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Les proverbes québécois, des vieux recueils à la toile

Mirella CONENNA



Résumé

La présente étude évoque, premièrement, la problématique du « global » et du « local » en parémiologie, liée aux « proverbes autochtones » qui s’opposent aux « proverbes cosmopolites » et aux proverbes « locaux ou historiques », qui sont strictement liés à un territoire. Deuxièmement, dans le cadre des variations diatopiques du français, on prend en considération un échantillonnage de proverbes du Québec, recueillis il y a une trentaine d’années, pour en vérifier la vitalité. Le recours à la toile et aux grands corpus pour mettre à jour les données parémiologiques, fournit des outils incontournables. Dans la circulation des proverbes, on voit y apparaître un réseau qui pourrait se connoter comme «glocal», selon l’étiquette que l’on attribue à la transformation d’un fait local en un phénomène global.

Abstract

This study raises firstly the issues of "global" and "local" in paremiology, as they relate to "indigenous proverbs" which contrast with "cosmopolitan proverbs" and "local or historical" proverbs, which are strictly related to a territory. Secondly, in the context of diatopic variations of French, we consider a sample of Quebec proverbs collected about thirty years ago, to establish their continuing vitality. Recourse to the internet and to large corpora to update the parémiological data furnishes essential tools. In the circulation of proverbs, one sees a network appearing that could imply the notion of "glocal", in accordance with the label given to the transformation of a local phenomenon into a global one.

Roma non fu fatta in un giorno
Paris n’a pas été bâti en un jour (F)
On n’a pas bâti Paris en une journée (FQ)
A poco pe votta s’è faeto Zena
Etc.1

1. Le « local » et le « global » en parémiologie

La notion de distinction peut être mise en regard du proverbe.2 L’idée acquise de « séparation » accompagne en effet le long chemin des proverbes dans le temps et dans l’espace. De nombreux recueils – nul ne l’ignore – transmettent les proverbes d’un pays, d’une région, d’une ville sinon d’un village. Ces « proverbes autochtones » s’opposent aux « proverbes cosmopolites » qui franchissent les frontières, circulent à travers des langues très différentes ou bien surgissent dans des cultures distantes, matérialisant des observations et des sentiments qui appartiennent, tout simplement, aux êtres humains. Nombreux en sont les exemples et les étiquettes « autochtone » et « cosmopolite » sont générales et traditionnelles. Au XIXe siècle, on met en évidence l’inspiration « divine » de ces proverbes. Une attestation de 1842 de l’expression « proverbe cosmopolite » se retrouve chez Ferdinand Denis, dans son Essai sur la philosophie de Sancho, publié dans la partie introductive du Livre des proverbes français de Le Roux de Lincy :

Je ne saurais vous dire maintenant chez combien de peuples j’ai rencontré le touchant proverbe de l’Évangile. Il est travesti de toutes les manières, bariolé de toutes les façons ; je le trouve sous le turban moresque, sous le béret du Basque, sous le casque du chevalier ; je le trouve même habillé en mandarin, mais je suis sûr que vous le reconnaitrez très bien chez les pauvres Ghiolofs.
« Si le chapeau que tu essaies te blesse, ne le mets pas sur la tête de ton prochain ».
Après ce proverbe cosmopolite qui devient dans ses voyages tour à tour sévère, grotesque ou naïf, sans altérer son essence divine… (LE ROUX DE LINCY, 1996 : 26-27).3

Au cours de ces mêmes années, en 1860, Quitard soutient, dans ses célèbres Études sur les proverbes français et le langage proverbial :

Cette collection de proverbes cosmopolites ainsi disposés prouverait, ce me semble, mieux que tous les raisonnements, que la société, sous une inspiration divine, a toujours eu la conscience et comme l’intelligence innée de tout ce qui est essentiel à sa conservation… (QUITARD, 1860 : 434-435).4

