence de l’élément économique dans le domaine cible étant assuré par des termes tels que location d’utérus / utero in affitto, dono del ventre ou même (dans les documents juridiques) contrat de location d’utérus.

Le rapport entre culture post-industrielle et rapport de filiation n’est pas nouveau, notamment pour les études sociologiques ; en 1987, Vandelac entre autres avait déjà tracé les lignes directrices de l‘évolution sociale et linguistique liée à l’avènement de la procréation médicalement assistée. L’interaction entre le domaine naturel et technologique étant à l’origine de la métaphore mécaniciste appliquée à l’enfantement, les sociologues mettent l’accent sur les processus de technicisation sans fin de la reproduction (Vandelac, 1987 ; Martin, 2010, parle de machinique), débouchant sur les nouvelles formes d’économie de la procréation :

[ces technologies] président à la mise en place d'une véritable techno-économie de la procréation de type médico-institutionnel d'une part, et de type commercial de l'autre […] il est clair que cette technicisation croissante de la procréation constitue désormais une nouvelle économie. (Vandelac, 1987 : 11)

De même, la métaphore de la mère-usine ou de la mère-machine est à l’origine des terminologies liées à la « taylorisation » du processus reproductif (Vandelac, 1987 : 12)

En fait, l'enfantement contractuel risque fort de glisser, au cours des prochaines années, de sa forme classique de « mère-porteuse » à celle de « mères gestatrices » ainsi que vers le « don » et la « vente » d'ovocytes et d'embryons, voire même vers la gestation extracorporelle dite « mère machine »... (Vandelac, 1987 : 14)

Il en résulte une terminologie de science-fiction (Bracchi, 2010), « hyperréelle, plus réelle que le réel, pour reprendre l'expression de Baudrillard » (Vandelac 1987 : 19), qui se manifeste dans des termes complexes à forte retombée médiatique, tels que bambino surgelato en italien, enfant congelé en français.

Dans cette terminologie mouvante, par moments instable, la métaphore en tant qu’interaction conceptuelle façonnant notre vision du monde démontre tout son pouvoir d’évocation et de modélisation ; sur la base des domaines conceptuels sélectionnés, les termes suggèrent une vision de l’enfantement et de la procréation fort différente :

On peut regrouper ces appellations en 7 grandes catégories lexicales, selon que l'accent est mis sur la seule gestation (mère porteuse, femme porteuse, porteuse, gestatrice) ; sur la filiation et sur les relations entre les acteurs (mère d'emprunt, mère de substitution, mère hôtesse, mère subrogée, parentalité subrogée, mère de remplacement, mère par procuration, etc.); sur le caractère marchand de l'activité (mère mercenaire, vente de grossesse, vente d'enfant), sur la rétribution d'un organe (location d'utérus, ventre à louer, temps de location utérin); sur le caractère convivial et généreux de l'engagement (prêt d'utérus, don d'enfant, mère d'accueil, maternité pour autrui), sur l'origine de l'enfant (enfant issu d'un repiquage utérin, enfant prothèse, etc.), ou enfin sur certaines caractéristiques de l'entente (adoption anténatale programmée).(Vandelac, 1987)

Dans la période 1980-2010, cet ensemble terminologique a, bien évidemment, évolué, suivant les mécanismes socio-linguistiques qui président à la lexicalisation et au figement terminologique dans les communautés de spécialistes et dans la vulgarisation auprès du grand public. Parmi les termes répertoriés par Vandelac, certaines dénominations ne sont plus utilisées, d’autres en revanche ont réussi à s’imposer et à devenir enfin des termes à part entière.

Pour terminer, nous nous proposons donc de focaliser l’analyse sur l’évolution des termes fondamentaux dans le domaine, dans les deux langues concernées par cette étude, termes qui sont présentés dans le tableau ci-dessous :

Tabella1

FR

IT

location d’utérus

mère couveuse

mère porteuse

production d’embryons

utero in affitto

dono del ventre

produzione di embrioni

madre surrogata

madre incubatrice

Dans les graphiques suivants, N-Gram Google Viewer nous permet de tracer la fréquence de ces termes dans les textes et monographies composant le corpus Google français :

rossi 1 gr

ainsi que le corpus italien :

rossi 2 grande

Il en ressort que pendant les dernières années, la terminologie de la PME évolue vers des formes de plus en plus normalisées (grâce surtout à l’apport des législations nationales) et de plus en plus dénotatives : le terme mère porteuse tend à s'implanter au détriment de mère couveuse, ou encore madre surrogata tend à s’imposer en italien. Toutefois, quelques domaines métaphoriques restent encore fortement ancrés dans la terminologie du domaine de la PME, notamment le domaine technologique et le domaine économique, qui se révèlent dans des termes comme utero in affitto ou location d’utérus

S’agit-il du fruit des nombreuses campagnes de médiatisation (en France et en Italie) autour d’un sujet aussi délicat, ou bien d’un conditionnement idéologique inévitable, issu de notre ère post-industrielle et du paradigme sociologique de la consommation ? Toujours est-il que cet exemple révèle le poids de l’idéologie dans les métaphores qui désignent des phénomènes scientifiques ou sociaux, leur importance capitale dans la transmission de nouvelles notions et réalités, ainsi que l’opportunité d’une étude approfondie des néologismes métaphoriques dans les domaines liés à la vie sociale, qui plus que d’autres peuvent être influencés par les idéologies et influencer notre perception du réel.

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Pour citer cet article :

Micaela ROSSI, Terminologies et comparaison interculturelle : évolutions de quelques métaphores conceptuelles dans le domaine du droit de la famille, Lingua e Diritto. La Lingua della Legge, la Legge nella Lingua, Publifarum, n. 18, pubblicato il 13/03/2013, consultato il 19/04/2024, url: http://www.farum.it/publifarum/ezine_articles.php?id=255

 

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Open Access Journal - ISSN électronique 1824-7482

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