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Pierre Senges (1968)

Chiara ROLLA


Parlant de la genèse de Géométries dans la poussière, texte publié en 2004 en collaboration avec le dessinateur Killoffer, Pierre Senges affirme :

Concrètement, j'ai reçu une première salve de dessins killofferiens en juin de l'année dernière, que j'ai volontairement entraperçus, de même que l'on perçoit en ville, dans des reflets de vitrines, des spectacles immédiatement perdus. J'ai été frappé par ces fresques sur papier, puis je les ai rangées dans l'enveloppe, d'où je les retirais de temps à autre très brièvement et très rarement, histoire de me laisser surprendre à nouveau. Le thème du texte étant celui de la ville, j'ai écrit une série de chapitres inspirés ou non par le souvenir que j'avais des images de Killoffer […].1

C’est à l’intérieur de cette expérience de la surprise, de l’ébahissement, dans l’évanescence du souvenir, de l’observation discrète et à la dérobée d’une autre forme artistique que peut être décrit le rapport subtil mais profond des textes de Pierre Senges avec les autres formes artistiques.

Pierre Senges a débuté dans le monde de la prose avec Veuves au maquillage (Verticales, 2000). L’autodidactisme, en littérature comme en musique, a profondément marqué sa formation et sa culture, se constituant plutôt à l’ombre des rayons des bibliothèques, qu’à l’intérieur des salles universitaires. Le rapport au livre chez Senges est celui d’un flâneur littéraire qui se fraye un chemin à travers les textes et les savoirs, apparemment sans méthode et sans ordonnancement préétabli. Ses lectures procèdent sans aucun souci de hiérarchie esthétique et désirent répondre à la recherche du plus fondamental plaisir de la lecture. Elles ressemblent souvent à des déambulations érudites et vagabondes qui correspondent à une profonde avidité de connaissance.

La première forme artistique avec laquelle Senges entre en dialogue est la littérature : tour à tour il se confronte avec le Macbeth de Shakespeare (Sort l’assassin, entre le spectre, Verticales, 2006) ; avec l’écriture fragmentaire de Georg Christoph Lichtenberg (Fragments de Lichtenberg, Verticales, 2008) ; avec les « incipit suspendus » de Franz Kafka (Études de silhouettes, Verticales, 2010), pour enfin arriver au chef-d’œuvre de Melville avec Achab (sequelles) (Verticales, 2015). Réécritures, parodies, suites, pastiches ? Difficile de trouver une définition générique pour des textes qui s’amusent à brouiller les cartes à l’intérieur d’un univers poétique qui ressemble fortement à un labyrinthe de miroirs baroque.

Dans ses œuvres d’« encyclopédiste fictionnel »2 Pierre Senges noue un rapport renouvelé et subversif entre la littérature et les savoirs d’hier et d’aujourd’hui : en effet, s’il se loge dans une Bibliothèque de Babel, entre Borges, Rabelais ou Nabokov, c’est plus pour la mettre en désordre, pour brasser les codes et dérouter ses lecteurs que pour donner des clés de lecture. Ses œuvres sont de vrais « romans mondes où le rire se joue de toutes les connaissances ».3 Un « rire baroque », comme T. Guichard l’a très bien défini, mais j’oserais dire aussi «libertin», pour la portée subversive, cachée sous une apparence drolatique, dont ses œuvres sont porteuses.

Outre des textes qui ont mis en scène un rapport avec d’autres œuvres littéraires, pour lesquels une simple lecture intertextualisante serait réductrice, Senges a écrit également des ouvrages qui sont entrés en dialogue avec la musique et les arts plastiques, notamment le dessin et la peinture.

Ses « concerts fictions », ses lectures et ses fictions radiophoniques pour France Culture,4 France Musique et France Inter, sa collaboration avec Jean-Jacques Birgé5 témoignent du dialogue entre ses textes et l’écriture musicale. La musique le fascine « pour la pratique, pour la difficulté, pour la nécessité d’en passer par un apprentissage, l’apprentissage de la grammaire, du répertoire, et de la main […], pour son attention à la forme, la forme détachée apparemment de toute référence […] »6 (Voir ♦ Le dialogue intermédial ).

mendiants

Fig. 1 Pieter Bruegel l’Ancien, Les Mendiants (1568), tableau qui a servi d’inspiration à Pierre Senges pour Cendres des hommes et des bulletins.

Les collaborations avec Killoffer pour Géométrie dans la poussière (Verticales, 2004), et avec Nicolas de Crécy pour Les Carnets de Gordon McGuffin (Futuropolis, 2009) et Les Aventures de Percival (Dis Voir, 2009), le volume autour d’une série de variations et de ré-interprétations graphiques et littéraires du tableau de Bruegel l’ancien, « Les Mendiants estropiés », en collaboration avec le dessinateur Sergio Aquindo (Cendres des hommes et des bulletins, Tripode, 2016), correspondent quant à eux à un désir de divertir son lecteur. Un divertissement compris dans le sens étymologique du terme - à savoir de la distraction et du détournement - qui invite le lecteur « à aller voir de l’autre côté d’un mur (ou l’envers d’une toile, comme celles du Titien, où l’on peut voir de sublimes ébauches préparatoires) »7 (Voir ♥ Le lecteur dans le projet d’écriture ).

Pierre Senges s’insère à plein titre dans le panorama littéraire contemporain aux frontières poreuses. Les textes de cet auteur multiforme témoignent que les distinctions et les catégories génériques, pour utiles et respectables qu’elles soient, manifestent aujourd’hui toutes leurs limites.


Notes

↑ 1 « Les éléments de l’ébahissement », in Pierre Senges, fragile et d'aplomb, dossier préparé par Guénaël Boutouillet, http://remue.net/cont/Senges.html#3. Consulté en septembre 2019.

↑ 2 Cf. Le Matricules des Anges, n°92, avril 2008, p.20-29. Voir aussi Laurent Demanze, Les fictions encyclopédiques. De Gustave Flaubert à Pierre Senges, Paris, Corti, 2015.

↑ 3 Thierry Guichard, «Rire baroque», Le Matricules des Anges, n°92, avril 2008, p.24.

↑ 4 Biographie de Pierre Senges, France Culture. En ligne, URL:http://www.franceculture.fr/personne-pierre-senges.html. Consulté en septembre 2019.

↑ 5 Jean-Jacques Birgé - Pierre Senges, « Remarques faites (ou subies) la tête en bas ». En ligne, URL: http://www.drame.org/2/Musique.php?D=112. Consulté en septembre 2019.

Pour citer cet article :

Chiara ROLLA, Pierre Senges (1968), La littérature et les arts : paroles d’écrivain.e.s, Publifarum, n. 30, pubblicato il 22/09/2019, consultato il 19/04/2024, url: http://www.farum.it/publifarum/ezine_articles.php?id=440

 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN électronique 1824-7482

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