Les proverbes « locaux ou historiques », mentionnés comme « blasons populaires » dans le Dictionnaire des proverbes et dictons (1980 : 278-295), sont strictement liés à un territoire. Il s’agit d’une sorte de litanie, transmise à travers les époques, des vices et des défauts des voisins, des habitants d’une localité très proche… On connaît le caractère parfois hargneux de ces parémies, dont l’interprétation peut se faire par analogie avec des équivalents issus d’autres cultures : des cas semblables et habituels, condensés dans des structures récurrentes. Pourtant, le fait relaté par le proverbe, la critique affichée, ne seraient que difficilement expliqués par un public plus vaste :

Arc-sous-Cicon,
Petite ville, grands fripons

Qui va à Boulogne,
Prend la fièvre ou la rogne

De Falaise, il ne vient ni bon vent
Ni bonnes gens

A Montbozon
Il faut trois hommes pour arracher un oignon

Et la série peut s’allonger indéfiniment, avec des comparaisons bien grivoises. C’est un phénomène que l’on retrouve dans tous les pays ; il est particulièrement riche en Italie, certes pour des raisons historiques, liées à la tradition des communes.

Ces formules diffèrent des « dictons météorologiques » qui touchent paisiblement aux fêtes religieuses et aux changements de saisons5. Les exemples sont innombrables ; choisissons deux formules très répandues :

Noël au balcon
Pâques au tison

En avril, ne te découvre pas d'un fil
En mai fais ce qu'il te plaît

et d’autres plus rares, avec leurs variantes, concernant la Sainte-Pétronille6, que l’on fête le 31 mai :

À la Sainte-Pétronille
Pas de haie sans chenille

Eau de Sainte-Pétronille
Change raisins en grapilles

Pluie de Sainte-Pétronille
Les raisins deviennent grapilles
Ou tombent en guenilles

S’il pleut le jour de Sainte-Pétronille,
Le blé diminue jusqu’à la faucille

S’il pleut à la Sainte-Pétronille,
Pendant quarante jours, elle trempe ses guenilles

Quand Pétronille pisse
Elle pisse quarante jours de suite

La définition de dicton météorologique citée dans le Dictionnaire des proverbes et dictons (1980 : 173), renvoyant au Vocabulaire météorologique international, édité en 1966 par l’Organisation météorologique mondiale, est reprise de nos jours (2011) par le GDT, Le Grand Dictionnaire Terminologique de l’Office québécois de la langue française qui attribue cette définition à deux termes7 :

proverbes météorologiques, n. m. pl.
dictons météorologiques, n. m. pl.
« Règles empiriques de prévision du temps souvent énoncées en vers. »

Il s’agit des seules entrées proverbe et dicton du GDT. Le renvoi aux dictons météorologiques dans un outil important de la terminologie en ligne, témoigne de la vitalité de ses formules anciennes et contribue à régir leur diffusion sur la toile. En effet, de nombreux sites les reprennent régulièrement : de petits recueils, des listes de proverbes dressées par des amateurs, des citations occasionnelles, souvent en commentaire de faits météorologiques importants.

Sur le plan de la parémiologie linguistique, à la série de dichotomies énigmatiques qui dessinent le statut du proverbe8, il faut donc ajouter la référence à cet aspect « local » qui démarque l’aspect « global », ce dernier étant la trace du caractère universel, autrement dit de la possibilité de la réalisation d’un même proverbe dans des aires géographiques très éloignées.

Une réflexion sur les variations parémiologiques peut fournir un apport à la problématique variationnelle en général. L’ambiguïté et la complexité de la notion de variation sont bien connues. Le mot variation lui-même a plusieurs sens parce qu’il indique le processus qui mène à la variété, mais aussi un élément de cette variété, que l’on constate. Les variations (diatopique et diastratique, par exemple) se croisent. Tout cela se confirme et se complique, en ce qui concerne les proverbes qui ont une très riche gamme de variantes, même en raison des intersections des variations.

