Jean PRUVOST, Dictionnaire du vin, de la bière et du champagne, Paris, Honoré Champion, 2023, pp. 682.
En voulant paraphraser la phrase de grande renommée qui accompagne le fameux tableau de Magritte, nous pourrions sans doute affirmer que « ceci n’est pas ‘seulement’ un dictionnaire ». Le Dictionnaire du vin, de la bière et du champagne, de Jean Pruvost, bien que s’éloignant des technicismes canoniques des dictionnaires de langue qui risquent parfois d’en rendre la lecture fragmentaire, nous guide à travers un voyage érudit et passionnant, mêlant histoire, culture, anecdotes et techniques de production. Professeur émérite de lexicologie et d’histoire de la langue française, Jean Pruvost ne se contente pas de capter le reflet de ces trois éléments qui accompagnent chacun de nous, tant dans les moments de convivialité (fêtes, 75 occurrences ; réussites et victoires, 15 occurrences ; plaisir, 46 occurrences) que dans ceux de profonde solitude et défaite (Churchill, p. 333 ; Napoléon, p. 433), mais il plonge le lecteur dans la culture qui accompagne ces boissons, lui permettant à chaque ligne presque de nous enivrer de curiosités historiques et d’anecdotes.
Chaque article fait découvrir une remarque, cachée de longue date dans les pages d’un roman, d’un document officiel ou au cœur d’un récit, et indépendamment de leur origine première, toutes ces remarques ont assurément fini par influencer les usages et les coutumes d’une collectivité. Toutes ces réflexions extraites de telle ou telle personnalité ont de fait contribué à forger ce patrimoine commun, enrichissant l’imaginaire collectif de toutes les communautés, petites ou grandes. Témoignant du fait que « les dictionnaires sont là pour faire acte de mémoire » (p. 11), parmi les plus de 930 noms cités, nous retrouvons plusieurs personnages historiques tels qu’Aliénor d’Aquitaine, Amédée VI de Savoie, Antoine (empereur), Auguste (empereur), Commode (empereur), Charles IV de Luxembourg, Charles IX, Charles le Téméraire, Charles Quint, Charles V, Charles VII, Charles X, Clovis, Henri II (Angl.), Henri II (France), Henri III (Plantag.), Henri IV (Angl.), Henri IV (France), Henri VIII, Jean sans Peur, Louis Ier de Bavière, Louis XIII, Napoléon Ier, Napoléon III, Nicolas II, Philippe II d’Orléans et la reine Victoria, pour n’en citer que quelques-uns !
Plus de mille cent articles guident le lecteur en étant par ailleurs entrecoupés de plusieurs centaines de renvois (plus de 300) à la découverte des secrets d’un monde souvent ignoré. Que l’on soit amateur de bonnes boissons ou qu’on s’en éloigne, il est impossible de ne pas être enivré par le parfum des arômes émanant d’une écriture à la fois documentée, mais jamais trop technique. Une promenade hors du temps et de l’espace, dont les planches en couleur qui l’accompagnent, à partir de la couverture (« Femme au verre de vin », huile sur toile de Philippe Mercier, 1689-1760), illustrent et enrichissent visuellement l’œuvre en offrant un complément essentiel aux descriptions textuelles. Elles incluent des représentations historiques des vignobles et des scènes de récolte, des diagrammes techniques expliquant les processus de vinification et de brassage, ainsi que des cartes détaillées des principales régions viticoles et brassicoles. Elles illustrent et enrichissent visuellement l’œuvre et offrent un complément essentiel aux descriptions textuelles. Ces tableaux ne sont pas uniquement esthétiques. Ils jouent un rôle crucial en clarifiant des concepts complexes (outils traditionnels et innovations modernes utilisés dans la production), en contextualisant historiquement les pratiques et en rendant l’information plus accessible.