Un cas représentatif à cet égard est celui des proverbes italiens dont la différenciation à travers les nombreux dialectes de la péninsule construit tout un réseau de variantes qui en génèrent à leur tour d’autres, puisqu’il arrive que l’on traduise et donc diffuse la forme dialectale en italien. Si on prend, par exemple, le proverbe L’acqua cheta rovina i ponti, équivalent de Il faut se méfier de l’eau qui dort, on repère des éléments lexicaux qui changent selon les régions ; l’« eau qui dort » est ainsi « capable de transporter des troncs », ou bien elle « fait peur », ou encore « est la plus dangereuse ».9

Considérant la variante comme l’élément distinctif du proverbe, j’ai analysé ailleurs les variantes diachroniques (CONENNA et al. 2006), mettant en place la notion d’historique du proverbe (CONENNA 2002) ; j’ai également développé la problématique des variantes lexico-grammaticales en français et en italien (CONENNA 1988a), ainsi que le cas particulier des variantes traductologiques (CONENNA 2011). Dans le dessein d’illustrer la variation diatopique des proverbes français, j’ai choisi de me focaliser ici sur les proverbes québécois qui ont déjà fait l’objet de mon étude (CONENNA 1988b). J’ai ainsi commencé une mise à jour de ma liste de proverbes, colligés à l’époque dans des archives, pour vérifier leur vitalité et leur présence dans le Web comme corpus.

2. Les proverbes, au Québec. Quelles variantes ?

Peut-on parler de variations diatopiques, pour les proverbes québécois ? Il s’agit, pour la plupart, de formes, comme par exemple

qui aime bien châtie bien

qui figurent dans les recueils de proverbes du Québec, ainsi que dans ceux de France. Ce proverbe d’emploi courant appartient donc au « français commun », tel qu’il est défini dans le projet BFQS (LAMIROY et al. 2010 : 131)10. De nombreux proverbes, venus de France dans la Belle Province avec le reste du lexique, sont utilisés parce qu’ils appartiennent à un patrimoine linguistique et culturel commun. Les variations diatopiques ne délimitent que certains éléments, surtout lexicaux, très connotés. C’est le cas de harbe, marde etc., des mots dont l’orthographe garde la trace de l’ouverture, presqu’un [a] du [ε] accentué en syllabe entravée :

qui a mangé son bien en harbe souvent mange de la marde

Néanmoins, comme l’a montré PRIVAT (1998), très souvent, même pour ces formes typiques, on est face à des variations diachroniques ou dialectales, appartenant à des états de langues anciens et/ou attestés dans des dialectes français. Ce sont les archaïsmes, fort connus, du français du Québec. On peut en dire autant pour la présence des anglicismes, des calques et des emprunts à la langue voisine. Un proverbe révélateur à cet égard est

plus on est de fous, plus on a de fun

qui reprend l’expression figée québécoise avoir du fun, avoir du plaisir, avec l’emprunt à l’anglais. C’est la variante diatopique de plus on est de fous, plus on rit, proverbe attesté en français depuis 1688, qui peut être arrivé au Québec au XVIIe siècle avec les premiers colons et qui s’est ensuite « américanisé ». C’est un cas de croisement de variations diatopique et diachronique de proverbes. La variation diastratique entre en jeu si on mène, sur le terrain, une enquête finalisée à tester la vitalité de ces proverbes.

Mon propos se limite ici à quelques observations allant vers une première phase d’une enquête de ce genre. Pour ce faire, j’ai commencé par mettre à jour une recherche que j’avais effectuée au Québec en 1986, à l’Université Laval à Québec, où, aux Archives de Folklore, j’avais dépouillé les documents contenant des proverbes : des transcriptions d’enregistrements de contes, de sondages etc., ainsi que des mémoires. J’avais poursuivi mon travail au sein de l’équipe du Trésor de la Langue française au Québec, où Claude Poirier avait eu la gentillesse de me donner accès à l’entrée Qui du Fichier lexical, source du Dictionnaire du français québécois ; je recherchais, en effet, les proverbes québécois en qui, pour les comparer avec mes listes de proverbes français ayant la même structure, objet de ma description lexico-grammaticale (CONENNA 1988b). Dans ces vieilles fiches en carton, il y avait des proverbes québécois issus d’un recueil rédigé, de 1909 à 1917, par l’abbé Jutras qui avait collaboré au célèbre Parler populaire des canadiens français11. Il y avait aussi quelques références au Livre des proverbes québécois de Pierre DESRUISSEAUX (1978).

Ce livre, réédité avec « de nombreux ajouts, additions et corrections au fil des années », comme le déclare l’auteur lui-même (2009 : 7), est le premier d’une série qui représente les ouvrages incontournables de la parémiologie québécoise. En 1991, DesRuisseaux publie en effet le Dictionnaire des proverbes québécois, puis Le Petit proverbier (1997) et le Dictionnaire des proverbes, dictons et adages québécois (2009). Ce dernier, sous l’apparence du style de la tradition des recueils comparés de proverbes, a un sous-titre, Avec les équivalents français et anglais, qui est symptomatique de la référence permanente (et identitaire) des Québécois au français hexagonal et à l’anglais. L’auteur dit qu’il y présente « en plus des énoncés proverbiaux, des dictons et des adages populaires » et, quant aux sources, ce sont : « cueillettes sur le terrain […] presse écrite et parlée […] incursions sur Internet » (2009 : 7). Dans Le Petit proverbier, DesRuisseaux classe des proverbes français, québécois et anglais et met en évidence le rôle que les énoncés proverbiaux jouent dans le « village global », ainsi que leur fonction linguistique et culturelle dans la mise en regard de sociétés différentes (1997 : 7-8).

J’avais ainsi établi une courte liste de 80 proverbes québécois en qui, d’après laquelle j’avais mis en relief une hésitation au niveau de l’orthographe du proverbe

qui se ressemble s’assemble
qui se ressemblent s’assemblent

dont les verbes étaient aussi attestés au pluriel :

Nonobstant le ‘neutre’ (en termes de nombre) du pronom QUI, les Québécois l’interprètent en termes réalistes : ils marquent directement par un pluriel non-grammatical leur perception d’une pluralité référentielle. Ces oscillations constituent le caractère le plus distinctif de cette famille de proverbes, dans son emploi au Québec. D’autres exemples de cet usage curieux que de nombreux informateurs natifs nous ont confirmé : Qui s’assemble se ressemble (région de Kamouraska) et Qui s’assemblent se ressemblent (région de Chicoutimi) (CONENNA 1988b : 113-114).

DESRUISSEAUX (1997) cite la forme normée au pluriel, avec l’antécédent :

ceux qui se ressemblent s’assemblent

en y ajoutant la référence à un discours politique et créant ainsi un effet qui oscille entre le slogan et l’aphorisme (2009 : 220) ; il indique aussi la variante québécoise

qui s’assemble se ressemble

De nos jours, la toile nous montre, c’est assez étonnant, que la forme au pluriel est mentionnée en France, comme si l’antécédent ceux, bien qu’effacé, était fortement ressenti. On peut épingler des commentaires assez curieux à cet égard dans des blogs12 :

licence proverbiale?
"Par quelle règle met-on ces deux verbes au singulier? Il faudrait écrire "qui se ressemblent s'assemblent"
pour être grammaticalement correct, non?" 13

Qui se ressemblent s'assemblent : prouvé scientifiquement !14

Une étude, publiée dans la revue PLoS One confirme scientifiquement l'adage bien connu : "Qui se ressemblent s'assemblent" en renforçant la théorie de l'homogamie.15

Un bon exemple de variation diatopique est fourni par le proverbe

avec les sous on fait des piastres

cité dans la Base de Données Panfrancophone16 :

piastres (c'est avec des sous qu'on fait des ~) (loc. verb.)
Proverbe. Fam. C'est en économisant, petit à petit, qu'on arrive à amasser une grosse somme.