Jean Pruvost réussit donc le pari d’allier érudition et accessibilité, rendant le contenu riche et compréhensible pour tous. Sa passion pour la langue, l’histoire et les dictionnaires (600 occurrences environ) transparaît à chaque page, rendant la lecture aussi instructive qu’agréable. L’œuvre couvre un large éventail de sujets, allant des techniques de vinification aux anecdotes historiques, en incluant de nombreuses citations littéraires. Les descriptions soignées illustrent l’importance culturelle de ces trois boissons fermentées, mais également les processus techniques tels que le collage (p. 192), le débourbage (p. 219), le décuvage (p. 220), l’élevage (p. 249), la fermentation alcoolique (p. 274), la double fermentation (p. 236), l’infusion (p. 348) et la vinification (p. 625), ainsi que les innovations comme l’alcoomètre inventé par Joseph-Louis Gay-Lussac en 1824 (p. 310).
Au-delà des faits techniques, il explore ainsi les réflexions littéraires et philosophiques autour du vin, de la bière et du champagne. Le lecteur se retrouve tout au long de cet ouvrage, en « promeneur » séduit, d’un siècle à l’autre, en compagnie de Gaston Bachelard, d’Honoré de Balzac, d’Olivier Basselin, Céline, Alphonse Daudet, Simone de Beauvoir, Alphonse de Lamartine, Denis Diderot, les frères Goncourt, Anatole France, Gustave Flaubert, Ernest Hemingway, Victor Hugo, Francis Jammes, Søren Kierkegaard, Jean de La Bruyère, Jean de La Fontaine, Lucien Leuwen, Jean Hans Maennel, Michel de Montaigne, Montesquieu, Platon, François Rabelais, Jehan Rictus, Jean-Jacques Rousseau, Saint-Évremond, Stendhal, Voltaire, Émile Zola, Giovanni Dotoli et bien d’autres plus ou moins célèbres.
La formation linguistique prépondérante de Jean Pruvost ne se fait pas attendre. Par moments, certaines subtilités de grammaire (p. 397) et de linguistique (cfr. synonyme, 120 occurrences ; étymologie, 78 occurrences ; homonyme, 23 occurrences ; antonyme, 1 occurrence ; néologisme, 17 occurrences) semblent s’échapper avec bonheur de sa plume, comme les centaines de citations lexicographiques dont on bénéficie. À la fin de l’œuvre (p. 660-661), on trouve même une liste d’une dizaine de dictionnaires, parmi les plus fréquemment cités. Toutefois, dans le texte, les références à beaucoup d’autres dictionnaires ne manquent pas, comme en témoignent la mention de plusieurs lexicographes (Maurice de La Porte, Antoine Furetière, Paul Imbs, Pierre Larousse, Émile Littré, Bernard Quemada, Pierre Richelet, Paul Robert, Alain Rey, Josette Rey-Debove, etc.).
Pratiquant joyeusement l’humour, Jean Pruvost ne manque pas de proposer des désambiguïsations intéressantes et parfois amusantes (cfr. Bouillage, p. 114 ; Champagne maison, p. 171 ; lie, p. 385 ; Michael Jackson, p. 456 ; Tisane du (de) houblon, p. 576 ; triple, p. 586 ; Bernache, p. 88) ainsi que des explications de termes sensibles à des glissements sémantiques (cfr. Vinage, p. 619-620) et des curieux homophones (Bordeaux, p. 105 ; vineau, p. 621-622).
Qu’on le lise de manière analytique en approfondissant et contextualisant les données historiques qui documentent les entrées du volume, ou qu’on le considère comme un livre de chevet, toujours prêt à être ‘siroté’ au fil des articles, en découvrant ou redécouvrant différents détails, page après page, on a presque l’impression que la trace délicate de chaque arôme reste sur les mains de celui qui feuillette cet aimable dictionnaire « culturel et anecdotique » (p. 12). Ce « dictionnaire de conversation » (p. 12) est une véritable mine d’informations pour les amateurs de vin, de bière et de champagne, mais également pour les curieux désireux de comprendre l’importance de ces boissons et du vocabulaire qui y correspond dans notre culture.
[Mariadomenica Lo Nostro]