DESRUISSEAUX (2009), ainsi que la même BDP, mentionnent aussi la variante avec cennes, forme populaire québécoise de cent. Ce proverbe n’est pas attesté en France, où l’équivalent serait

petit à petit l’oiseau fait son nid

Il y a, en revanche, une forme correspondante en italien :

a quattrino a quattrino, si fa il fiorino

La présence de formes équivalentes en français du Québec (et non pas en français hexagonal) et en italien, n’est pas un phénomène rare, comme on l’a montré pour les expressions figées (CONENNA & LABELLE 1990 ; VECCHIATO 2007). En France est néanmoins attestée une structure très proche de celle de ce proverbe :

avec les sous on fait X

ayant une productivité qui pourrait contribuer à la proverbialiser ; voici quelques citations :

Bien sûr, avec les sous on fait tout, ça n’affole pas nos promoteurs, ils vont tout réparer, pas de souci, ils referont en même temps le clocher de l’église, la salle des fêtes ou l’école du village.17

C’est vrai qu’avec les sous on fait de beaux bâtiments, de belles routes18

avec les sous on fait des affaires19

Autre cas intéressant est celui du proverbe, très peu attesté en français et cité par PRIVAT (1998 : 95) parmi ces « quelques proverbes […] qui semblent appartenir exclusivement au patrimoine parémiologique québécois » :

farine de diable retourne en son

DESRUISSEAUX (2009 : 90) en indique différentes variantes :

la farine de diable retourne en son
la farine du diable retourne en son
farine de diable ça retourne en son
farine de diable tourne en son
farine de diable vire en son

et même une variante littéraire :

l’argent du diable s’en retourne en son20

DesRuisseaux donne, comme variantes françaises, des formes désuètes :

ce qui vient du diable, à diable ira

et des formes plus générales comme :

bien mal acquis ne profite jamais

ainsi que la forme

farine du diable se tourne en bran

où il y a ce vieux mot, signalé dans le lexique phraséologique :

BRAN ou BREN, n.m., d’abord brent (1205-1215), forme encore attestée dans les dictionnaires au XVIIIe s., puis bran (XIIIe), est issu d’un latin populaire °brennus « son » […] L'origine de ce mot est obscure, sans doute préromane […], peut-être gauloise : cependant, les correspondants dans les langues celtiques […] ne sont probablement pas autochtones, mais peut-être empruntés au français ou à l’anglais bran, lui-même repris de l’ancien français au XIIIe siècle. Le sens de « son », conservé par l'anglais bran, a été éliminé au XVIIIe s. par son, si bien que le mot ne désigne plus que la partie grossière (bran de son) ; ainsi l'ancienne locution proverbiale faire l'âne pour avoir du bran (XVIe s.) est devenue... pour avoir du son. Par analogie, le mot a pris le sens péjoratif de « boue, lie » attesté de manière isolée au début XIIIe puis fin XIIIe s. (av. 1300), et aussi d' « excrément » (1306). Ce dernier emploi a donné un emploi interjectif marquant le mépris (1532 Rabelais). Le mot est sorti d'usage sauf dans quelques usages régionaux...  (DHLF).21

Encore, selon BLOCH & VON WARTBURG (2002), s.v. breneux :

XIVe. Dér. de bren, forme plus anc. de bran, encore dans les patois, propr. « son », qui représente un type *brenno-, dont l’origine celtique, souvent admise, se heurte à de graves difficultés ; a pris au XVe s. le sens d’excréments, sens assez répandu dans les parlers septentrionaux. Avec ce même mot, bren au sens dér., ont été formés les verbes ébrener, XIIIe et embrener, 1532 (Rab.).

La forme du proverbe en question avec bran est mentionnée par LE ROUX DE LINCY (1996 : 210) qui indique comme source : « Antoine OUDIN, Curiositez françoises (1640 : 214) ». Et on connaît la présence des proverbes italiens chez Oudin (JULLIANI 1990). En effet, la forme correspondante mot-à-mot, est bien connue en italien :

la farina del diavolo va tutta in crusca
la farina del diavolo va in crusca

et présente des variantes dialectales (SCHWAMENTHAL & STRANIERO, 1991), dont une en piémontais avec le mot bren, étant donné l’appartenance de cette langue régionale à l’aire gallo-romane :

farina dël diavo va tuta ‘n bren

ce qui nous ramène aux usages régionaux évoqués dans le DHLF. On peut en conclure que l’historique du proverbe (CONENNA 2002) est toujours révélateur d’échanges et d’entrelacs diachroniques même entre les lexiques de langues différentes ; on rappellera une autre correspondance du proverbe en question, celle avec l’anglais The Devil’s meal is all bran. Ce dernier est mentionné dans le dictionnaire de Theodor FLONTA (2002 : 27), avec les autres variantes dont l’espagnol la harina del diablo se vuelve toda en salvado; pour le français, outre la susdite forme avec bran, il y a la farine du diable s’en va moitié en son.

Pour résumer, en ce qui concerne les proverbes du Québec, on ne peut que constater la persistance d’un grand flou. Plus, peut-être, que lorsqu’ils restaient confinés dans le folklore, dans les patois et les échanges en famille, ou bien n’étaient que des citations de proverbes de France. Sur la toile, les dictionnaires et les bases de données linguistiques modifient les repères et parfois, dans les nouveaux sites qui les hébergent, il est difficile de retrouver facilement des informations antérieures. Les vieux proverbes semblent gommés, surtout pour le caractère vieillot de leur lexique. Dans les attestations littéraires de référence, ils sont mêlés aux phrases figées, aux jeux de mots etc. Les dictionnaires et les bases de données parémiologiques, de leur côté, reprennent les recueils traditionnels sans faire le tri entre proverbes en français de France et en français du Québec. Après l’établissement d’une norme québécoise dans les dernières années du XXe siècle, et d’une prise de conscience identitaire aussi bien scientifique que populaire, les proverbes restent un objet hybride. Une recherche systématique nécessite donc la mise en place de nouveaux critères et instruments de recherche.

3. Conclusion et perspectives

Après avoir évoqué, d’une part, la problématique du « global » et du « local » en parémiologie, liée aux « proverbes autochtones » qui s’opposent aux « proverbes cosmopolites » ; et d’autre part, la problématique des proverbes « locaux ou historiques », qui sont strictement liés à un territoire, me situant moi-même dans le domaine des variantes proverbiales, j’ai analysé les variations diatopiques du français, focalisées sur les proverbes du Québec. L’étude est succincte et fondée sur un simple échantillonnage de proverbes ; elle permet néanmoins de faire des considérations utiles à des perspectives de recherche.

Premièrement, le recours à la toile et aux grands corpus pour mettre à jour les données parémiologiques et en surveiller la vitalité, fournit des outils incontournables. Dans la circulation des proverbes, on voit y apparaître un réseau qui pourrait se connoter comme « glocal », selon l’étiquette que l’on attribue à la transformation d’un fait local en un phénomène global22. Une recherche transversale doit tenir compte aussi de l’enracinement historique, de l’emploi effectif des proverbes etc., et nécessite un travail mené sur le terrain et en collaboration avec des locuteurs natifs. Dans cette optique, il faudrait constituer une plate-forme pour répertorier et transmettre les proverbes, mais aussi pour servir de documentation à la littérature scientifique qui les concerne. Les proverbes appartenant aux variétés géographiques d’une langue donnée, constituent un lexique en plus, qui est mis à la disposition du chercheur aussi bien que du public en général. Les mots circulent d’une variété de langue à l’autre pour des raisons socio-culturelles précises et occasionnelles ; les proverbes sont traditionnellement nomades, et sont actualisés – même dans leurs variantes désuètes et géographiquement distantes – grâce à l’effet citation. En l’occurrence, l’emploi du verbe québécois magasiner, se fera difficilement, en France, pour « faire des courses », malgré l’ouverture, au-delà de toute restriction normative, de l’équivalent anglais faire du shopping, désormais accueilli même dans les dictionnaires de référence23. On pourrait, en revanche, emprunter un proverbe au français du Québec, grâce à la fonction de citation qui le caractérise et parce qu’il est introduit dans le discours ; par exemple, le fait d’annoncer : « comme le dit le proverbe québécois … », le ferait accepter sans problèmes. Insérés dans une banque de données, ces proverbes d’ailleurs, tels des « proverbes à la carte », pourraient être à la disposition de n’importe quel locuteur français dans différentes situations de communication et être ainsi actualisés. On peut imaginer, en traduction, que le traducteur repère, dans un proverbe québécois, un élément lexical utile à reconstituer l’effet du mot clef de l’original qui ne trouve pas de correspondance dans le proverbe hexagonal équivalent. Ainsi, on ne ferait, au fond, que respecter la nature même des proverbes et leurs différentes facettes populaires, autochtones voire universelles qui se cristallisent dans les mots.

Deuxièmement, sur le plan de la parémiologie linguistique, j’envisage le classement des proverbes à la lumière des apports des variations. En cela, différentes contributions théoriques et méthodologiques permettraient de développer l’aspect multidimensionnel des variations proverbiales, sur le modèle du continuum pluridimensionnel de BERRUTO (1993) en linguistique des variations. Sans oublier la dimension pragmatique, au sens de la pragmatique interculturelle de WIERZBICKA (2003), puisque les proverbes font partie du matériel linguistique et culturel partagé au sein d’une communauté donnée, et qu’ils marquent la différence avec l’autre. Et on peut évoquer encore, la dimension pragmatique des expressions figées, telle qu’elle est définie dans le cadre du projet BFQS. Certes, ce sont des niveaux différents de l’analyse, mais ils ne font que refléter la pluralité du statut du proverbe.

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Trésor de la langue française informatisé, .
S. VECCHIATO, « Lexiques et grammaires comparés des expressions figées. La classe C1 dans le français du Québec, le français normé et l’italien », in M. T. BIASON (ed), Expressions libres, expressions figées. Hommage à Maurice Gross, Venezia, Cafoscarina, 2007, p. 31-83.
A. WIERZBICKA, Cross-cultural Pragmatics: The Semantics of Human Interaction‬, New York/Berlin, Mouton de Gruyter, 20032.‬‬‬‬‬‬‬‬‬


Notes

↑ 1 Ce proverbe qui suggère la patience nécessaire à mener à bien une affaire importante, est évidemment d’origine latine : Roma non fuit una die condita ; il est largement attesté, dans ses formes équivalentes, en plusieurs langues. En anglais, Rome wasn’t built in a day, a été aussi repris dans le titre d’une chanson récente du groupe Morcheeba (https://www.youtube.com/watch?v=FLGJXbl6g8o), ce qui est un signe de la vitalité de ce proverbe. Dans les recueils de proverbes québécois, objet de la présente étude, on cite On n’a pas bâti Paris en une journée, séparant cette forme de celle connue en France, indiquée avec ses deux variantes Paris n’a pas été bâti (fait) en un jour (DESRUISSEAUX 2009 : 184-185). Dans la première édition de ce recueil, Paris (ou Rome) ne s’est pas fait en un jour est rattaché au commentaire « Formule d’origine européenne » (DESRUISSEAUX 1978 : 102). Le dernier proverbe de l’exergue est l’équivalent en dialecte génois : Petit à petit on a fait Gênes (FERRANDO 1984 : 26) et il veut être un clin d’œil amical adressé au destinataire de ce volume d’hommage.

↑ 2 Cette étude développe certains points de la communication (inédite) Des variations proverbiales, que j’ai présentée au « V Coloquio Lucentino. Fraseología, Variaciones, Diatopía y Traducción », Universidad de Alicante, 28-30 de Octubre 2014.

↑ 3 C’est moi qui souligne.

↑ 4 C’est moi qui souligne.

↑ 5 Peut-être y a-t-il moins de sérénité dans leur emploi, maintenant que la formule plus moderne il n’y a plus de saison s’impose de plus en plus, se proverbialise et les rend tous désuets…

↑ 6 Cf. Dictionnaire des proverbes et dictons 1980 : 214 et http://www.des-tours-de-france.com/2014/05/le-dicton-du-jour-31-mai.html.

↑ 7 http://www.granddictionnaire.com/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26516923.

↑ 8 On connote, entre autres, le proverbe comme un fait culturel et comme un fait linguistique, comme une phrase figée ayant des variantes ; on souligne souvent sa tournure de jugement assertif contredit par sa forme antonymique etc.

↑ 9 Ces citations (SCHWAMENTHAL & STRANIERO 1991 : 19) renvoient respectivement au proverbe de la région des Marches : L’acqua quieta mena i ciocch grossi, de la Campanie : Acqua ca nun scorre fa paura, à celui de la Vénétie-Julienne : L’aqua quieta xe la più pericolosa. En Basilicate, on conseille de ne pas traverser l’eau qui dort pour éviter le risque de se noyer : Acqua citta nun passà, si nun t’vuò anneà. Des précisions d’ordre dialectologique dépassent certes le cadre de la présente étude.

↑ 10 Issu du cadre du lexique-grammaire, ce projet a classé les expressions verbales figées du français de Belgique, France, Québec et Suisse. Le « français commun » est le français partagé par les usagers de ces quatre variétés de la francophonie.

↑ 11 http://www.salic.uottawa.ca/?q=org_lexico_can_fr_1909_dionne.

↑ 12 http://www.linternaute.com/proverbe/20/qui-se-ressemble-s-assemble/ [28.10.2014].

↑ 13 Avis de Jean  (Saint-Mandé) [21.5.2012].

↑ 14 Publié le 22/11/2012 à 22:04 par Isabelle G.

↑ 15 http://www.missionchretienne.net/actualite/sante,57/qui-se-ressemblent-s-assemblent-prouve,2842.htm [28.10.2014].

↑ 16 http://www.bdlp.org/accueil.asp?base=QU [28.10. 14].

↑ 17 Projet d'éoliennes à Dénezé : EE-Les Verts soutient le projet ... www.saumur-kiosque.com/infos_article.php?id. [28.10. 14].

↑ 18 Formation-action-recherchebooks.google.fr/books?isbn=2930344024.

↑ 19 http://www.lexpress.fr/actualite/societe/euro-million-un-joueur-francais-empoche-72-millions-d-euros_1319488.html#yFkzD0wvdtTqriat.99.

↑ 20 É. Coderre, J’parle tout seul quand Jean Narrache, p. 72 : « J’veux pas voler, c’pas des façons ; j’l’sais, c’est pas ça qui profite : L’argent du yâbl’, ça r’tourne en son ».

↑ 21 C’est moi qui souligne.

↑ 22 http://www.oxforddictionaries.com/definition/english/glocal.http://www.oxforddictionaries.com/definition/english/glocal

↑ 23 « Fait d'aller de magasin en magasin pour regarder les vitrines, les étalages, comparer, faire des achats. Synon. région. (Canada) magasinage » (TLFi, s.v. shopping).

Pour citer cet article :

Mirella CONENNA, Les proverbes québécois, des vieux recueils à la toile, Du labyrinthe à la toile / Dal labirinto alla rete , Publifarum, n. 26, pubblicato il 31/05/2016, consultato il 24/04/2024, url: http://www.farum.it/publifarum/ezine_articles.php?id=344

 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN électronique 1824-7482

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